Perspectives

Les déclarations d’impôts de Trump et le parasitisme de l’oligarchie financière

L’analyse détaillée des déclarations d’impôts du président Donald Trump, étalée lundi en première page du New York Times, fait plus que démasquer le gangster corrompu résidant à la Maison-Blanche. C’est une condamnation de l’ensemble de la classe dirigeante américaine, des familles super-riches qui monopolisent les richesses du pays, exploitent les travailleurs et dominent sa politique, ainsi que des deux partis, démocrate et républicain.

Le Times a eu accès à 20 ans de déclarations fiscales personnelles et professionnelles fournissant des détails exhaustifs sur les manipulations financières menées par la Trump Organization. La holding familiale a utilisé des centaines de filiales et de sociétés-écrans pour échapper au paiement des impôts. Elle a subi des pertes sur papier qui ont servi à compenser les revenus réels et assurer l’enrichissement sans fin de Trump et de ses enfants. Cet enrichissement a pu avoir lieu malgré que leur empire de biens immobiliers, casinos et clubs de golf était largement non rentable.

Le président Donald Trump lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche, dimanche le 27 septembre 2020, à Washington. (AP Photo/Carolyn Kaster)

Comme le déclare l’article, «en fin de compte, M. Trump a mieux réussi à jouer un magnat des affaires qu’à en être un dans la vraie vie». Son programme de télé-réalité de longue date de la NBC, «L’apprentie» (The Apprentice), a été bien plus rentable que ses activités commerciales réelles. Ses faillites et ses revers sont connus depuis longtemps. Mais, le compte-rendu du Times donne dans ses moindres détails, une image de la façon dont le système fiscal, mis en place et géré par des gouvernements démocrates comme républicains, lui a permis d’amasser et de conserver une vaste richesse ; et cela, malgré ses incursions généralement désastreuses dans les affaires.

Le compte-rendu du Times ajoute une autre dimension à l'explication de la réponse du gouvernement Trump à la crise pandémique. Vu ses vastes avoirs dans l'immobilier, les hôtels et les clubs de golf, Trump avait un intérêt financier direct et immédiat à exiger la réouverture de l'économie et la reprise des voyages, des réunions d'affaires et des événements sportifs, quel qu'en soit le coût en vies humaines. En cela, il n'était pas seul : il parlait bien plutôt au nom des intérêts de sa classe.

Les détails contenus dans l’article du Times montrent que Trump a payé zéro impôt sur le revenu pendant 10 des 15 années précédant sa candidature à la présidence. Il a payé 750 dollars en 2016 et 2017, soit à peu près la même chose qu’une serveuse travaillant au salaire minimum. Il a déduit 75.000 dollars en coupes de cheveux comme frais professionnels et acheminé des centaines de milliers de dollars en «frais de consultation» dans les poches de ses enfants adultes. Toutes ces révélations sont accablantes. Mais il n’est guère surprenant de voir avéré noir sur blanc que Donald Trump est un imposteur et un fraudeur. Des millions de travailleurs l’ont reconnu depuis longtemps comme un escroc sans scrupules, tant dans les affaires qu’en politique.

Il y a deux ans, le Times a publié une étude tout aussi détaillée sur la manière dont le père de Trump avait manipulé le système fiscal pour transmettre la majeure partie de sa fortune à son fils Donald, tout en ne payant qu’un taux d’imposition effectif de 10 pour cent, alors que les droits de succession officiels étaient alors de 55 pour cent. Le WSWS avait alors déclaré: «En dévoilant en détail la fortune de Trump, le Times a involontairement confirmé l’insistance des socialistes sur le fait que la persistance d’une oligarchie parasite est incompatible avec les droits sociaux et démocratiques les plus fondamentaux pour la vaste majorité de la population».

La corruption et l’évasion fiscale, peut-être moins grossière, mais dans certains cas à une échelle encore plus grande, sont monnaie courante dans l’élite dirigeante américaine. Selon les chiffres de l’IRS (Internal Revenue Service- le fisc), le taux d’imposition effectif sur le transfert des richesses héritées est inférieur à 4 pour cent, alors que le taux d’imposition moyen des travailleurs est de 18-19 pour cent. Il y a plusieurs décennies, avant sa condamnation pour évasion fiscale, la milliardaire de l’hotellerie de Manhattan, Leona Helmsley, a ricané: «Seuls les petits paient des impôts». C’est aujourd’hui la devise de toute l’aristocratie financière.

Tout le monde sait que l’IRS met un point d’honneur à s’en prendre aux travailleurs. Malheur à l’enseignant ou à l’ouvrier automobile qui est accusé de sous-payer le fisc, alors que l’agence ferme régulièrement les yeux sur les vastes programmes d’évasion fiscale comme ceux de la famille Trump. Les économistes Emmanuel Saez et Gabriel Zucman ont décrit comment, pendant des décennies, le gouvernement américain n’avait cessé de réduire les impôts des riches et avait détruit les mécanismes contraignants, le résultat délibéré en étant l’accroissement des inégalités sociales.

L’un des aspects essentiels des manigances financières de Trump au cours de ces décennies est qu’il a tiré parti des lois fiscales adoptées par les Démocrates et les Républicains dans le but délibéré de permettre ce genre de tripotage et de réduire au minimum la charge fiscale de l’élite financière. C’est sous le gouvernement Obama en 2010 que l’IRS a autorisé le paiement de 72,9 millions de dollars à Trump, supposé être un remboursement de «trop-perçus».

Au moins jusqu’à ce qu’il lance sa campagne pour l’investiture républicaine à la présidence en 2015, Trump a soudoyé les démocrates et les républicains avec des «contributions de campagne». Il été récompensé par des échappatoires telles que le traitement privilégié des pertes immobilières lors du renflouement de Wall Street par le gouvernement Obama en 2009.

Parmi les hommes politiques ayant bénéficié des largesses de Trump au fil des ans, on trouve Joe Biden et Kamala Harris, ses adversaires actuels. Il a versé des contributions de campagne à 17 reprises aux deux sénateurs démocrates de New York, Charles Schumer, aujourd’hui leader démocrate au Sénat, et Hillary Clinton, l’adversaire de Trump à la présidence de 2016. Aucune de ces histoires politiquement gênantes n’apparaît dans l’article du Times sur la fraude fiscale de Trump.

Les apologistes du Parti démocrate, en particulier chez les Socialistes démocrates d'Amérique (DSA), pourraient voir dans l'article du Times un coup de maître brillamment orchestré. Ils espèrent sans doute qu’en démasquant Trump une bonne fois pour toutes comme fraudeur corrompu – contrairement à la publication du scandale sexuel de 2016 – cela réussira à couler sa campagne.

Il est possible que la révélation de la fraude fiscale flagrante de Trump lui coûte quelques voix. Mais cette révélation ne change rien au caractère réactionnaire de la campagne de Biden.

Un élément central de cette campagne est la suggestion que Trump est un agent ou un bouc émissaire du président russe Vladimir Poutine. On suggère aussi que son gouvernement a sapé la «sécurité nationale» des États-Unis au Moyen-Orient, en Asie centrale et plus généralement face à la Russie et à la Chine. De nombreux commentateurs des médias ont immédiatement saisi le fait que Trump payait beaucoup plus d’impôts aux gouvernements étrangers, notamment en Inde, aux Philippines, en Turquie et au Panama, qu’il n’en payait au gouvernement américain.

La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, l’une des plus ardentes avocates de la campagne anti-russe, s’est empressée de reprendre ce thème suite à la publication des détails fiscaux et des finances personnelles de Trump. Pointant la conclusion du Times queTrump avait accumulé 400 millions de dollars de pertes depuis son entrée en fonction, dont 300 millions en prêts qui arriveraient à échéance durant un second mandat, s’il était réélu, elle a déclaré que les impôts de Trump révélaient un «problème de sécurité nationale».

Même si le Times a admis que les déclarations d’impôts ne faisaient apparaître aucun revenu d’entreprise provenant de Russie, Pelosi a relié Trump à Moscou: «La question est de savoir ce que Poutine tient sur le président politiquement, personnellement, financièrement, toutes les façons dont le président essaierait de saper notre engagement envers l’OTAN, de céder la boutique à la Russie et à la Syrie… il dit qu’il aime Poutine et Poutine l’aime. Quel est le lien? Nous verrons.»

Ces attaques grotesques à la McCarthy sur le prétendu maître de Trump à Moscou contribuent à une atmosphère politique justifiant une explosion de militarisme américain. De plus, elles ignorent tout simplement le rôle équivalent des banques américaines dans le financement des escroqueries de Trump.

En outre, l’utilisation d’un scandale pour renverser Trump – en supposant que cela en soit le résultat – ne change rien au climat politique des États-Unis. Avec ou sans Trump, l’intensification de la crise sociale – à laquelle les Démocrates n’ont pas de réponse – alimentera le développement des mouvements fascistes et autoritaires.

Il est impossible de défendre les droits démocratiques et de vaincre la marche de Trump vers un gouvernement autoritaire au moyen du Parti démocrate, qui défend le système capitaliste dont Trump est le produit.

Les déclarations d’impôts de Trump dressent le portrait d’une classe dirigeante totalement imprégnée de corruption et de criminalité. Les oligarques génèrent leurs richesses en brassant l’argent, grâce à la mise à disposition d’une quantité infinie de liquidités par les banques centrales. Les palais de Trump, aux allures de bordels, sont le produit de toute une période du capitalisme américain. Cette période est dominée par l’escroquerie, la spéculation et la fraude, ne créant rien de valeur en dehors d’un amas de dettes toujours plus important.

Trump n’est pas l’exception, il est la règle. Toute la classe dirigeante doit son existence sociale à diverses formes d’activités criminelles, dont les victimes sont inévitablement les travailleurs. L’expropriation de cette oligarchie financière est une nécessité sociale urgente.

(Article paru d’abord en anglais le 29 septembre 2020)

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