Des responsables américains se rendent au Mexique pour intensifier l'assaut contre les demandeurs d'asile

Des responsables américains se sont entretenus mardi au Mexique avec le gouvernement du président Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO) pour discuter de mesures visant à stopper la vague de demandeurs d’asile qui fuient la crise humanitaire en Amérique centrale.

L’essentiel des mesures annoncées consiste toutefois à resserrer l’emprise de l’impérialisme américain – ses sociétés et Wall Street – sur les gouvernements locaux, la principale cause historique de la pauvreté et de la violence à l’origine des migrations de masse.

Troupes de la Garde nationale mexicaine (Wikimedia Commons)

Le caractère néocolonial du voyage des responsables américains était si évident que les journalistes triés sur le volet ont demandé à Lopez Obrador lors de sa conférence de presse de mardi s’il s’agissait d’une «visite pour superviser» les mesures prises en échange de vaccins. Lopez Obrador a répondu avec colère: «Nous ne sommes pas une colonie ou un protectorat.» Il a ensuite ajouté avec soumission: «Nous avons dit que la politique d’immigration de Biden est très bonne.»

Tout en promettant de s’attaquer aux «causes profondes» de la migration, la cause la plus immédiate et la plus dévastatrice de la crise humanitaire en Amérique centrale, la pandémie, est totalement ignorée par le gouvernement Biden.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU a signalé le mois dernier que le nombre de personnes qui souffrent de la faim au Salvador, au Guatemala, au Honduras et au Nicaragua a quadruplé au cours des deux dernières années, ce qui a doublé le pourcentage de personnes qui ont des projets concrets de migration.

«La crise économique provoquée par le COVID-19 avait déjà mis les aliments sur les étagères des marchés hors de portée des personnes les plus vulnérables lorsque les ouragans jumeaux Êta et Iota ont encore aggravé la situation», explique le PAM.

Au lieu de contribuer à atténuer la crise de la pandémie en Amérique centrale, le gouvernement Biden a continué à s’approprier les doses de vaccins, tout en profitant de la réserve limitée dont dispose le Mexique pour lui extorquer l’autorisation de militariser davantage sa frontière sud pour bloquer les migrants.

Après que Biden a annoncé la semaine dernière que les États-Unis enverraient environ 4 millions de doses du vaccin AstraZeneca au Mexique – un vaccin qui n’est toujours pas approuvé aux États-Unis – le gouvernement AMLO a mis fin à tous les voyages non essentiels du Guatemala au Mexique. Cette mesure s’est accompagnée de nouveaux déploiements de troupes de la Garde nationale et d’agents de l’immigration équipés de drones, de lunettes de vision nocturne et d’autres équipements pour patrouiller à la frontière avec le Guatemala.

Après leur visite au Mexique, Juan Gonzalez, responsable du Conseil national de sécurité de Biden, et Ricardo Zúñiga, l’envoyé spécial nouvellement nommé dans le Triangle du Nord, ont annoncé, lors d’une conférence de presse en ligne, la création d’un groupe de travail régional de lutte contre la corruption avec les gouvernements, la «société civile» et le secteur privé.

Ce groupe établira une «relation préférentielle avec les acteurs qui se consacrent à la lutte contre la corruption», ont-ils expliqué. C’est une vieille tactique de l’impérialisme américain que de fermer les yeux lorsqu’il favorise des politiciens corrompus jusqu’à ce qu’ils tombent en disgrâce. Cette tactique a été clairement illustrée par la chute du dictateur panaméen Manuel Noriega, un ancien «atout» de la CIA qui a été renversé lors de l’invasion américaine de 1989.

En tant que vice-président d’Obama, Biden a supervisé le travail des commissions «anticorruptions» parrainées par les États-Unis au Guatemala et au Honduras qui ont mené des enquêtes sélectives afin de faire pression sur les élites dirigeantes locales pour qu’elles mettent en œuvre des politiques favorables aux banques et aux sociétés américaines, tout en s’opposant à l’influence de rivaux géopolitiques, principalement la Chine.

Ces croisades ont également été utilisées pour concentrer les politiques locales sur les questions de corruption, par opposition aux inégalités sociales, à l’austérité et à l’exploitation. En 2015, les protestations de masse contre le président guatémaltèque Otto Pérez Molina ont été canalisées par des politiciens et des ONG soutenus par les États-Unis derrière la commission «anticorruption» parrainée par l’ONU, la CICIG (Commission internationale contre l’impunité au Guatemala) et ses enquêtes sur Molina, qui a ensuite été remplacé par un autre gouvernement proaustérité et répressif.

Mercredi, Biden a demandé à la vice-présidente Kamala Harris de reprendre son ancien rôle de collaboration avec les gouvernements régionaux en matière de migration.

Le nouveau groupe de travail de Biden parrainera directement des juges, des avocats et des politiciens favorisés par Washington, au lieu de s’appuyer sur des commissions indépendantes qui ont été finalement fermées sous la pression des oligarchies locales.

Une visite prévue jeudi au Guatemala, au cours de laquelle des responsables américains devaient faire pression pour défendre plusieurs juges et procureurs favoris, après la fermeture de l’aéroport international du pays en raison des nuages de cendres qui provenaient du volcan Pacaya voisin, a été reportée.

Les responsables de la Maison-Blanche ont parlé jeudi aux journalistes d’un «sens de la décence en traitant les migrants comme des êtres humains… et en traitant nos voisins avec respect et dignité.»

Ces paroles viennent d’un gouvernement qui sacrifie des centaines de milliers de vies dans une pandémie pour sauvegarder les profits de Wall Street. Le Congrès et le gouvernement Biden ont, en outre, passé les derniers mois à accommoder leurs politiques aux co-conspirateurs républicains du coup d’État du 6 janvier de Trump, des fanatiques anti-immigrés liés à des forces paramilitaires fascistes.

Le gouvernement Biden a répondu à la pression des républicains en intensifiant l’assaut contre les demandeurs d’asile et en répétant sans cesse: «Ne venez pas! La frontière est fermée!»

Lors de sa première conférence de presse, Biden s’est vanté jeudi que «la grande majorité, l’écrasante majorité des personnes qui se présentent au poste frontière sont renvoyées – des milliers, des dizaines de milliers… Nous essayons maintenant de trouver avec le Mexique la volonté de reprendre davantage de ces familles». Il a ensuite insisté sur la nécessité de s’attaquer aux «causes profondes» de la migration.

Dans un communiqué de presse du 11 mars, le président démocrate du Sénat, Patrick Leahy, a averti que l’on était en train de remplir le système judiciaire de «copains des autres branches du gouvernement» au Guatemala; «la corruption imprègne les plus hauts rangs du gouvernement» au Honduras; «le Salvador est en train de devenir un État à parti unique.» Il a conclu que ces régimes «sont l’antithèse de partenaires crédibles».

Allié à des dictatures meurtrières à travers l’Afrique et le Moyen-Orient, Washington ne s’inquiète pas de partenaires crédibles, mais craint l’incapacité de ces régimes à faire face à une éruption de la lutte des classes.

Dans les années 1970 – la dernière fois que l’Amérique centrale a connu une baisse dans le niveau de vie équivalente à celle d'aujourd’hui – des rébellions de masses de paysans, de travailleurs et de jeunes ont éclaté contre les régimes fantoches des États-Unis. Entre 1945 et 2000, l’Amérique centrale a connu huit fois plus d’années de conflits violents entre gouvernements et insurgés que la moyenne mondiale, selon le chercheur Fabrice Lehoucq. Les pays d’Amérique centrale ont passé en moyenne 72 pour cent de la période 1900-1980 sous des dictatures et ont connu un total de 38 coups d’État.

L’impérialisme américain a constamment soutenu et formé les armées comme un bastion de son propre contrôle. Entre 1946 et 1992, il a fourni une aide militaire de 1,8 milliard de dollars à la région qui a ensuite été utilisée pour écraser les mouvements de gauche.

Pendant un bref intervalle, entre 1962 et 1972, les États-Unis ont dépensé 617 millions de dollars en Amérique centrale dans le cadre de l’Alliance pour le progrès lancée par John F. Kennedy qui ont servi à construire des écoles, des routes, des hôpitaux et d’autres infrastructures essentielles.

Le plan pour l’Amérique centrale du gouvernement Biden, tout comme l’Alliance pour la prospérité et la sécurité d’Obama, se concentrera sur le renforcement des appareils d’État répressifs de la région. Il va également fournir de plus grands incitatifs aux sociétés transnationales américaines, tout en impliquant davantage la classe dirigeante mexicaine dans la répression contre les migrants.

Cependant, même les intentions de Kennedy étaient de saper l’influence de l’Union soviétique et la menace de révolution sociale. La classe dirigeante américaine d’aujourd’hui, qui fait face à une crise existentielle liée au déclin de son hégémonie mondiale et à l’instabilité croissante de sa domination de classe à l’intérieur du pays, va répondre à la crise sociale et à la menace de révolution en Amérique latine par une brutalité sans fard.

(Article paru en anglais le 26 mars 2021)

Loading