Menace d’une brusque montée des cas au printemps due à des souches plus virulentes de COVID-19

Rochelle Walensky, la directrice des Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC), parlant à l’animateur de la radio publique nationale Ari Shapiro, a exprimé un degré d’inquiétude sur les prochaines semaines de la pandémie que l’on entend rarement de la part des hauts fonctionnaires.

«Je pense», déclarait-elle, «que les deux ou trois prochains mois pourraient aller dans l’une de deux directions. Si les choses s’améliorent, si nous ne sommes pas vraiment prudents, nous pourrions nous retrouver avec une flambée post-printemps comme nous avons vu une flambée post-Noël. Nous pourrions voir beaucoup plus de maladies. Nous pourrions voir beaucoup plus de morts».

Un chercheur du laboratoire de virologie de l’Université de médecine tropicale travaille à la mise au point d’un test qui permettra de détecter la variante P.1 du nouveau coronavirus, à Sao Paulo, au Brésil, le jeudi 4 mars 2021. (AP Photo/Andre Penner)

Des préoccupations similaires sont exprimées dans toute l’Europe. Là, après six semaines de baisse constante, on a signalé plus d’un million de nouveaux cas cette semaine, ce qui représente une augmentation de 9 pour cent par rapport à la semaine précédente. Hans Kluge, chef du Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Europe, a déclaré jeudi: «Nous constatons une résurgence dans les pays d’Europe centrale et orientale où les taux étaient déjà élevés».

Le système de santé de la République tchèque, durement touché, continue d’être mis à rude épreuve. Kluge a exhorté les nations à «revenir à l’essentiel» des mesures de santé publique. Cette recrudescence des infections est due à l’assouplissement des restrictions, combiné à la domination croissante des variantes plus virulentes du coronavirus.

Aux États-Unis, selon la carte des variants du CDC au 2 mars, on a détecté 2.506 cas de variants B.1.1.7 dans 46 États. Les États avec plus de 100 cas confirmés sont la Floride, le Michigan, New York, la Géorgie, le Texas et la Californie. Les souches B.1.351 et P.1, qui submergent le système immunitaire, sont également en augmentation, mais pas encore au même niveau.

Le Dr Michael Worobey, virologiste à l’université d’Arizona, a demandé que l’on accorde plus d’attention à la variante P.1 aux États-Unis. Il a exprimé la crainte qu’elle devienne plus courante, bien qu’elle soit en concurrence avec la variante B.1.1.7. «Au moins, elle sera l’une des concurrentes», a-t-il déclaré au New York Times.

Ces développements ont émoussé l’optimisme initial de nombreux scientifiques lorsque les vaccins COVID-19 efficaces ont commencé à être déployés en décembre. Les souches qui ont émergé d’Afrique du Sud et du Brésil se révèlent plus transmissibles et atténuent l’effet du vaccin et, éventuellement, échappent à l’immunité naturelle produite par les infections précédentes.

Le Dr Chris Murray, directeur de l’Institut de métrologie et d’évaluation de la santé (IHME), a exprimé la crainte que si la variante d’Afrique du Sud ou d’autres lignées qui présentent des mutations similaires continuent à se propager et deviennent les variantes dominantes, les hospitalisations et les décès dus au COVID-19 peuvent devenir l’hiver prochain quatre fois plus élevés que ceux dus à la grippe. Il a déclaré à Reuters que dans le pire des cas, cela signifierait jusqu’à 200.000 décès par le COVID. Ces chiffres sont dérivés des estimations du gouvernement fédéral concernant les décès annuels dus à la grippe.

On observe une hésitation croissante dans la manière dont les responsables de la santé publique répondent aux questions des médias quant au moment où le pays pourrait voir un retour à la normale. Le Dr Anthony Fauci, conseiller médical en chef du président Joe Biden, a déclaré: «Même après la vaccination, je voudrai toujours porter un masque si un autre variant existe. Il suffit d’un petit coup de pouce d’un variant pour déclencher une autre poussée, et votre prédiction est caduque».

Dans une interview accordée au site Internet «Wired», il a déclaré: «Ne déclarons pas encore victoire, d’accord? Vous ne voulez pas que le plateau que nous observons se stabilise à un niveau déraisonnablement élevé. En ce moment, le niveau des infections quotidiennes se situe entre 60.000 et 70.000 par jour. C’est un niveau absolument trop élevé pour être acceptable». Ces niveaux sont comparables aux sommets atteints pendant l’été.

Les services sanitaires locaux ont réagi avec grande inquiétude lorsque les gouverneurs du Texas et du Mississippi ont annulé les restrictions liées à la pandémie, levant toutes les obligations de port de masques et permettant aux entreprises de fonctionner à pleine capacité. Le gouverneur du Texas, Greg Abbott, a tweeté sans hésitation: «OUVERT à 100 pour cent. TOUT». Des manœuvres aussi rapides, dans le contexte des multiples souches qui circulent, font craindre aux scientifiques une flambée alarmante qui inondera à nouveau les systèmes de santé.

Biden a réprimandé les gouverneurs du Texas et du Mississippi pour leurs actions, disant: «La dernière chose dont nous avons besoin est la pensée Néandertalienne qu’en attendant, tout ira bien, enlevez votre masque, oubliez tout.» À cet égard, sa demande d’ouverture de toutes les écoles de la maternelle à la 12e année pour les cours en personne est pure hypocrisie. Des preuves récentes qui proviennent du Canada et du Royaume-Uni ont confirmé le rôle essentiel des écoles et des enfants comme vecteurs de transmission du virus. En outre, les nouveaux variants semblent être le plus prévalents chez les jeunes enfants. La réouverture des écoles va se croiser avec la montée des souches dominantes, versant de l’essence sur un feu qui couve. La vague de décembre à Manaus, au Brésil, le montre.

Depuis que la pandémie a frappé la région pour la première fois, on a identifié18 lignées du virus SRAS-CoV-2 dans l’État d’Amazonas. De ce pool de variants, le P.1 est apparu en novembre et s’est rapidement développé pour représenter 51 pour cent des échantillons séquencés en décembre. Dès la première quinzaine de janvier, le variant P.1 représentait 91 pour cent des coronavirus séquencés. Son ascension fulgurante a produit des souffrances horrifiantes et une hécatombe, les hôpitaux et les unités de soins intensifs (USI) étant à court d’oxygène médical.

Le Brésil continue de voir le nombre de cas quotidiens de COVID-19 monter en flèche et le nombre de décès quotidiens atteindre de nouveaux records. Alors que les systèmes de santé et les unités de soins intensifs sont soumis à une pression extrême dans tout le pays et qu’ils sont au bord de l’effondrement, le président Jair Bolsonaro continue de déclarer qu’«aucun confinement» ne serait autorisé.

L’Association nationale des secrétaires à la santé du pays a publié une déclaration affirmant que «l’accélération de l’épidémie dans divers États entraîne l’effondrement de leurs systèmes hospitaliers publics et privés, ce qui pourrait bientôt devenir le cas dans toutes les régions du Brésil».

Une étude récente sur le variant brésilien menée par une équipe de l’Imperial College de Londres et de l’Université de São Paulo a révélé que le variant P.1 était de 1,4 à 2,2 fois plus transmissible. Il échappe aussi de 25 à 61 pour cent à l’immunité protectrice de l’infection précédente, ce qui suscite des inquiétudes quant à l’efficacité des vaccins actuels. Plus important encore, ils ont cherché à comprendre pourquoi, si une partie importante de la population a déjà été contaminée à Manaus, la vague de décembre a dépassé celle d’avril, tant en nombre de cas qu’en intensité de transmission.

Outre une transmissibilité nettement plus élevée, même par rapport à la variante B.1.1.7, ils ont postulé que les mutations du variant P.1 aidaient le virus à échapper aux anticorps créés par les infections précédentes. Selon le New York Times, le Dr Nuna Faria, virologue à l’Imperial College, et son équipe de recherche «estiment que sur 100 personnes qui ont contracté une souche non P.1 à Manaus l’année dernière, entre 25 et 61 auraient pu être réinfectées si elles ont été exposées au P.1 à Manaus… Le Dr Faria a déclaré qu’“un nombre croissant de preuves suggère que la plupart des cas de la deuxième vague étaient le résultat de réinfections”».

Dans un autre rapport récemment publié, les chercheurs ont découvert que le plasma immunitaire des patients COVID-19 précédemment infectés avait une capacité de neutralisation six fois moindre contre la souche P.1.

Les réinfections peuvent ne pas se traduire par une maladie grave, car l’immunité des lymphocytes T peut permettre d’éviter la gravité des infections futures malgré la diminution des anticorps. Il est toutefois difficile d’obtenir une immunité collective par une infection naturelle ou par la vaccination, car les personnes infectées ou vaccinées antérieurement peuvent être sujettes à des infections répétées et devenir des vecteurs de futures transmissions communautaires. Le variant P.1 s’est répandu au Brésil et dans 24 autres pays, dont les États-Unis, où l’on a détecté 13 cas dans sept États.

Il devient essentiel, compte tenu de ces faits, que toutes les mesures soient prises pour réduire encore davantage la transmission du virus autant que possible. Le concept qui sous-tend la stratégie COVID zéro implique que des mesures d’atténuation strictes soient maintenues pendant une période déterminée. Elles doivent être renforcées par un soutien social à la population afin de ramener le taux quotidien de nouveaux cas à un niveau proche de «zéro». Un confinement strict en place pendant deux mois pourrait conduire les cas de COVID à des niveaux essentiellement indétectables ; et cela même avec une prédominance des nouveaux variants, tout en conduisant à une diminution de six fois des décès.

Cela permettrait aux gouvernements locaux et régionaux de renforcer l’infrastructure de santé publique et de mettre en place des campagnes de vaccination de masse avec le soutien des agences fédérales. En outre, la production et la distribution de ces vaccins doit être effectuées dans de vastes régions du globe afin de garantir un approvisionnement fiable de ces traitements vitaux. Pour gérer la première phase de la pandémie, il faut prévenir la mort et la morbidité dans toute la mesure du possible, tout en protégeant les systèmes de santé. Les élites dirigeantes du monde entier, qui subordonnent leur réponse à la pandémie au marché capitaliste, ont prouvé qu’elles n’étaient pas à la hauteur de ces tâches. L’intervention de la classe ouvrière sur la base d’un programme socialiste est nécessaire.

A la conférence de presse virtuelle COVID-19 du 1er mars de l’OMS, le directeur général, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus a déclaré: «Il est regrettable que certains pays continuent à donner la priorité aux adultes plus jeunes et en meilleure santé dans leur population sur les travailleurs de la santé et les personnes âgées ailleurs. Les pays ne sont pas en compétition les uns avec les autres. C’est une course commune contre le virus. Nous ne demandons pas aux pays de mettre leur propre population en danger. Nous demandons à tous les pays de participer à un effort mondial pour supprimer le virus partout… nous demandons à tous les gouvernements et à tous les individus de se rappeler que les vaccins seuls ne vous protégeront pas».

(Article paru d’abord en anglais le 6 mars 2021)

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