Le gouvernement néerlandais tombe alors que les décès augmentent dus à la pandémie de COVID-19

Le 15 janvier, le premier ministre néerlandais Mark Rutte a annoncé la démission de son gouvernement avant les élections nationales prévues pour le 17 mars. Il dirigera un gouvernement intérimaire jusque-là.

Rutte a affirmé que sa démission visait à réparer le tort commis dans un scandale de l'aide sociale de 2013-2019, dans lequel l'État néerlandais a accusé à tort 26.000 parents de familles binationales de fraude à l'aide sociale, les forçant indûment à rembourser des dizaines de milliers d'euros d'allocations familiales. «Avec cette décision, le gouvernement veut rendre justice à tous ces parents qui ont été lésés sans précédent», a déclaré Rutte. «La primauté du droit devrait protéger les citoyens du gouvernement tout-puissant, et cela a terriblement mal tourné ici.»

Le scandale de l'aide sociale est un crime d'État: des dizaines de milliers de familles, sélectionnées par les agences d'aide sociale néerlandaises via le profilage ethnique de ceux qui détiennent la double nationalité marocaine ou turque, ont été ruinées et humiliées financièrement. Cette sélection ethnique sans pitié de citoyens à ruiner est un signe inquiétant d'un sentiment fasciste croissant au sein de la machine d'État, impliquant l'ensemble de l'establishment politique néerlandais. Ce qui motive la démission de Rutte n’est pas, cependant, une crise nationale, encore moins la prétendue contrition de Rutte à propos des politiques anti-musulmanes de son gouvernement.

Le premier ministre néerlandais Mark Rutte (Arno Mikkor/Wikimedia Commons)

Rutte a défait son propre gouvernement sur fond de la colère croissante parmi les travailleurs du monde entier contre les politiques d'«immunité collective» de l'élite dirigeante sur la pandémie de COVID-19, et alors que le nombre de décès de Néerlandais dans la pandémie a atteint 13.000 personnes. Les gouvernements de toute l'Europe chancellent après que le président américain Donald Trump a incité une foule à prendre d'assaut le Capitole à Washington le 6 janvier dans une tentative de coup d'État fasciste. Rutte a démissionné quelques jours seulement après que Matteo Renzi s'est retiré du gouvernement de coalition du premier ministre italien Giuseppe Conte, et le gouvernement estonien est tombé à la suite d'un scandale de corruption.

La démission de Rutte survient alors que la bourgeoisie réfléchit au niveau international à un tournant vers des formes autoritaires de gouvernement, contre une colère de masse de la classe ouvrière face aux politiques d'austérité et d'«immunité collective».

Par le biais de sa démission, Rutte vise à surmonter la tempête, à se faire réélire et à poursuivre sa politique, dont «l'immunité collective» et l'incitation à la haine anti-musulmane, avec le moins de changements possible. Surtout, la démission vise à perpétuer la fraude politique selon laquelle la politique de la bourgeoisie néerlandaise est libérale et démocratique, alors qu'elle poursuit en fait une politique meurtrière, toujours plus fascisante sur la pandémie et contre les droits de la classe ouvrière: en particulier ceux des travailleurs immigrés.

Les affirmations démagogiques de Rutte selon lesquelles il regrette que son gouvernement ait «fait subir un préjudice sans précédent» sont démenties par la défense par l’establishment politique des ministres successifs de divers partis qui ont supervisé la persécution des bénéficiaires des allocations familiales.

Le ministre de l’Économie Eric Wiebes, du Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) de Rutte, a démissionné. Il a déclaré effrontément qu'il ne se sentait pas coupable d'avoir ruiné les bénéficiaires de l'aide sociale: «Pendant longtemps, j'ai cherché ce que j'aurais pu faire différemment. Je ne me sens pas coupable, mais je me sens extrêmement responsable. Je le porte en moi, ça ne me quittera plus. Je n'ai pas été en mesure de découvrir ce que j'aurais pu raisonnablement faire différemment pour éviter cela. Cela ne fait que rendre les choses encore plus tristes.»

Le ministre des Finances Wopke Hoekstra, maintenant candidat aux élections de l'Appel chrétien-démocrate (CDA), a déclaré sans vergogne sa profonde sympathie pour les parents: «Les conversations avec les parents m'ont profondément touchée. Sans avoir commis aucun tort, ils ont été mis en difficulté par le gouvernement. Cela ne peut pas et ne doit pas se produire dans notre état de droit, et nous devons faire en sorte que cela ne se reproduise plus jamais. »

Alors que l'ancien ministre des Affaires sociales, Lodewijk Asscher, a retiré sa candidature électorale du Parti travailliste (PvdA) couvert de honte à cause du scandale, le PvdA l'a salué. La présidente du PvdA, Nelleke Vedelaar, a déclaré: «Lodewijk montre ce qui caractérise un vrai leader: la décision, la vision et l'idéalisme. Au nom de tout le parti, je tiens à remercier chaleureusement Lodewijk pour ses efforts inlassables pour le parti et l'avenir de la social-démocratie.»

Quant au Parti de la gauche verte et au Parti socialiste maoïste petit-bourgeois (PS), ils sont eux aussi politiquement impliqués par leur décision de rejoindre et de promouvoir le comité parlementaire spécial sans pouvoir qui a enquêté sur le scandale en novembre-décembre 2020. Le parlementaire de la gauche verte Tom van der Lee et la parlementaire PS Renske Leijten ont siégé au comité et ont signé son rapport. Alors qu'ils ont intitulé le rapport «Injustice sans précédent», ils n'ont envoyé aucun politicien ou fonctionnaire de haut rang en prison. Un meilleur titre pour leur rapport aurait été «Impunité sans précédent».

Ces partis travaillent maintenant à promouvoir la machine d'État et toutes les illusions utiles selon lesquelles ces élections mettront fin à la corruption et à la criminalité de l'État. Le président du Parti de la gauche verte, Jesse Klaver, a déclaré: «La Chambre des représentants doit rectifier les erreurs qu'elle a commises ces dernières années, afin de pouvoir commencer à restaurer l'État-providence le plus rapidement possible.»

Le PS, dont la cheffe Lilian Marijnissen a qualifié le rapport du comité parlementaire sur le scandale de «très dur», a réagi à la démission de Rutte en publiant une déclaration intitulée «Scandale des prestations sociales: ce n'est pas la fin, c'est le début». Elle a écrit: «En partie grâce à la parlementaire du PS Renske Leijten, le scandale des allocations a été dévoilé […] Nous poursuivons notre combat pour un gouvernement juste.»

En fait, la protection sans fin du gouvernement Rutte par le Parti de la gauche verte, le PS et leurs différents alliés politiques a principalement profité à Rutte lui-même. Il est premier ministre depuis 2010, y compris pendant toute la période où les agences d'aide sociale ont persécuté les parents. Son incitation incessante au sentiment anti-turc lors des élections de 2017 – allant jusqu'à ordonner à la police néerlandaise d'expulser des responsables turcs en visite aux Pays-Bas – a contribué à susciter le climat xénophobe dans lequel ces maltraitances se sont produites.

Néanmoins, malgré toute la couverture du scandale des prestations sociales, le VVD de Rutte mène dans les sondages avec entre 35 et 43 pour cent des voix. Le Parti pour la liberté (PVV), d’extrême droite, de Geert Wilders est derrière le VVD avec environ 25 pour cent.

Des sections plus astucieuses de la bourgeoisie spéculent que cela permettra à Rutte de remporter un deuxième mandat, malgré son bilan totalement réactionnaire. Le Financial Times de Londres a écrit: «Ironiquement, un effondrement du gouvernement peut finir par protéger M. Rutte en répartissant la responsabilité [du scandale des retraites] parmi les quatre partis de la coalition, plutôt que sur le seul premier ministre. Les Néerlandais se rendront aux urnes le 17 mars. Si M. Rutte sortait victorieux – comme le suggèrent les sondages –, le scandale serait un autre écueil politique qu'il aura réussi à surmonter.

Surtout, ce scandale révèle que, tout au long de la pandémie, alors que Rutte a refusé un confinement, entrainant des milliers de morts évitables, ce dernier a eu le soutien de la quasi-totalité de l'establishment politique. Hormis les néo-fascistes comme Wilders, les autres – en particulier les partis cyniques de la classe moyenne, faussement présentés par les médias et l'élite dirigeante comme la «gauche» – se sont pliés en quatre pour le protéger.

Les élections ne résoudront aucun des problèmes auxquels la classe ouvrière est confrontée. Non seulement tous les principaux partis soutiennent les politiques d'«immunité collective», mais ils sont tous complices de l'agitation de sentiments xénophobes et islamophobes. L'événement historiquement sans précédent d'une tentative de coup d'État fasciste à Washington est un avertissement quant aux forces fascistes renforcées non seulement par ceux comme Wilders, mais surtout par les politiques du gouvernement Rutte et des partis qui le protègent.

Pour lutter contre cela, il faut se tourner vers la classe ouvrière internationale et construire, sur la base d’une perspective socialiste, un mouvement de la classe ouvrière à travers l'Europe pour une grève générale contre les politiques d'«immunité collective», le danger croissant du fascisme et le système capitaliste.

(Article paru en anglais le 20 janvier 2021)

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