Un ancien journaliste de Der Spiegel expose les mensonges du gouvernement américain selon lesquels Assange «n’a pas censuré» et «a mis des vies en danger»

Le journaliste d’investigation primé John Goetz a témoigné mercredi matin de Berlin lors de l’audience d’extradition d’Assange. Il a pourfendu les affirmations du gouvernement américain selon lesquelles Assange n’avait pas expurgé les noms des documents classifiés américains, mettant ainsi la vie des informateurs du gouvernement américain en danger.

Goetz, responsable des enquêtes de la chaîne publique allemande NDR, était journaliste à Der Spiegel lorsque celui-ci s’est associé à WikiLeaks en 2010. Il s’est rendu à Londres en juin de cette année-là, où il a travaillé avec Assange et des journalistes chevronnés du Guardian et du New York Times sur des documents de Wikileaks qui allaient être connus plus tard comme les «journaux de guerre afghans».

Goetz avait auparavant travaillé sur des articles majeurs pour Der Spiegel. Il avait exposé des crimes de guerre de l’Allemagne en Afghanistan, y compris le bombardement de Kunduz ordonné par des officiers militaires allemands en septembre 2009, qui a fait des victimes civiles. Ses articles sur l’affaire ont reçu un prestigieux prix Nannen pour journalisme d’investigation.

Malgré la durée limitée d’une demi-heure imposée par la juge de district Vanessa Baraitser, Goetz a réfuté de manière exhaustive l’accusation américaine selon laquelle Assange aurait publié «certains documents classifiés qui contenaient les noms non expurgés de personnes innocentes qui ont risqué leur sécurité et leur liberté pour fournir des informations aux États-Unis et à leurs alliés».

Son témoignage d’expert a établi que le seul «préjudice à la vie» provenait des crimes de guerre américains qu’Assange et WikiLeaks tentaient d’exposer.

Mark Summers QC pour la défense a interrogé Goetz sur le contenu des dossiers afghans: «Étaient-ils anodins, sans importance?»

«Ils constituaient un fascinant journal de témoin oculaire de ce qui se passait en Afghanistan pendant la guerre, au moment même où elle se déroulait», a répondu Goetz. «J’ai fini par travailler avec Nick Davies sur une histoire concernant la Force d’intervention 373 qui était une sorte d’escouade d’assassins qui existait en Afghanistan et qui est devenue ensuite une histoire en première page pour Der Spiegel».

La Force d’intervention 373 était «quelque chose qui ressemblait à l’opération Phoenix qui existait pendant la guerre du Vietnam, une équipe qui commettait des assassinats… Dans les documents, vous pouviez suivre leurs activités. Cela n’était pas connu, et c’est pourquoi c’était une histoire majeure à l’époque».

Une deuxième déclaration de témoin présentée par Goetz concernait le sort du citoyen allemand Khalid El-Masri, sur lequel Goetz avait enquêté en 2005-2006. El-Masri avait été enlevé, restitué, sodomisé et torturé par la CIA. «À ce moment-là», a expliqué Goetz, «très peu de gens croyaient que c’était vrai».

Goetz a ensuite traqué les ravisseurs d’El-Masri au sein de la CIA aux États-Unis. Après la diffusion de l’histoire par la NDR, le procureur de Munich a lancé des mandats d’arrêt pour chacun des 13 ravisseurs de la CIA, mais on n’a jamais lancé les mandats aux États-Unis, où les auteurs vivaient.

«Lorsque j’ai enfin vu les câbles diplomatiques, l’une des premières choses que j’ai tapées a été “Khalid el-Masri” et j’ai été fasciné de voir la pression que les États-Unis avaient exercée sur le gouvernement allemand pour qu’il ne délivre pas le mandat d’arrêt aux États-Unis», se souvient Goetz.

Le témoignage de Goetz a établi les efforts «extrêmes» déployés par Assange pour protéger les documents et expurger les noms.

Racontant son propre séjour dans le «bunker» du Guardian, Goetz a déclaré: «Je me souviens que j’étais très ennuyé et très irrité par les rappels constants et incessants d’Assange sur la nécessité d’assurer la sécurité. C’était la première fois de ma vie que je voyais, utilisais ou touchais un cryptophone. La quantité de précautions à prendre pour assurer la sécurité du matériel était énorme».

Goetz a admis qu’il avait pensé que l’accent mis par Assange sur la sécurité des données était «paranoïaque et fou, mais plus tard, c’est devenu une pratique journalistique standard». Il se rappelle avoir interviewé Assange au restaurant du Guardian en 2010, où il a expliqué que le processus de réduction des risques de WikiLeaks «était conçu pour protéger les innocents».

Pour «minimiser les torts», les partenaires des médias avaient entre autres contacté la Maison-Blanche: «L’équipe du New York Times avec laquelle nous travaillions était basée à Washington. Elle avait les contacts nécessaires, elle savait comment atteindre la Maison-Blanche. Elle a envoyé une délégation à la Maison-Blanche pour discuter de ses préoccupations concernant la publication.»

Tout de suite après la réunion de la Maison-Blanche, le rédacteur en chef du Times, Erick Schmitt, a transmis une demande de censure et les gens de WikiLeaks ont confirmé qu’ils allaient censurer 15.000 documents des journaux de guerre afghans. WikiLeaks a déclaré qu’ils seraient prêts à recevoir une «assistance technique» de la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan pour la suppression des noms, a rappelé Goetz.

Avec les journaux de guerre irakiens, a rappelé Goetz, WikiLeaks «en a fait plus» que le processus de censure, publiant moins de documents que ceux qui avaient déjà été publiés par le ministère américain de la Défense dans le cadre de la loi sur la liberté d’information.

Le processus de contrôle et de censure de WikiLeaks pour la publication des câbles diplomatiques américains était encore plus serré. Ils devaient être publiés sur une année entière, pays par pays, avec un groupe élargi de partenaires médiatiques locaux. Pendant ce temps, les premiers partenaires médiatiques d’Assange ont une conférence téléphonique avec des fonctionnaires du département d’État américain qui ont cité des numéros de documents aux journalistes, «en soulignant les points sensibles».

Alors que la limite de 30 minutes pour la défense expirait, Summers a fait allusion aux sections 30-31 des preuves écrites de Goetz, citant le rôle des journalistes du Guardian Luke Harding et David Leigh dans la publication d’un «mot codé» créé par WikiLeaks pour protéger les câbles non censurés. «Pouvez-vous expliquer le processus par lequel les câbles non censurés du département d’État sont entrés dans le domaine public si quelqu’un vous le demandait?»

«Oui», a répondu Goetz, expliquant plus tard en contre-interrogatoire que les seuls documents non censurés publiés par WikiLeaks étaient ceux déjà largement disponibles via le site Cryptome, grâce aux propres journalistes du Guardian.

Insistant sur son point, Lewis a fait référence à un lot de 133.000 câbles publiés par WikiLeaks en août 2011, avant la publication sur Cryptome. Mais Goetz a expliqué que le gouvernement américain n’avait pas classifié ces câbles. De plus, comme Summers l’a établi dans son réexamen de Goetz, la principale source des allégations selon lesquelles Assange aurait mis la vie d’informateurs américains en danger était un article du journaliste du LA Times Ken Dilanian, licencié par la suite pour avoir partagé des histoires à l’avance avec la CIA.

Le contre-interrogatoire de Goetz par Lewis a échoué à plusieurs reprises. Il a mélangé les dates et a paru confondre à un moment donné les journaux de guerre afghans avec les câbles du département d’État américain. Lewis a ensuite essayé de bloquer l’ajout en preuve, sous forme de résumé, du témoignage d’expert de Khalid El-Masri, prétendant que son seul motif était de porter préjudice à son client, le gouvernement américain.

L'audience s'est poursuivie dans l'après-midi.

(Article paru en anglais le 17 septembre 2020)

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