Les États-Unis convoquent le «Dialogue quadrilatéral», une alliance quasi militaire contre la Chine

Le président américain Joe Biden a organisé hier le tout premier sommet des dirigeants de haut niveau du «Dialogue quadrilatéral», composé des États-Unis, du Japon, de l’Australie et de l’Inde. Si on a présenté publiquement cette réunion virtuelle comme portant sur le COVID-19 et le changement climatique, son véritable objectif ne faisait aucun doute: renforcer les liens militaires et stratégiques pour affronter la Chine dans toute la région inde-pacifique et préparer la guerre.

Depuis son entrée en fonction, Biden a clairement indiqué qu’il allait non seulement poursuivre, mais aussi intensifier la position agressive de Washington envers Pékin. Cette politique avait commencé avec le «pivot vers l’Asie» du gouvernement Obama, dont Biden faisait partie, intensifiée avec Trump. L’accent mis sur la Chine fut souligné par le fait que le « Dialogue quadrilatéral» était la première réunion multilatérale accueillie par Biden.

La déclaration commune publiée par les quatre dirigeants – Biden, le premier ministre japonais Yoshihide Suga, son homologe indien Narendra Modi et le chef du gouvernement australien Scott Morrison – contenait les principales formules anti-Chine: «un ordre libre et ouvert fondé sur des règles», «la liberté de navigation et de survol», la collaboration «pour relever les défis de l’ordre maritime fondé sur des règles dans les mers de Chine orientale et méridionale».

Scott Morrison (à gauche) participe à la réunion inaugurale des dirigeants du «Dialogue quadrilatéral» avec Joe Biden, Yoshihide Suga, Narendra Modi lors d’une réunion virtuelle, à Sydney le 13 mars 2021 [Crédit: Dean Lewins/Pool via AP].

L’exigence que Pékin se conforme à «l’ordre international fondé sur des règles» oblige la Chine à se subordonner à l’ordre mondial établi après la fin de la Seconde Guerre mondiale, où l’impérialisme américain était la puissance dominante et les règles étaient fixées par Washington. Sous le gouvernement Obama, les États-Unis ont transformé les différends régionaux dans les mers de Chine méridionale et orientale en dangereuses poudrières. Sous prétexte de défendre la «liberté de navigation», l’US Navy a envoyé des navires de guerre dans les eaux territoriales revendiquées par la Chine autour de ses îlots occupés en mer de Chine méridionale ; des opérations hautement provocatrices accélérées sous Trump. Le gouvernement Biden a déjà effectué la première de ces «opérations de liberté de navigation».

Le conseiller américain à la Sécurité nationale, Jake Sullivan, a été plus explicite que le communiqué officiel. Même s’il a nié que la réunion portait surtout sur la Chine, il a reconnu que «les dirigeants ont effectivement discuté du défi posé par la Chine. Ils ont clairement indiqué qu’aucun d’entre eux ne se faisait d’illusions sur la Chine.» Les quatre dirigeants avaient parlé de «coercition» de la Chine à l’égard de l’Australie sur le plan commercial, son prétendu harcèlement des bateaux de pêche japonais près des îles Senkaku [contrôlées par le Japon, mais revendiquées par la Chine]. Enfin, ils avaient parlé des affrontements frontaliers avec l’Inde – tous le produit des tensions accrues entretenues par les États-Unis.

Même la promesse de fournir le vaccin COVID-19 à un milliard de personnes dans la région inde-pacifique, qui s’est emparée de la une des journaux, vise à contrer la Chine. La proposition de fabriquer les vaccins en Inde, financé par les États-Unis et le Japon, avec aide de l’Australie pour la distribution, vise en réalité à contrer ce que les États-Unis appellent en termes péjoratifs la «diplomatie chinoise du vaccin», c’est à dire la fourniture de vaccins aux pays qui n’ont pas pu se les procurer ailleurs.

Dans les cercles stratégiques de Washington et des trois autres capitales, l’implication est claire: la consolidation du «Quadrilatère» est en préparation d’une guerre avec la Chine. Avant-hier, Greg Sheridan, le rédacteur en chef pour les Affaires étrangères de l’Australian, un faucon pro-américain étroitement lié à Washington, a publié un commentaire intitulé «La Chine s’arme pour la guerre, le ‘Quadrilatère’ se défend». Il y déclare sans détour : «un conflit militaire dans le Pacifique, auquel serait certainement mêlé l’Australie, devient plus probable. Ce ne sont pas là des paroles hystériques».

En accord avec la propagande américaine, Sheridan dépeint la Chine comme l’agresseur, malgré plus d’une décennie de renforcement militaire américain, de provocations militaires et d’efforts pour saper la Chine économiquement et diplomatiquement dans toute l’Asie. Il a toutefois fait remarquer que le danger d’une guerre dans un avenir proche était également «le message explicite du commandant américain pour l’Inde-Pacifique, l’homme qui aurait à mener un tel conflit».

Sheridan faisait référence au témoignage de l’amiral Philip Davidson devant le Congrès américain. Celui-ci avait demandé le doublement du budget militaire du Pentagone pour la région. Il a averti que la Chine pourrait envahir Taïwan dans les cinq prochaines années, ce qui déclencherait une guerre entre les États-Unis et la Chine.

Ce n’est pas Pékin mais Washington qui a délibérément attisé les tensions à propos de Taïwan. Le gouvernement Trump a renversé les normes diplomatiques de longue date qui limitaient les contacts des États-Unis avec les responsables taïwanais. Ces normes découlaient des accords conclus en 1978 pour normaliser les relations des États-Unis avec la Chine. Pékin considère Taïwan comme une province renégate et craint toute initiative des États-Unis qui vise à la transformer en base d’opérations stratégique contre la Chine. Biden a signalé son intention de poursuivre les efforts de Trump à cet égard en invitant l’ambassadeur taïwanais de fait aux États-Unis à son investiture. Taïwan a été un autre sujet abordé à la réunion du ‘Quad’.

Sheridan était bien conscient que la distribution du vaccin COVID-19 et les discussions sur l’action climatique n’étaient que de la poudre aux yeux. Comme il l’a dit, la réunion du «’Quadrilatère’ était «attentive à son image» et «pleine de points positifs bienvenus» mais «ne vous méprenez pas, contrer la Chine – et éviter la guerre – est l’objectif existentiel du ‘Quadrilatère’». En réalité, le ‘Quad’ a pour but d’intensifier la campagne de guerre menée par les États-Unis, visant à arrêter le déclin historique de l’impérialisme américain et à empêcher tout défi, surtout de la part de la Chine, à sa domination mondiale.

Sheridan fit allusion aux forces motrices sous-jacentes, notant que l’économie chinoise pourrait être plus importante en termes absolus que l’économie américaine d’ici 2035. D’autres analystes suggèrent que la Chine pourrait dépasser les États-Unis sur le plan économique bien plus tôt. La crainte de Washington, et du Pentagone, est qu’à long terme, les États-Unis ne soient pas en mesure de gagner un conflit avec la Chine, rendant une guerre dans un avenir proche préférable, voire inévitable.

Fait significatif, la réunion a également discuté la formation d’un Groupe de travail sur les technologies critiques et émergentes pour faciliter la collaboration dans la recherche et le développement de haute technologie, avec accent sur les télécommunications et la sécurisation des «chaînes d’approvisionnement en technologies critiques» – des éléments clés dans des préparatifs de guerre. Les mesures de guerre commerciale du gouvernement Trump contre de la Chine et des entreprises de haute technologie comme Huawei et les accusations de «vol de propriété intellectuelle» étaient déjà motivées par la crainte que la Chine ne dépasse les États-Unis sur le plan des technologies, dont celles essentielles à la guerre.

On a programmé le premier sommet quadrilatéral pour coïncider avec la tenue en Chine de l’Assemblée nationale populaire, une semaine de discussions qui définit l’orientation et les politiques économiques et stratégiques générales pour l’année à venir. L’espoir de Pékin que Biden sera moins conflictuel que Trump s’est rapidement évanoui – un sentiment reflété dans les discours au Congrès. Le président chinois Xi Jinping a déclaré lors d’une table ronde de l’APN: «La situation actuelle de notre pays en matière de sécurité est largement instable et incertaine… L’ensemble de l’armée doit… être prête à répondre à une variété de situations complexes et difficiles à tout moment.»

Biden a déclaré que la Chine était «le concurrent le plus sérieux» des États-Unis et prenait des mesures en conséquence. La réunion ‘quadrilatérale’ de vendredi n’est qu’une étape de l’offensive diplomatique, économique et stratégique menée contre Pékin. Cette semaine, le secrétaire d’État américain Anthony Blinken et le secrétaire d’État américain à la défense Lloyd Austin vont, pour leur premier voyage à l’étranger, au Japon et en Corée du Sud, et la Chine sera au centre des préoccupations. Plus tard dans la semaine, Blinken et le conseiller à la Sécurité nationale, Sullivan, rencontreront leurs homologues chinois en Alaska, pour une première réunion qui risque d’être houleuse.

Biden a également montré que le ‘Quadrilatère’ ne sera pas juste une vitrine diplomatique. La réunion laissait présager des discussions fréquentes entre ministres des Affaires étrangères et autres hauts responsables des quatre pays, ainsi qu’une nouvelle rencontre en personne des quatre chefs de gouvernement plus tard dans l’année.

On a beau nier régulièrement que le ‘Quadrilatère’ soit ou qu’il devienne une alliance militaire anti-Chine, mais l’Australie et le Japon sont déjà des alliés officiels des États-Unis et l’Inde a récemment conclu un partenariat stratégique avec Washington, avec bases militaires et ventes d’armes. Les quatre pays ont tous participé pour la première fois l’année dernière aux exercices navals annuels de la côte Malabar, dans l’océan Indien.

(Article paru d’abord en anglais le 13 mars 2021)

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