Bhaskar Sunkara de Jacobin sur le coup d’État du 6 janvier de Trump: «allez, circulez!»

Mercredi, le président américain Donald Trump a été l’instigateur d’un coup d’État fasciste qui visait à interrompre la session du Congrès au cours de laquelle la défaite de Trump à l’élection présidentielle de 2020 devait être certifiée. En réponse, les principaux membres du magazine Jacobin, qui est associé aux Socialistes démocrates d’Amérique (Democratic Socialists of America), ont réagi par une campagne qui vise à minimiser l’importance de ce qui se passait.

Le fondateur et rédacteur en chef de Jacobin, Bhaskar Sunkara, a donné l’exemple en tweetant vers 18 heures mercredi: «Quel est l’avantage de dire "c’est un coup d’État"? Je ne comprends pas l’avantage de trouver les étiquettes les plus extrêmes pour les mauvaises choses».

Bhaskar Sunkara, le rédacteur et éditeur fondateur de Jacobin, tweete que les événements du 6 juin n’étaient pas un coup d’État

Que se passait-il avant la mise en garde de Sunkara contre l’apposition d’«étiquettes extrêmes» sur les événements de la journée? Entre 13 et 14 heures, des milliers de partisans de Trump ont envahi le bâtiment du Capitole, suite à un discours de Trump qui insistait sur le fait que «vous ne reprendrez jamais notre pays avec faiblesse». Avec la complicité de la police, ils sont entrés dans le bâtiment vers 14 heures, s’emparant des bureaux et de la salle du Sénat. Les photos montrent des insurgés en tenue de camouflage, armés de fusils et de cordes à lier, qui auraient servi à attacher des otages.

Jacobin a répondu par une campagne coordonnée pour insister sur le fait que rien de particulièrement remarquable ne se passait. Branko Marcetic, journaliste principal de la maison, a tweeté à 16 h 58: «Les événements à Washington sont certes alarmants. Mais, on doit aussi garder à l’esprit que ce n’est pas la première fois qu’un bâtiment de la capitale est pris d’assaut – ou quel que soit le terme que vous voulez utiliser – par des manifestants armés. Cela ne signifie pas non plus la fin de la démocratie américaine».

Le tweet de Marcetic rassurant tout le monde que la démocratie américaine était saine et sauve est arrivé 40 minutes après que le président Trump ait publié une vidéo louant les manifestants fascistes comme «des gens très spéciaux». Environ 15 minutes après le tweet de Marcetic, des vidéos diffusées sur les médias sociaux ont montré des émeutiers d’extrême droite attaquant des médias.

Moins d’une demi-heure plus tard, à 17 h 52, Sunkara a tweeté son indifférence face aux événements. Il a fait suivre son tweet initial cité ci-dessus d’un autre tweet qui présentait son évaluation des événements: «J’ai vu la stabilité des institutions républicaines américaines face à une foule de droite et à un parti dont le chef s’est engagé à les délégitimer jusqu’à présent.»

Le tweet de Sunkara a été suivi d’un autre de Julia Damphouse, coordinatrice des groupes de lecture du magazine Jacobin et chef du bureau européen. Elle a écrit à 18 h 42: «Appeler cela un coup d’État, c’est comme appeler la CHAZ [zone autonome de la colline parlementaire] de Seattle un coup d’État parce que Kshama Sawant a laissé entrer les gens à l’hôtel de ville. Il est temps de se ressaisir».

C’est-à-dire qu’en réponse à l’insurrection fasciste à Washington DC, un événement qui restera dans l’histoire comme un tournant politique important, la chef du bureau européen de Jacobin dit aux travailleurs et aux jeunes concernés de «se ressaisir». Son fondateur et rédacteur en chef insiste sur la «stabilité des institutions républicaines américaines», et l’un de ses principaux chroniqueurs déclare que rien d’extraordinaire ne se passe.

Alors que Jacobin s’opposait à l’idée qu’un coup d’État était en cours, le parti démocrate lui-même se taisait. Pendant des heures après le début de l’insurrection, aucun des principaux responsables du parti démocrate n’a fait de déclaration dénonçant la conspiration ou appelant à la résistance populaire contre le coup d’État. Lorsque Biden est finalement apparu devant le public, c’était uniquement pour lancer un appel à Trump, le chef de la conspiration, pour qu’il «prenne ses responsabilités» et annule le coup d’État.

Tout au long du complot de Trump, avant et après l’élection, les démocrates se sont efforcés de dissimuler l’attaque de grande envergure contre les droits démocratiques. En tant que parti de Wall Street et de l’armée, leur principale crainte a été que la révélation de la conspiration ne déclenche une opposition de masse d’en bas qui ne pourrait être contrôlée.

Jacobin et les Socialistes démocrates d'Amérique, fonctionnant comme une faction du parti démocrate, ont joué le rôle qu’on leur a assigné.

Jeudi matin, le lendemain des tweets de Sunkara, Damphouse et Marcetic, Jacobin a publié un article de David Sirota. Ce dernier est un agent de longue date du parti démocrate et un ancien rédacteur des discours de Bernie Sanders. Intitulé «L’insurrection était prévisible», l’article est un exercice de dissimulation politique.

Sirota commence par affirmer que Jacobin avait déjà mis en garde contre «la menace croissante d’une tentative de coup d’État, se demandant pourquoi les démocrates et les médias ne l’ont pas prise plus au sérieux. On nous a raillés, comme si de telles choses ne pouvaient jamais arriver aux États-Unis. Plus personne ne roule des yeux maintenant, après les événements de mercredi au Capitole américain».

Sirota omet de mentionner que le premier à «rouler des yeux» n’est nul autre que le rédacteur en chef et fondateur du magazine pour lequel il écrit!

Quant à l’affirmation selon laquelle Jacobin a été en première ligne pour mettre en garde contre la menace croissante d’une tentative de coup d’État, rien n’est plus faux. Sur les trois liens fournis par Sirota comme preuve des prétendus «avertissements» du magazine, seul un d’ente eux est un article de Jacobin.

Au contraire, au cours de l’année dernière, Jacobin a publié une série d’articles minimisant la menace qui pèse sur les droits démocratiques. Le 17 avril, Daniel Finn a écrit que qualifier Trump de «protofasciste» était une «hyperbole mélodramatique».

Plus tard dans l’année, lorsque des complots fascistes qui visaient à kidnapper et à tuer les gouverneurs Gretchen Whitmer et Ralph Northam sont apparus, Jacobin a attendu deux semaines pour réagir. Lorsqu’ils ont finalement abordé la situation, l’article de Branko Marcetic a fait valoir que le complot du Michigan était «exagéré», que les médias étaient engagés dans le «sensationnalisme» et que la violence de l’extrême droite «reste une menace statistiquement mineure pour la vie».

Pas plus tard que le 2 décembre, Jacobin déclarait, dans un autre article de Daniel Finn, que le «futur coup d’État» de Trump s’était terminé «par une faible reddition» et que «l’aboiement de Trump s’est avéré bien pire que sa morsure».

En niant l'ampleur de la crise et en soulignant la «stabilité des institutions républicaines américaines», Jacobinne fait qu’exprimer son hostilité organique à la révolution. La politique de Jacobin – et c'est la politique de tous les Socialistes démocrates d'Amérique – est basée sur la position que la réforme sociale sera réalisée par le parti démocrate dans le cadre du système capitaliste.

La chronique de Sirota, qui reconnaît la réalité d’un coup d’État, est en conflit avec la réponse initiale de Sunkara. La conclusion, cependant, est la même. Sirota proclame que le moyen de saper la force de Trump est de faire pression sur les démocrates pour qu’ils mettent en œuvre une réforme sociale, ce qu’ils ne feront pas.

Ceux qui composent le comité de rédaction de Jacobin, parlant au nom de sections privilégiées de la classe moyenne supérieure, se caractérisent par leur complaisance, leur opportunisme et leur manque de sérieux. Tout ce qu’ils écrivent vise à freiner l’opposition sociale croissante qui vient d’en bas.

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