Tokyo donne aux garde-côtes l’autorisation de tirer sur les navires étrangers

Une décision qui ne fera qu’aggraver les tensions dans la région indopacifique. La semaine dernière, les membres du Parti libéral démocrate (LDP) au pouvoir au Japon ont annoncé que le gouvernement avait confirmé la «réinterprétation» d’une loi qui autorise les garde-côtes japonais à tirer sur les navires étrangers essayant de débarquer sur des îles Senkaku/Diaoyu. Cette décision vise la Chine au moment où Tokyo, Washington et leurs alliés régionaux intensifient leurs efforts pour soumettre militairement et économiquement Pékin à leurs intérêts.

Le navire des garde-côtes japonais Yashima (Source: Wikimedia)

La réunion entre les représentants du gouvernement et les membres du LDP fut organisée par la division Défense nationale du parti. Auparavant, les garde-côtes japonais n’étaient autorisés à tirer sur des navires étrangers qu’en cas de légitime défense. Attaquer les navires d’un autre pays est une violation de l’article 9 de la Constitution japonaise, qui interdit explicitement au pays de faire la guerre ou d’utiliser d’autres formes d’agression militaire. Ce changement augmente considérablement les chances d’un affrontement armé avec la Chine sur les territoires contestés de la région.

La justification immédiate de Tokyo pour ce changement est une nouvelle loi chinoise qui autorise ses garde-côtes à utiliser leurs armes contre les navires dans les territoires qu’ils revendiquent. Cette loi est entrée en vigueur le 1er février, mais elle avait été élaborée vers la fin de 2020, après quatre années de provocations de plus en plus belliqueuses du gouvernement Trump.

Trump, soutenu par les démocrates et les républicains, s’est opposé à plusieurs reprises à la Chine en remettant en question le statut de Taïwan que Pékin considère comme une province renégate. Les États-Unis ont fourni à Taipei de grandes quantités d’armes et multiplié leurs visites officielles dans l’île. Pékin a déclaré que toute reconnaissance ou tentative de déclaration d’indépendance de Taipei déclencherait une réponse militaire chinoise.

Le Japon affirme que l’année dernière, les navires chinois ont navigué environ deux fois par mois dans les eaux entourant les îles Senkaku/Diaoyu et qu’avec l’adoption de la loi de Pékin, cela se produisit deux fois par semaine. Il affirme également que Pékin a envoyé plus de 1.100 navires en 333 jours (deux records) en 2020 dans la zone dite contiguë, proche des îles.

Répétant à la lettre la ligne de Washington, le Premier ministre japonais Yoshihide Suga a déclaré jeudi: «Je suis fermement convaincu que c’est un ordre libre et ouvert basé sur l’État de droit, et non sur la force ou la coercition, qui apportera la paix et la prospérité à la région et au monde».

Tokyo et Washington ont tous deux délibérément enflammé ce qui était autrefois des conflits territoriaux régionaux mineurs afin de faire pression sur la Chine. C’est ainsi que le Japon a «nationalisé» les îles Senkaku/Diaoyu en 2012.

Le gouvernement Biden intensifie son approche conflictuelle à l’égard de la Chine. Lors d’une conférence de presse mardi dernier, le secrétaire de presse du Pentagone, John Kirby, a déclaré: «Nous sommes d’accord avec la communauté internationale sur les Senkakus et leur souveraineté, et nous soutenons évidemment le Japon dans cette souveraineté». C’est là un changement par rapport à la position publique antérieure de Washington de ne pas prendre parti dans le conflit territorial.

Lorsque le gouvernement Biden est entré en fonction en janvier, son administration a rapidement assuré à Tokyo que les îles Senkaku/Diaoyu relevaient du traité de sécurité entre les États-Unis et le Japon, ce qui signifie que Washington soutiendrait le Japon dans un affrontement militaire avec la Chine au sujet de ces îles inhabitées. Le gouvernement Obama, dont Biden était le vice-président, avait mis en avant cette position pour la première fois en 2014.

La coopération militaire entre Tokyo et Washington s’intensifie également. L’année dernière, le Japon a augmenté le nombre de missions des Forces d’autodéfense (FAD) assurant la protection des navires américains lors d’exercices militaires dans la région indo-pacifique, passant de 14 à 25 en 2019. Cela comprenait des missions d’espionnage où la marine américaine collectait des renseignements sur les missiles balistiques et autres activités militaires de divers pays, dont la Chine faisait presque certainement partie. Tokyo n’a pas révélé où ces opérations ont eu lieu, mais seulement qu’elles «contribuaient à la défense du Japon».

La «réinterprétation» de la constitution japonaise en 2014 sous l’égide de l’ancien Premier ministre Shinzo Abe et la législation militaire connexe adoptée l’année suivante, ont permis au Japon de s’engager dans une soi-disant «autodéfense collective» ou de mener des opérations militaires à l’étranger pour aider un allié, principalement les États-Unis. Si les États-Unis organisaient une provocation contre la Chine, par exemple, au cours de l’une de ces missions conjointes, les forces de défense du Japon auraient le feu vert pour se joindre à l’attaque.

Ces provocations américaines contre la Chine comprennent des opérations dites de «liberté de navigation» dans et autour des îles contrôlées et revendiquées par la Chine et où les États-Unis envoient des navires de guerre. Dans le même temps cependant, Washington et Tokyo dénoncent la Chine pour avoir navigué ou survolé des eaux internationales proches d’îles contrôlées par le Japon, ou proches de celles ayant des liens avec lui, comme Taïwan.

Tokyo espère utiliser les allégations d’«agression chinoise» contre Taïwan pour promouvoir également ses propres intérêts impérialistes. Masahisa Sato, qui dirige la division des Affaires étrangères au LDP, a annoncé début février la création d’une «équipe de projet Taïwan» pour explorer la manière d’approfondir les relations avec Taipei. Suivant les traces de Washington, des législateurs du LDP ont demandé une loi similaire à celle de Washington sur les relations avec Taïwan. En vertu de cette loi de 1979, Washington ne reconnaît pas officiellement Taïwan, mais continue à lui fournir un soutien militaire.

Depuis 1979, les États-Unis ont apporté un soutien de fait à la politique de la «Chine unique» qui stipule que Pékin est le gouvernement légitime et que Taïwan fait partie de la Chine. Cependant, Washington a déclaré en août qu’il apportait des changements importants à sa politique sur Taïwan et au sens de la formule «Chine unique». Une loi similaire à Tokyo serait presque certainement un défi supplémentaire aux revendications de Pékin relatives à Taïwan, une ancienne colonie japonaise.

Sato a déclaré que Tokyo envisagerait d’intensifier les contacts diplomatiques entre les législateurs du Japon et ceux de Taïwan. Des membres du LDP ont suggéré des dialogues «2 + 2» entre les ministres japonais des Affaires étrangères et de la Défense et leurs homologues de Taipei, encouragés sans aucun doute par la campagne de Washington pour accroître ses relations diplomatiques officielles avec Taïwan.

Sato a également déclaré: «Nous voulons renforcer nos prouesses diplomatiques par une double approche, en utilisant nos équipes de projet sur les droits de l’homme et sur Taïwan». Comme Washington et les pays impérialistes, Tokyo cherche à exploiter les allégations non prouvées de «génocide» dans la région chinoise du Xinjiang ainsi que la répression de Pékin contre Hong Kong, pour justifier l’augmentation des tensions militaires avec la Chine.

(Article paru d’abord en anglais le 27 février 2021)

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