Le dirigeant travailliste sir Keir Starmer exclut Jeremy Corbyn du Parti travailliste parlementaire alors que la chasse aux sorcières s’intensifie

Quelques heures seulement après qu’on a réintégré l’ancien chef Jeremy Corbyn au Parti travailliste après une suspension de 19 jours, le chef du parti, sir Keir Starmer, est intervenu mercredi matin pour annuler effectivement la décision.

Starmer et le whip en chef, Nick Brown, ont retiré à Corbyn son rôle de whip, ce qui signifie qu’il ne peut pas rejoindre le parti parlementaire et siéger en tant que député travailliste. Starmer a tweeté: «Depuis qu’on m’a élu chef du parti travailliste, je me suis donné pour mission d’éradiquer l’antisémitisme du Parti travailliste… Le processus disciplinaire n’a pas la confiance de la communauté juive. C’est devenu évident une fois de plus hier».

Il a poursuivi: «Je suis le dirigeant du Parti travailliste, mais je suis aussi le chef du Parti travailliste parlementaire. Les actions de Jeremy Corbyn en réponse au rapport de l’EHRC [Commission pour l’égalité et les droits de l’homme] ont sapé et retardé notre travail de restauration de la confiance dans la capacité du Parti travailliste à lutter contre l’antisémitisme… J’ai pris la décision de ne pas rendre le poste de whip à Jeremy Corbyn. Je vais continuer à surveiller la situation».

On a réadmis Corbyn au parti mardi soir après qu’il a été suspendu le 29 octobre. Il avait déclaré à cette date, immédiatement après la publication de l’«Enquête sur l’antisémitisme au sein du parti travailliste» de la Commission européenne des droits de l’homme, que «l’ampleur du problème se trouvait… dramatiquement exagérée pour des raisons politiques par nos opposants à l’intérieur et à l’extérieur du parti, ainsi que par une grande partie des médias».

Avant la réunion de mardi du comité exécutif national du Parti travailliste qui devait discuter de son cas, Corbyn a fait une déclaration publique pour retirer ses précédentes critiques, déclarant: «Pour être clair, les préoccupations concernant l’antisémitisme ne sont ni “exagérées” ni “surestimées”». Le Guardian a noté: «La déclaration est censée avoir été préparée dans les jours qui ont suivi sa suspension le 29 octobre, et soumise au parti dans le cadre du processus d’enquête».

Comme les événements l’ont prouvé, aucune espèce d’atermoiement et d’humiliation n’aurait jamais pu le sauver d’une conspiration politique qui implique les blairistes du Parti travailliste, les médias de droite et le gouvernement conservateur, les agences de renseignement américaines et britanniques et l’État israélien, déterminé à obtenir son renvoi et l’expulsion massive de milliers de ses partisans.

La décision du groupe d’experts de réintégrer Corbyn est clairement allée à l’encontre des souhaits de Starmer. Selon le New Statesman, alors que «Keir Starmer dispose d’une majorité fiable au sein de la CNE dans son ensemble, il n’a pas de majorité fiable dans ses différents sous-comités. Le panel qui a décidé de cette affaire a été “suspendu”, avec deux impeccables corbynistes et deux loyalistes de Starmer en plus d’Alice Perry, qui est considérée comme une électrice de choix au sein de la CNE».

Starmer a immédiatement fait part de sa déception face au verdict. Il a tweeté: «Je sais que c’est un autre jour douloureux pour la communauté juive et les membres du Parti travailliste qui ont lutté si durement contre l’antisémitisme…» Il a ajouté: «La déclaration de Jeremy Corbyn en réponse au rapport de la Commission européenne des droits de l’homme était erronée et a détourné l’attention d’un rapport qui identifiait une conduite illégale dans notre lutte contre le racisme au sein du Parti travailliste. Cela devrait nous faire honte à tous».

Cette intervention signalait à toutes les forces de droite et sionistes – qui ont orchestré les fausses déclarations selon lesquelles Corbyn est un antisémite qui a permis à «l’antisémitisme de gauche» de prospérer – de condamner la décision de le réadmettre, ce qui a permis à Starmer de retirer le whip par la suite.

Au moins un député travailliste, qui s’agirait de Margaret Hodge, a menacé de démissionner si Corbyn était autorisé à revenir. Hodge, une figure de proue de la chasse aux sorcières, a confronté Corbyn, en juillet 2018 dans la salle du Parlement et lui a crié au visage qu’il était un «putain de raciste et antisémite».

Elle a déclaré lors de sa réintégration: «Je ne comprends tout simplement pas pourquoi il est acceptable que Corbyn soit député travailliste s’il pense que l’antisémitisme est exagéré et constitue une attaque politique, s’il refuse de s’excuser, s’il n’assume jamais la responsabilité de ses actes et s’il rejette les conclusions du rapport de la Commission de l’égalité et des droits de l’homme».

L’ancienne députée travailliste, Dame Louise Ellman, a dénoncé la réadmission de Corbyn comme un «pas en arrière» et a demandé: «Ce que Keir Starmer et le chef de file devraient faire maintenant, c’est refuser de rendre le whip à Jeremy Corbyn… pour débarrasser le parti de cette terrible tache».

La présidente du Conseil des députés des Juifs britanniques, Marie van der Zyl, le président du Jewish Leadership, Jonathan Goldstein, et le directeur général du Community Security Trust, Mark Gardner, ont publié une déclaration commune qui disait que la réintégration de Corbyn était «un pas en arrière pour le parti dans ses relations avec la communauté juive». Le groupe a conclu par l’avertissement suivant: «La montagne que les travaillistes doivent gravir pour regagner la confiance de notre communauté vient de s’élever», afin de s’assurer que Starmer agisse pour retirer Corbyn pour de bon: une étape essentielle pour «regagner la confiance» de ces représentants autoproclamés de la communauté juive.

Le Mouvement travailliste juif prosioniste affilié au Parti travailliste (JLM) a décrit la déclaration de Corbyn se rétractant de ses commentaires comme «peu sincère et totalement inadéquate».

Cette bande de réactionnaires a été rejointe par la coprésidente du Parti conservateur, Amanda Milling, qui a écrit à Starmer pour lui demander: «Vous avez affirmé que le Parti travailliste est “sous une nouvelle direction”, mais le moment est venu de le prouver: M. Corbyn devrait être expulsé définitivement».

Le Daily Telegraph, un journal pro-tory (Parti conservateur), a écrit mercredi que «Corbyn présidait une culture qui permettait aux stéréotypes antisémites de persister au sein d’un groupe d’extrême gauche dont l’obsession pour la question palestinienne et l’anti-américanisme ont entraîné son parti dans la politique la plus vulgaire». Il a conclu que Starmer aurait dû jeter Corbyn «dehors pour de bon».

La réponse de Corbyn et de ses alliés à sa réadmission initiale a été d’offrir des remerciements complets et des promesses de loyauté à ses persécuteurs. Corbyn a déclaré dans un tweet: «Notre mouvement doit maintenant s’unir pour s’opposer et vaincre ce gouvernement conservateur profondément nuisible”.

Len McCluskey, le secrétaire général du syndicat Unite et le plus proche partisan de Corbyn parmi la bureaucratie syndicale a décrit la réintégration comme une «décision correcte, juste et unificatrice».

L’ancien chancelier de l’ombre de Corbyn, John McDonnell, a déclaré: «Comme nous l’avons dit dans notre déclaration [du groupe de campagne socialiste] qui appelle à la réadmission de Jeremy, la priorité doit maintenant être pour le parti de s’unir et d’intensifier la lutte pour les politiques socialistes nécessaires pour réparer le mal que les torys (Parti conservateur) infligent à notre pays».

Même après que Starmer ait renvoyé ces mots au visage de leurs auteurs, le chœur dégradant des plaidoyers pour «l'unité du parti» a continué.

En réponse au retrait du whip par Starmer, McDonnell s’est une fois de plus mis à genoux pour le supplier: «C’est tout simplement mal et cela va causer plus de division et de désunion au sein du parti… Je lance un appel à tous pour qu’il soit temps de passer à autre chose et de commencer à travailler ensemble pour mettre en œuvre la CEDH».

Richard Burgon, le secrétaire du Socialist Campaign Group, un groupe de 34 députés qui se décrivent comme «de gauche», a déclaré: «Jeremy devrait immédiatement retrouver le whip. En période de crise nationale, la division au sein du Parti travailliste ne sert personne d’autre que le gouvernement conservateur».

Seuls 18 députés du SCG ont signé une lettre le 5 novembre qui s’oppose à la suspension de Corbyn. Vingt-sept ont demandé que le whip lui soit rendu, au motif que sa suppression «sape gravement les efforts qui visent à s’unir pour vaincre l’antisémitisme et mettre pleinement en œuvre les recommandations de la Commission européenne des droits de l’homme, ainsi que pour défier et vaincre ce gouvernement conservateur désastreux».

McCluskey a également tweeté: «L’unité du Parti travailliste autour de la nécessité de mettre en œuvre les recommandations de la Commission européenne des droits de l’homme dans leur intégralité est en train d’être compromise de manière irréfléchie».

La droite du Parti travailliste ne se trouve que renforcée par une telle démonstration obscène de lâcheté politique. Gemma Bolton, un nouveau membre pro-Corbyn du CNE, a fait l’objet d’une enquête – quelques jours seulement après son élection – pour un tweet de 2018 qui décrivait Israël comme un État d’apartheid et défendant la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).

Selon le Guardian, 827 membres du Parti travailliste ont déjà fait l’objet d’une enquête pour antisémitisme présumé depuis que Starmer est devenu chef et un tiers d’entre eux ont été expulsés du parti. Parmi eux, on retrouve des officiers du Parti travailliste de la circonscription de Bristol Ouest qui ont organisé une motion la semaine dernière pour condamner la suspension de Corbyn.

Des milliers d’autres – dont Corbyn lui-même, qui est en sursis – suivront. Le New Statesman, l’organe de la droite du Parti travailliste, a déclaré mercredi: «Les pouvoirs statutaires de la Commission européenne des droits de l’homme signifient qu’on va modifier les règles. Le Parti va examiner de nouveau une liste de plaintes de la Campagne contre l’antisémitisme et d’autres organisations contre Corbyn et 13 autres députés travaillistes en exercice.» La Campagne contre l’antisémitisme et JLM étaient les premiers plaignants contre la direction de Corbyn auprès de la Commission européenne des droits de l’homme.

Starmer a promis «un processus de plainte indépendant dès que possible au cours de la nouvelle année». Ce processus sera entièrement entre les mains de la direction de Starmer et du JLM.

Le Parti travailliste ne survivra pas à cette rafle maccartiste. Le registre des membres éligibles pour les élections de la CNE de la semaine dernière montre que le parti a perdu près de 57.000 membres depuis qu’on a élu Starmer à la tête du parti. Selon le blogue Skwawkbox, moins de 130.000 personnes ont pris la peine de voter lors de l’élection de la CNE, soit moins que lors de l’élection de la direction du Parti conservateur et moins de la moitié du total des votes exprimés lors d’une élection partielle de la CNE travailliste en début d’année.

(Article paru en anglais le 19 novembre 2020)

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