Le gouvernement du Guatemala réprime les manifestations anti-austérité

Dans un contexte de crise sociale historique et de plus en plus profonde au Guatemala, exacerbée par la pandémie de COVID-19 et les ouragans Eta et Iota ce mois-ci, des milliers de personnes ont participé à des manifestations organisées dans tout le pays pour s’opposer à l’austérité.

Les manifestations de samedi et dimanche ont été provoquées par l’approbation d’un budget pour 2021 qui prévoit des coupes dans les programmes de lutte contre la faim, l’éducation du public, les soins contre le coronavirus et la protection des droits de l’homme.

Le rétablissement à la dernière minute des fonds pour les programmes alimentaires n’a pas réussi à apaiser les manifestants, qui exigeaient une augmentation importante des dépenses sociales.

Des flammes jaillissent d'un couloir du bâtiment du Congrès après que les manifestants aient mis le feu à une partie du bâtiment, à Guatemala City, le samedi 21 novembre 2020. (AP Photo/Oliver De Ros)

Samedi, des centaines de personnes sont entrées dans le bâtiment du Congrès à Guatemala City et ont mis le feu à une salle, initialement sans l'intervention de la police qui était présente.

La principale manifestation d’environ 7.000 personnes, à laquelle participaient des familles avec enfants, s’est rendue sur la Plaza de la Constitución, à environ quatre pâtés de maisons du Congrès.

«La démission des législateurs et du président, le blocage du budget 2021 et la colère pour le manque d’aide aux communautés touchées par les tempêtes ont été les principaux slogans», selon El Periodico. Ce dernier a également fait état de manifestations dans les villes de Alta Verapaz, Petén, Chiquimula, San Marcos et Quetzaltenango.

Un manifestant a déclaré à l’AFP: «Le Guatemala pleure du sang; le peuple en a assez. Nous vivons en nous faisant piétiner depuis plus de 200 ans». D’autres ont dénoncé le manque d’aide économique pendant la pandémie.

Immédiatement après l’incendie du Congrès, les forces spéciales de la police se sont mobilisées contre les manifestants et les passants sur la Plaza et dans les rues avoisinantes avec du matériel antiémeute, des bombes lacrymogènes et un canon à eau. À l’hôpital voisin, on a dû soigner quatorze manifestants qui avaient été battus ou victimes des effets du gaz lacrymogène – un a perdu un œil et un autre reste dans un état grave – et 40 ont été arrêtés.

Le président de droite Alejandro Giammattei a également exploité l’incident au Congrès pour menacer les manifestants. «Nous n’autoriserons pas le vandalisme contre la propriété publique ou privée. Quiconque sera pris à participer à ces événements criminels subira tout le poids de la loi», a-t-il tweeté.

Le principal groupe qui représente les intérêts du patronat, le CACIF, a également appelé à la punition des responsables de «vandalisme» et d’«actions violentes».

Un jour avant la manifestation, le vice-président Guillermo Castillo a toutefois dit à Giammattei qu’il serait mieux qu’ils démissionnent tous les deux, exprimant les craintes d’une explosion sociale. «J’ai exprimé très clairement au président que les choses ne vont pas bien», a-t-il déclaré dans une vidéo publiée sur les médias sociaux. Il a ensuite déclaré qu’une telle manœuvre était nécessaire pour finalement faire passer un budget basé sur «l’austérité pour éviter de nouvelles dettes».

En 2015, une série de protestations de masse a contraint le Congrès à retirer l’immunité au président de l’époque, Otto Pérez Molina, qui était impliqué dans un vaste programme de corruption, et l’a forcé à démissionner. À l’époque, des ONG et des partis qui avaient des liens avec Washington ont finalement réprimé les troubles en tentant de les canaliser derrière un soutien à la Commission internationale contre l’impunité (CICIG), parrainée par les États-Unis, qui avait enquêté sur Pérez Molina.

On a remplacé ce dernier par les administrations de Jimmy Morales et Giammattei, qui ont mené des campagnes «anticorruptions» qui visent à dissimuler les intérêts de classe qu’ils représentent et leur subordination à l’impérialisme américain.

Alors que la pandémie se propage librement dans un contexte de réouverture économique totale et de fin de l’aide aux personnes sans revenus, les décès dus au coronavirus atteignent des niveaux jamais vus depuis juillet. On a signalé plus de 100 décès rien que mercredi et jeudi, le nombre total de décès enregistrés dépassant désormais les 4.000.

Les événements climatiques extrêmes, intensifiés par le réchauffement climatique, ont également affecté les moyens de subsistance de millions de personnes. Après cinq années de sécheresse dévastatrice, le Guatemala, le Salvador et le Honduras ont été ravagés cette année par les tempêtes tropicales Amanda et Cristobal en juin, et Eta et Iota en novembre. Elles ont provoqué une dévastation généralisée des plantations.

Le gouvernement guatémaltèque estime que les tempêtes ont détruit 120.000 hectares de plantations, ce qui implique 30 cultures différentes. Les autorités ont fait état de 59 morts et de 100 disparus lors des deux tempêtes les plus récentes. Eta a provoqué un glissement de terrain qui a enseveli tout le village indigène de Queja, où les familles craignent que le nombre de disparus soit beaucoup plus élevé.

Les habitants de plusieurs zones touchées ont déjà organisé des manifestations pour demander de l’aide, notamment lorsque Giammattei s’est rendu dans la ville de Cobán pour une séance de photos avec les équipes de secours d’urgence.

En juin, l’ONG Action contre la faim avait déjà estimé que la population privée de nourriture doublerait pour atteindre 1,2 million de personnes au Guatemala en raison de la pandémie. Elle a cité la perte d’un demi-million d’emplois et une baisse des envois de fonds.

La Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine (CEPAL) a estimé une augmentation similaire du nombre de personnes vivant dans la pauvreté officielle, atteignant 51,6 pour cent.

Exploitant la pandémie, le gouvernement a émis une dette de 3,8 milliards de dollars, mais seulement 15 pour cent de cette somme a été effectivement dépensée pour la réponse à la pandémie, soit environ 570 millions de dollars. En comparaison, 15 pour cent du budget public de 2021, soit 1,9 milliard de dollars, seront consacrés au service des paiements des intérêts.

La corruption gouvernementale est incontestablement endémique, mais les attaques continues contre les conditions sociales des travailleurs, des jeunes et des paysans et l’imperméabilité de l’élite dirigeante à la souffrance de masse sont le résultat de processus historiques et internationaux plus larges.

Quelles que soient les pressions qui viennent de la base, le gouvernement et tous les partis politiques capitalistes sont en fin de compte redevables à la minuscule oligarchie financière et corporative du Guatemala et à ses patrons impérialistes. Depuis son indépendance de l’Espagne en 1821, l’oligarchie foncière traditionnelle et la bourgeoisie commerciale montante n’ont jamais poursuivi les tâches accomplies sous les révolutions démocratiques bourgeoises aux États-Unis et en Europe, principalement l’éclatement des domaines des grands propriétaires terriens et son indépendance des puissances coloniales.

Le clan Aycinena a incarné ce processus. Il contrôlait de vastes étendues de commerce et de terres à travers l’Amérique centrale avant et après l’indépendance de l’Espagne en 1821, et qui poursuit sa lignée jusqu’à l’ex-président guatémaltèque Álvaro Arzú Irigoyen (1996-2000) et le réseau de groupes d’entreprises partenaires de sa famille.

Des chercheurs ont également retracé la fortune de la famille Diaz-Durán au Guatemala, où les ministres et les hommes d’affaires ont fortement soutenu les privatisations au cours des dernières décennies. Cette famille tire ses racines des propriétaires terriens qui se sont installés après la conquête espagnole de ce qui allait devenir le Salvador.

Le Guatemala compte également un milliardaire «qui a bâti sa propre fortune», Mario López Estrada. Ce dernier a pris possession de la principale entreprise de téléphonie mobile du pays, Tigo (anciennement Comcel), après avoir été ministre des Communications, lorsque l’entreprise s’est vu confier le contrôle monopolistique du secteur, tout en bénéficiant par la suite de nombreuses exonérations fiscales et de réductions des factures de service public.

Pendant toute cette période, les intérêts de cette élite dirigeante, de l’accès au crédit et aux investissements étrangers à la production et aux marchés d’exportation, sont restés entièrement subordonnés à ceux de Wall Street et des sociétés américaines et européennes.

Aujourd’hui, afin de payer la montagne de dettes accumulées dans le cadre du sauvetage de leurs banques et sociétés, l’impérialisme américain et européen intensifie impitoyablement leur exploitation des travailleurs à l’échelle mondiale, leur pillage néocolonial et leur campagne hégémonique contre leurs rivaux géopolitiques, principalement la Chine. C’est ce qui explique l’incapacité du capitalisme guatémaltèque à satisfaire les besoins sociaux les plus élémentaires et son recours à la répression d’État policier.

Pour s’opposer à l’austérité, la classe ouvrière guatémaltèque doit s’organiser indépendamment de toutes les forces capitalistes «anticorruptions» et des syndicats procapitalistes et construire une nouvelle direction politique dans le cadre d’un programme révolutionnaire socialiste et internationaliste.

(Article paru en anglais le 23 novembre 2020)

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