COVID-19: Réouverture imminente des écoles en Inde malgré un bilan qui dépasse les 100.000 morts

Le bilan officiel de la COVID-19 en Inde s'élevait à 102.685 morts lundi, après avoir franchi le triste cap des 100.000 morts dimanche dernier.

Le deuxième pays le plus peuplé du monde est en passe de dépasser bientôt les États-Unis en tant que leader mondial des infections de COVID-19. Depuis le 31 août, les nouvelles infections augmentent en moyenne de plus de 85.000 cas par jour. Sur les 6.623.815 cas de COVID-19 enregistrés en Inde depuis le début de la pandémie, plus de trois millions ont été enregistrés au cours des 35 derniers jours.

Septembre a été de loin le mois le plus meurtrier de la pandémie, avec 32.209 décès, pour une moyenne quotidienne de 1072 morts.

Un médecin parle avec un patient atteint de la COVID-19 dans un centre d'isolement à Mumbai, en Inde. (AP Photo/Rajanish Kakade)

Rien de tout cela n'a empêché le premier ministre Narendra Modi, son gouvernement du Parti Bharatiya Janata (BJP) et les 28 gouvernements des divers États de l’Inde, y compris ceux dirigés par le Parti du Congrès (formant l’opposition), divers partis bourgeois régionaux et le Parti communiste de l'Inde (marxiste) stalinien de poursuivre la réouverture de l'économie. Le gouvernement Modi a donné le feu vert à la réouverture des salles de cinéma, des multiplexes, des salles d'exposition et des parcs d’attractions le 30 septembre. Les écoles et les collèges devraient rouvrir à partir du 15 octobre.

Avec le soutien total de l'élite dirigeante, les divers paliers de gouvernement en Inde ont depuis longtemps abandonné tout effort visant à stopper la propagation de la COVID-19. Tous poursuivent une politique d'«immunité collective», laissant la pandémie se propager, tout en insistant pour que les travailleurs soient contraints de reprendre leur travail afin de générer des profits pour les grandes entreprises, quel qu'en soit le coût en termes de santé et de vies humaines.

Pour dissimuler cette brutale réalité, les responsables gouvernementaux ont à maintes reprises clamé que les taux d'infection et de mortalité par habitant en Inde étaient relativement faibles. Ces taux restent relativement faibles compte tenu de l'énorme population indienne de 1,37 milliard d'habitants, mais ils sont aussi – et c'est le moins qu'on puisse dire – très suspects. Non seulement l'Inde a des taux de dépistage par habitant très faibles, mais même en temps normal, aucune cause de décès n'est officiellement signalée dans la majorité des décès.

La dernière enquête sérologique, qui mesure le pourcentage de la population ayant des anticorps contre la COVID-19, menée par le Indian Council of Medical Research – ICMR, ou Conseil indien de la recherche médicale, a montré que la prévalence du virus chez les personnes de plus de dix ans était de 6,6 %, soit une personne sur 15 en août. En présentant ces chiffres le 29 septembre, le directeur général de l'ICMR, le Dr Balram Bhargava, a souligné que cela ne représentait qu'une petite fraction de la population – ce qui signifie que la grande majorité reste sensible à la COVID-19, rendant du coup l'adhésion à la stratégie de tests, de suivis, de traçages et de traitements une nécessité absolue si l'on veut éviter davantage de morts en masse.

Bhargava a également souligné que l'enquête avait révélé que la prévalence des anticorps de la COVID-19 dans les bidonvilles urbains était deux fois plus élevée que dans les zones sans bidonvilles. Une autre conclusion importante est que le virus se propage aussi chez les enfants âgés de 10 ans et plus, ce qui réfute les fausses affirmations du gouvernement selon lesquelles les enfants ne sont pas à risque de contracter le coronavirus.

Plusieurs experts indépendants ont dénoncé la réouverture de l'économie par le gouvernement qui encourage la propagation incontrôlée du virus. L'ancien responsable en épidémiologie et en maladies transmissibles à l'ICMR, Lalit Kant, déclarait le 29 septembre que l'Inde est toujours sur la courbe ascendante de la pandémie. Expliquant la situation dangereuse créée par la politique dite de «déconfinement» du gouvernement, en particulier dans les grandes villes comme Mumbai, il a commenté: «Une fois la réouverture effectuée, et certainement dans un endroit bondé comme Mumbai, il est très difficile de garder une distance sécuritaire les uns par rapport aux autres. On va maintenant entrer en contact les uns avec les autres et le nombre de cas va certainement augmenter.»

Il a également mis en garde que le système de santé indien, chroniquement sous-financé, et qui est déjà débordé dans certaines villes par la pandémie, aura du mal à faire face à l'augmentation des hospitalisations. «Lorsque le nombre de cas augmente par centaine de milliers, le nombre (requis) de lits en unités de soins intensifs (USI) augmente par centaines et par milliers», a-t-il déclaré. Reconnaissant que la pénurie de lits en USI et d'autres équipements vitaux est le résultat des maigres allocations budgétaires pour les soins de santé et équivalant à moins de 1,5 % du PIB décidées par les gouvernements successifs, Kant a déclaré que ces derniers «ne se sont absolument jamais préoccupés du secteur de la santé, avec leurs budgets épouvantables.»

En ce qui concerne la propagation de la pandémie, il a expliqué que des infections sont enregistrées partout, y compris dans l'arrière-pays rural, où les services en soins de santé sont pratiquement inexistants. Les États qui n'avaient auparavant que très peu d'infections enregistrent maintenant une augmentation rapide, tandis que d'autres qui prétendaient avoir maîtrisé la pandémie connaissent maintenant une nouvelle poussée de cas.

S.P. Kalantri, qui a été professeur à l'Institut des sciences médicales Mahatma Gandhi pendant plus de 30 ans et qui est actuellement le directeur médical de l'hôpital Kasturba Gandhi à Sevagram, dans le district rural pauvre de Wardha, situé dans l'est de l’État du Maharashtra, a lancé cette mise en garde aux médias le 20 septembre: «Nous ne savons pas d'où vient cette infection et de qui. Les gens viennent de petits villages, de petites villes, ce sont des gens qui n'ont jamais voyagé.»

Dans des commentaires appuyant cette évaluation, le Dr Indradev Ranjan, médecin-chef du district de Vaishali, dans l'état du Bihar, situé au nord du pays, explique que la recherche des contacts s'est effondrée. «Il n'est plus possible de le faire maintenant parce que l'infection s'est répandue partout. En effet, combien d'antécédents de contact pour chaque personne devraient être vérifiés?»

Un autre médecin du district de Rohtas, également dans l’État du Bihar, souligne le mépris impitoyable des autorités sanitaires pour les personnes infectées, commentant: «Nous n'avons pas d'instructions quant à la recherche des contacts et l’exécution de tests. Auparavant, il y avait une directive à cet effet, mais maintenant il n'y en a plus. Même les patients en convalescence dans les services d'isolement ne sont pas réexaminés. Après avoir été maintenu en isolement pendant deux semaines, le patient est renvoyé de l'hôpital sans le moindre autre test.»

Kalantri souligne que dans les grands hôpitaux publics, il est presque impossible de séparer les patients non touchés par la COVID-19 des patients infectés. Son hôpital, par exemple, reçoit chaque jour 1600 patients en consultation externe. Parmi eux, de 20 à 30 % présentent de la fièvre ou des symptômes ressemblant à de la fièvre, ce qui permet de suspecter la présence de dengue ou de malaria. Mais ces patients se révèlent généralement atteints de la COVID-19. «Compte tenu de nos installations – des bâtiments anciens et des infrastructures vétustes – il devient extrêmement difficile pour les travailleurs de la santé de se protéger et de distinguer de façon fiable les maladies non reliées à la COVID-19 des infections à la COVID-19», déclare Kalantri.

Il poursuit en expliquant qu'il y a «pas mal de peur et de panique parmi les travailleurs de la santé», car beaucoup ont été infectés. Selon un régime d'assurance au niveau national, dans la catégorie «Travailleurs de la santé atteints de la COVID-19», on dénombre pour le mois de septembre, 11.155 travailleurs de la santé morts, dont 64 médecins, par suite d’une infection à la COVID-19. Exprimant le mépris criminel du gouvernement Modi envers la vie des travailleurs de la santé, le ministre d'État à la Santé Ashwini Choubey faisait cyniquement remarquer au Parlement à la mi-septembre qu'il n'y a «aucune donnée centrale quant aux travailleurs de la santé qui sont morts, (ou) qui ont été testés positifs à cause de leur travail en présence de la COVID-19.»

Kalantri a également fait remarquer que les graves problèmes sociaux auxquels sont confrontés les travailleurs pauvres et les travailleurs ruraux exacerbent la pandémie et les problèmes de surpopulation dans les hôpitaux. «Il n'y a pas de quarantaine à domicile en ce moment; étant donné notre structure sociale et nos petites maisons qui manquent de chambres individuelles et de salles de bain, il est impossible de donner aux gens le luxe d'être confinés à domicile.»

La situation est encore pire pour la population indienne des sans-abri, estimée à 1,7 million de personnes selon le recensement de 2011. Étant donné que des dizaines de millions de travailleurs migrants ont perdu leur emploi en raison de l'impact de la pandémie, le nombre de sans-abri est certainement beaucoup plus élevé aujourd'hui.

Le gouvernement Modi et toute l'élite au pouvoir n'ont rien fait pour fournir aux couches les plus vulnérables de la population les soins de santé et l'assistance sociale dont elles ont si désespérément besoin en raison de la pandémie.

Au contraire, leur politique d'«immunité collective» est à la pointe de leurs efforts pour utiliser la pandémie afin de restructurer les relations de classe et d'intensifier leurs assauts contre les travailleurs.

Modi et son gouvernement BJP ont réagi à l'effondrement économique précipité par la pandémie et à leur propre confinement mal planifié – l'économie indienne s'étant contractée de 23,9 % entre avril et juin – en annonçant un «saut quantique» dans les politiques favorables aux investisseurs. Qualifiées de «réformes», ces politiques visent à intensifier l'exploitation des travailleurs indiens afin d'attirer les investissements de l’étranger.

Le mois dernier, lors de la «session de la mousson» écourtée du Parlement, le gouvernement Modi a fait passer en force au Parlement une demi-douzaine de lois favorables aux entreprises qui ouvrent le secteur agricole indien aux géants transnationaux agroalimentaires et éliminent les restrictions en matière de licenciements, de fermetures d'usines et de recours à la main-d'œuvre contractuelle, y compris dans la «production de base». La vaste «réforme» du code du travail du gouvernement BJP rend également illégales la plupart des grèves et autres actions des travailleurs.

Le gouvernement a également annoncé un vaste programme de privatisation qui verra la plupart des unités du secteur public vendues dans le cadre d'une vente au rabais de biens publics.

L'attitude méprisante de l'élite dirigeante à l'égard de la vie de millions de travailleurs et de pauvres des zones rurales, alors qu'elle cherche à concevoir de nouveaux moyens d'enrichir les milliardaires et les multimillionnaires en Inde, souligne l'urgence pour la classe ouvrière d'intervenir avec son propre programme socialiste pour combattre la pandémie.

Comme le soulignait le Comité international de la Quatrième Internationale dans une déclaration publiée en français le 24 juin, «Toutes les actions nécessaires pour arrêter le virus – arrêt de la production non essentielle, mise en quarantaine, tests de masse et recherche des contacts – vont à l’encontre des intérêts de la classe dirigeante. Assurer un soutien à tous ceux qui se trouvent touchés par […] "la pandémie" […] nécessite une réorientation massive des ressources sociales…

«Le contrôle de la réponse à la pandémie doit être retiré des mains de la classe capitaliste. Une action de masse de la classe ouvrière, coordonnée à l’échelle internationale, est nécessaire pour maîtriser la pandémie et sauver des millions de vies, maintenant en danger. La lutte contre la pandémie n’est pas seulement une question médicale. C’est avant tout une question de lutte sociale et politique.»

(Article paru en anglais le 6 octobre 2020)

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