L’ouverture du procès de Derek Chauvin, 46 ans, l’un des quatre ex-policiers de Minneapolis (Minnesota) accusés de la mort de George Floyd, fut repoussé d’au moins un jour lundi. Le juge du comté de Hennepin, Peter Cahill, a reporté la sélection du jury étant donné qu’une cour d’appel examine actuellement le rétablissement éventuel d’une accusation moins grave de meurtre au troisième degré, abandonnée à l’automne dernier.

Actuellement, Chauvin est accusé de meurtre au second degré et d’homicide involontaire pour ses actes en mai dernier. Chauvin s’est agenouillé sur le cou de Floyd pendant plus de neuf minutes alors qu’il se trouvait menotté et coincé au sol par deux autres agents. Les experts juridiques suggèrent qu’une accusation de meurtre au troisième degré serait plus facile à prouver pour l’accusation.

La loi du Minnesota définit le meurtre au troisième degré comme «sans intention d’entraîner la mort d’une personne, causant la mort d’une autre en perpétrant un acte éminemment dangereux pour autrui et faisant preuve d’un esprit dépravé, sans égard à la vie humaine».

La pression en faveur de la réintroduction d’une accusation moindre reflète le degré d’anxiété qui entoure l’affaire. La classe dirigeante est parfaitement consciente qu’un échec à condamner Chauvin pourrait déclencher une éruption de colère sociale aux États-Unis et dans le monde. On a filmé Chauvin appuyant son genou sur le cou de Floyd alors même que ce dernier criait à l’aide. La mort de Floyd a déclenché des manifestations multiraciales et multiethniques massives dans le monde entier.

Un procès séparé pour les complices de Chauvin, les ex-policiers Thomas Lane, J. Alexander Keung et Tou Thao, doit commencer à la fin du mois d’août. Tous trois sont accusés de complicité de meurtre au second degré et de complicité d’homicide involontaire au second degré.

Le procès de Chauvin se déroule avec un degré de sécurité sans précédent. Les bâtiments gouvernementaux ont été massivement fortifiés dans les jours précédant le procès. Le centre gouvernemental est barricadé avec des clôtures, du fil à rasoir et autres barrières. La zone sera fermée au public pour la durée du procès, à l’exception de deux «zones de manifestation» soigneusement contrôlées par la police.

Dans une déclaration publique, le gouverneur du Minnesota, Tim Walz, un démocrate, a exprimé son désir de montrer au monde que le Minnesota a des conversations sur «la race et la sécurité publique». Parlant des «zones de manifestation», Walz a déclaré que les gens auraient la possibilité d’«exprimer leurs opinions». Il a également déclaré que les mesures de sécurité étaient «bien coordonnées» et «bien pensées» pour dissuader «les gens qui veulent causer des dommages».

Le maire de Minneapolis, Jacob Frey, lui aussi démocrate, a déclaré qu’il préparait d’éventuels troubles avec «un détail minutieux». On a mobilisé jusqu’à 2.000 soldats de la Garde nationale, en plus de 1.100 agents des forces de l’ordre de 12 juridictions locales.

Des membres de la Garde nationale sont déployés dans tout le centre-ville pour patrouiller dans la zone et intimider les manifestants. Selon Unicorn Riot, une publication d’information en ligne indépendante, un avion de surveillance du FBI a survolé Minneapolis jeudi dernier. Le FBI avait espionné de cette façon des manifestants à Baltimore, Maryland, lors des manifestations contre le meurtre de Freddie Gray par la police en 2015.

Des mesures extraordinaires ont aussi été prises pour la sélection du jury qui déterminera le sort de Chauvin. Les jurés potentiels ont reçu un questionnaire de 16 pages afin de déterminer ce qu’ils avaient entendu sur l’affaire et quelles pouvaient être leurs opinions. Le questionnaire demandait aux jurés s’ils avaient déjà eu affaire à la police, s’ils avaient participé à des manifestations contre les brutalités policières et s’ils estimaient que le système judiciaire était équitable.

Parmi les questions de l'enquête figurent:

• «Est-ce que vous ou quelqu’un que vous connaissez avez été blessé ou subi des dommages matériels lors des manifestations qui ont eu lieu après la mort de George Floyd?»
• «Avez-vous, ou l’un de vos proches, déjà aidé à soutenir ou à plaider en faveur ou contre la réforme de la police? Si oui, veuillez expliquer».
• «Pensez-vous que votre communauté s’est trouvée affectée négativement ou positivement par les manifestations qui ont eu lieu dans la région des villes jumelles [Minneapolis/Saint-Paul] depuis la mort de George Floyd?»
• Une question demande de répondre sur une échelle mobile entre «tout à fait d’accord» et «tout à fait en désaccord» sur des déclarations telles que «La discrimination n’est pas aussi grave que les médias le prétendent» et «Je suis favorable au retrait du financement pour la police de Minneapolis».

Les jurés du procès de Chauvin sont sélectionnés avec une minutie sans précédent. Contrairement à la procédure habituelle de sélection des jurés, les jurés potentiels sont interrogés individuellement, plutôt qu’en groupe. Avant qu’ils soient confirmés, l’avocat de la défense et les procureurs les interrogeront individuellement. La défense peut s’opposer à un maximum de quinze jurés sans raison, tandis que le ministère public peut en rejeter jusqu’à neuf.

Les mesures extraordinaires employées pour le procès de Chauvin montrent la nervosité de la classe dirigeante. Le procès sera surveillé de près avec beaucoup d’attentes et d’anxiété. Des millions de travailleurs, indignés par la brutalité policière, l’inégalité sociale et la pauvreté, s’attendent à ce que Chauvin et ses complices soient tenus responsables de leurs actes. Une infime partie des policiers sont accusés de meurtre et très peu sont reconnus coupables. Un acquittement pourrait faire exploser la poudrière sociale qu’est la société américaine.

(Article paru d’abord en anglais le 9 mars 2021)