Perspectives

La classe dirigeante américaine s'apprête à lever les dernières restrictions alors que la pandémie continue de se propager

Alors que les États-Unis entrent dans la deuxième année de la pandémie de coronavirus, le nombre de décès continue d’augmenter à un rythme colossal de 2.000 par jour, et a récemment franchi la barre des 530.000. Même au rythme «réduit» de 60.000 à 70.000 nouvelles infections par jour, le nombre total d’Américains qui ont contracté le COVID-19 atteindra le chiffre stupéfiant de 30 millions de personnes d’ici le 15 mars. D’ici la fin avril, un Américain sur dix aura contracté cette maladie potentiellement mortelle.

Cependant, la classe dirigeante américaine poursuit ses activités comme si la pandémie était presque terminée. Dans les cas les extrêmes, les États du Texas et du Mississippi ont mis fin à toutes les restrictions liées au COVID-19, y compris la consigne de port du masque à l’échelle de l’État et toute limitation des opérations commerciales. «Les gens et les entreprises n’ont pas besoin que l’État leur dise comment fonctionner», a déclaré le gouverneur républicain Greg Abbott lors d’un événement organisé par la chambre de commerce du Texas. Son auditoire de millionnaires l’a naturellement applaudi.

Une enseignante tend la main à Pedro Garcia, 4 ans, alors qu’il arrive pour son premier jour d’école au Mosaic Pre-K Center dans le quartier Queens, le lundi 21 septembre 2020 à New York. (AP Photo/Mark Lennihan)

Abbott n’est que le cas le plus flagrant de ceux qui se moquent de la santé publique. Il a été rejoint ces deux dernières semaines par des dizaines d’autres gouverneurs, démocrates et républicains, qui exigent un assouplissement des restrictions du COVID-19.

Le gouverneur de Virginie, Ralph Northam, a assoupli les restrictions concernant les bars, les restaurants, les lieux de divertissement à grande échelle et même les stades de sport. La gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer, a pris des mesures similaires mercredi, déclarant qu’elle allait «permettre aux Michigandais de profiter davantage des plaisirs les plus simples de la vie». Le gouverneur de Pennsylvanie, Tom Wolf, a augmenté la fréquentation autorisée des installations sportives et de divertissement. Tous trois sont démocrates.

Les Centres fédéraux de contrôle et de prévention des maladies (CDC) ont critiqué les actions des gouvernements des États du Texas et du Mississippi, sans les nommer. La directrice du CDC, Rochelle Walensky, a averti que l’apparente stabilisation du nombre de nouvelles infections, à un niveau considérablement inférieur au terrible bilan de décembre et janvier, ne justifiait pas un assouplissement des protections sociales contre la pandémie.

«À ce niveau de cas», a déclaré Walensky, «avec la propagation des variants, nous risquons de perdre complètement le terrain que nous avons durement gagné. Ces variants constituent une menace très réelle pour notre population et notre progrès. Ce n’est pas le moment d’assouplir les mesures de protection essentielles qui peuvent arrêter la propagation de COVID-19 dans nos communautés, pas quand nous sommes si proches».

Le CDC n’applique toutefois pas ces préoccupations de santé publique à la mesure politique la plus importante qui menace d’accélérer la propagation de la pandémie dans l’ensemble de la population américaine: la volonté du gouvernement Biden de rouvrir toutes les écoles publiques à l’apprentissage en personne d’ici la fin des 100 premiers jours de mandat du président, c’est-à-dire d’ici le 29 avril 2021.

Biden lui-même a qualifié les mesures prises par le Texas et le Mississippi de «néandertaliennes» mercredi. Malgré d’innombrables études scientifiques qui démontrent que les salles de classe des écoles publiques remplies d’élèves sont un vecteur majeur de propagation de la pandémie, le gouvernement Biden a lancé ce que Politico a appelé une «campagne éclair pour inciter les écoles à rouvrir».

La première mesure prise par le secrétaire à l’Éducation, Miguel Cardona, qui est entré officiellement en fonction mardi soir mardi, a été d’annoncer la convocation d’un «sommet national sur la réouverture des écoles en toute sécurité» pour la fin du mois, auquel participeront des dirigeants des syndicats d’enseignants, afin de promouvoir la campagne de rentrée des classes en feignant de se préoccuper «des besoins scolaires, sociaux et émotionnels des élèves».

Mercredi, lors de son premier événement public, Cardona a effectué une tournée des écoles rouvertes en Pennsylvanie et dans le Connecticut, accompagné de la première dame, Jill Biden.

Biden a annoncé mardi qu’il révisait les lignes directrices fédérales pour la distribution des vaccins afin de reclasser les éducateurs en tant que «travailleur essentiel» de première ligne, les faisant effectivement avancer dans la file de vaccination afin que chaque enseignant puisse recevoir au moins la première dose d’un vaccin à deux doses d’ici la fin mars.

Cette désignation, en tant que «travailleurs essentiels», n’est pas une faveur pour les enseignants, mais les place plutôt potentiellement sous la même menace que les travailleurs de l’industrie de la viande et autres personnes obligées par le gouvernement fédéral, (en vertu de la loi sur la production de défense), de se présenter au travail ou autre. Et cela ignore un danger majeur de la scolarisation en personne: les élèves, qui n’ont pas encore été vaccinés, vont contracter le virus, soit entre eux, soit par les enseignants et autres membres du personnel (qui peuvent encore être infectieux même s’ils ont déjà été vaccinés), et les enfants vont propager le virus à leurs parents et à leurs grands-parents.

Le financement de la campagne de réouverture des écoles est un aspect majeur de la législation de «relance» qui est actuellement en débat au Sénat après que la Chambre l’a adoptée, vendredi dernier. Il représente 170 milliards de dollars sur les 1,9 billion de dollars prévus par le projet de loi. Dans le cadre de la campagne fédérale, le ministère de l’Éducation va commencer à suivre la situation de chaque État et district scolaire en termes de réouverture des écoles, chiffres que le gouvernement Trump a refusé de collecter.

Le gouvernement Biden serait également en train de discuter de la nomination d’un «tsar de la réouverture des écoles» pour mener la campagne. La présidente de la Fédération américaine des enseignants Randi Weingarten – qui a peut-être passé une audition pour ce poste – a déclaré: «Je suis heureuse que la Maison-Blanche dise que les écoles devraient rouvrir dans les 100 premiers jours. C’est que chaque État de la nation aurait dû faire en priorité il y a des mois et des mois».

Les démocrates et les républicains poursuivent la même politique fondamentale et défendent les mêmes intérêts sociaux: les demandes du grand capital, de Wall Street et des grandes banques pour une restauration de l’exploitation capitaliste «normale» de la classe ouvrière. Les enfants doivent retourner à l’école afin que leurs parents puissent être contraints de reprendre le travail, indépendamment du danger que représente la pandémie de COVID-19 pour leur santé et leur vie.

Un important article publié mercredi sur le site web du New York Times souligne les intérêts de profit qui sont en jeu. L’article se concentre sur les plans de «retour au travail» des grandes entreprises, qui n’ont actuellement qu’un quart de leurs employés qui se rendent dans leurs bureaux, observant que «de nombreuses entreprises, qui paient pour louer des bureaux vides, sont impatientes de voir ce nombre augmenter». L’article rapporte: «Une autre considération majeure tourne autour des enfants des travailleurs. Les entreprises disent qu’elles ne peuvent pas prendre de décisions fermes tant qu’elles ne savent pas quand les écoles locales rouvriront pour l’apprentissage en personne».

Cela résume la question de base: les sociétés veulent que les travailleurs retournent au travail, et elles ont besoin d’une date ferme de réouverture des écoles locales. Voici la base de la volonté fanatique du gouvernement Biden de rouvrir les écoles et de donner au patronat américain ce qu’il veut, et ce, dans les 100 premiers jours.

La résonance historique des «100 premiers jours» d’une administration provient du New Deal du président Franklin Delano Roosevelt, qui a fait passer une série de réformes sociales majeures à cette époque, au plus fort de la Grande Dépression. Les «100 premiers jours» de Biden sont liés non pas à une réforme sociale, ou à quoi que ce soit qui bénéficierait à la classe ouvrière, mais à l’exécution des diktats de Wall Street d’une manière qui causera des dommages incalculables à des millions de travailleurs et à leurs familles.

L’avancée positive de la vaccination de masse rend d’autant plus criminel le fait d’exposer quiconque au danger d’infection, sans parler des millions d’enseignants et des dizaines de millions d’écoliers. Et la menace que le coronavirus peut muter en des versions plus infectieuses ou plus résistantes à la vaccination rend une politique d’autorisation de l’infection de masse encore plus criminelle et irresponsable.

Le Parti de l’égalité socialiste mène une campagne diamétralement opposée à la politique meurtrière des démocrates et des républicains. Nous appelons les enseignants et autres travailleurs de l’éducation, soutenus par les parents et les élèves, à former des comités de sécurité indépendants dans chaque école qui lutteront pour un confinement complet de toutes les écoles jusqu’à ce que la pandémie de coronavirus soit vaincue.

Cela devrait être combiné à une vaste mobilisation des ressources de la société pour développer l’éducation en ligne et la rendre disponible et productive pour chaque enfant. La logique de ce combat est de lutter pour le renversement socialiste des relations de propriété existantes, une vaste redistribution des richesses et la reconstruction de la société dans l’intérêt de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 4 mars 2021)

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