Les services secrets allemands qualifient officiellement l'Alternative pour l'Allemagne de parti «suspect d'extrémisme de droite»

La semaine dernière, le président de l' « Office fédéral pour la protection de la Constitution » (Verfassungsschutz – le nom donné au renseignement intérieur allemand) a informé ses collègues des Länder (États régionaux) que l'agence traiterait tout le parti Alternative pour l'Allemagne (AfD) comme suspect d'extrémisme de droite et qu’il fera désormais l’objet d’une surveillance à des fins de renseignement. Après s’être opposé pendant des années à une telle démarche, le gouvernement est maintenant contraint de reconnaître officiellement le caractère fascisant du plus grand parti allemand d'opposition.

Étant donné l’importance de la montée du fascisme en Allemagne, où est né le nazisme, il est extraordinaire de constater le peu d’attention que les médias prêtent au phénomène dans la presse internationale. En dehors d'un article une fois tous les deux mois dans le New York Times, cela est pratiquement ignoré aux États-Unis. Le fait est pourtant que trente ans après la réunification de l'Allemagne et la dissolution de l'Union soviétique, toutes les affirmations de «fin de l'histoire» et de triomphe de la démocratie libérale ont été réfutées de manière définitive.

Le Verfassungsschutz a résumé sa justification de cette classification, basée sur les déclarations de 302 fonctionnaires dont 88 au niveau fédéral, dans un rapport détaillé divulgué à divers médias. Il conclut que le groupe officiellement dissous et ouvertement fasciste « Der Flügel « («l’aile») exerce toujours au sein du parti une grande influence. Une «résistance violente» ne pouvait pas non plus «être exclue en principe», écrit le Verfassungsschutz.

Photo d’archive du 1 mai 2019 qui montre des partisans de l'AfD défilant devant une affiche électorale du parti à Erfurt, en Thuringe. (AP Photo / Jens Meyer, dossier)

Selon le rapport, les opposants politiques de l’AfD sont nommés «traîtres au peuple» et «destructeurs de l'Allemagne», les musulmans «diffamés, rabaissés et marginalisés dans tous les domaines». Le non-respect de la dignité humaine des migrants est non seulement «diamétralement opposé» à la garantie constitutionnelle de la dignité humaine et au principe d'égalité, «mais met aussi gravement en danger la cohésion sociale et la coexistence pacifique en Allemagne».

Il n’y a aucun doute quant au caractère extrémiste de droite de l'AfD. Dès 2017, le chef de son groupe parlementaire et président d'honneur Alexander Gauland a qualifié les crimes nazis de «fiente d'oiseau dans plus de 1000 ans d'une histoire allemande réussie» et a exprimé sa fierté à l'égard des soldats de la Wehrmacht d'Hitler. Les membres du parti et ses élus entretiennent des contacts étroits avec les néo-nazis violents et ceux du milieu terroriste de droite, dont les membres stockent des armes et dressent des listes de milliers d'opposants politiques qu'ils ont l'intention de tuer au «jour X ».

Légende: Alexander Gauland (à droite) avec le porte-parole de l'AfD de Thuringe et chef de « l’aile ' » fasciste Björn Höcke (AP Photo / Jens Meyer)

Mais le Verfassungsschutz, qui relève ostensiblement du ministère de l'Intérieur, a dissimulé et soutenu les extrémistes de droite pendant des années. Lorsque l'AfD a défilé à Chemnitz en août 2018 avec d'autres extrémistes de droite, incitant à la traque des réfugiés ainsi qu'à des attaques antisémites, le ministre de l'Intérieur Horst Seehofer a défendu la manifestation et a déclaré: «Si je n'étais pas ministre, Je serais aussi descendu dans la rue en tant que citoyen ».

Le chef du Verfassungsschutz d’alors, Hans-Georg Maassen, a même nié toute agitation d'extrême droite. Il a également rencontré régulièrement les dirigeants de l'AfD pour les conseiller sur la manière d'échapper à la surveillance des agences de renseignement.

La même année, le Verfassungsschutz a classé le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l'égalité socialiste, SGP) comme «extrémiste de gauche» et «anticonstitutionnel», entre autres, parce qu'il se positionnait «contre le prétendu nationalisme». Le SGP, plus que tout autre parti, a mis en garde contre le danger de la droite et organisé une résistance à son encontre.

Dans son rapport annuel, le service de renseignement cite du reste les manifestations contre les congrès de l'AfD, «la ‘lutte’ en cours contre les extrémistes de droite » et la collecte « d'informations sur les extrémistes de droite présumés ou réels et leurs structures » comme preuve d’une mentalité « extrémiste de gauche».

L'AfD est entrée au Bundestag (parlement fédéral) en 2017. Pour la première fois depuis la fin de la dictature nazie, plus de 90 députés d'extrême droite siégeaient au parlement. Le parti a ensuite été courtisé par tous les groupes parlementaires et intégré aux travail parlementaire. Il a été élu à la présidence de commissions importantes et a finalement été érigé en principal parti d’opposition par la Grande Coalition (CDU-SPD). En Thuringe, la CDU et le Parti libéral-démocrate (FDP) ont même formé une majorité gouvernementale avec les fascistes. Rien qu'en 2019, l'AfD a reçu plus de dix millions d'euros de subventions de l'État.

Ce n'est que grâce à cette politique que l'AfD a pu entrer dans les 16 parlements des Länder, construire un appareil considérable et étendre massivement son influence au sein de la police, de l'armée et des services secrets.

Maintenant, étant donné l'énorme opposition aux extrémistes de droite, même le ministère de l'Intérieur et le Verfassungsschutz ne peuvent éviter de reconnaître officiellement le caractère de l'AfD. Cela montre combien il faut prendre au sérieux le danger fasciste et confirme pleinement les avertissements fait par le SGP.

Mais il ne faut pas s’attendre à ce que le gouvernement ou les services secrets combattent sérieusement l'AfD de quelque manière que ce soit. Après tout, les dernières années ont montré à quel point le Verfassungsschutz était lié à l'extrême droite.

Même avant l'AfD, les employés des services secrets donnaient le ton dans les organisations d'extrême droite, et le Verfassungsschutz finançait de larges pans du milieu fasciste. Au cours de son «observation», le Verfassungsschutz a pénétré à tel point le Parti national allemand néonazi (NPD) que, selon les juges de la Cour suprême, il fallait parler de ce parti comme d'une «affaire d'État».

La Grande Coalition a non seulement fait de l'AfD l'opposition officielle, mais elle a aussi mis en pratique les politiques des extrémistes de droite. La construction de camps de déportation inhumains pour les réfugiés, le renforcement des mesures d’État policier et le réarmement le plus massif depuis la Seconde Guerre mondiale portent tous l’imprimatur de l’ AfD. Cela prend des formes particulièrement marquées avec la politique impitoyable de réouverture de l'économie suite à la pandémie de coronavirus, qui fait passer les profits des grandes entreprises avant la santé et la vie de la population.

Parce que le capitalisme n'a rien de plus à offrir à la grande majorité de la population que les inégalités sociales, le militarisme et la mort, la classe dirigeante recourt de plus en plus à des méthodes autoritaires et fascistes pour appliquer les politiques de l'oligarchie financière, comme elle l'a fait dans les années 1930. C'est pourquoi des tendances d'extrême droite sont développées et renforcées à travers le monde.

La tentative de coup d'État de Donald Trump le 6 janvier a marqué un tournant à cet égard. Trump a mobilisé des parties importantes de l'appareil d'État, le Parti républicain et une foule fasciste pour tenter de renverser les élections américaines et d’établir une dictature présidentielle. Ce n'est pas pour rien que Martin Renner, membre de l'AfD parlementaire, a écrit sur Facebook, peu de temps après l’assaut du Capitole: «Trump mène la même bataille politique – qui doit déjà être qualifiée de guerre culturelle – que nous en tant qu’‘Alternative pour l'Allemagne’ ».

Aux États-Unis, comme en Allemagne, l'opposition de l’establishment à l'extrême droite est mensongère et hypocrite. Il ne craint pas tant le programme des fascistes que la résistance qui se développe contre lui dans la classe ouvrière. Toutes les expériences historiques montrent que la lutte contre le fascisme ne peut s’appuyer sur l’État bourgeois et ses services secrets. Ces derniers utilisent inévitablement leurs pouvoirs accrus pour réprimer l'opposition venant de la gauche.

La seule façon d'arrêter le danger de l’extrême droite est de mobiliser la classe ouvrière internationale contre la racine du mal, le capitalisme. Telle est la perspective pour laquelle le SGP se bat lors des élections générales de cette année. Nous appelons tous ceux qui rejettent le retour du fascisme et de la guerre à soutenir cette campagne électorale et à devenir membres du SGP.

(Article paru en anglais le 8 mars 2021)

Loading