Un amiral américain prévient que la guerre avec la Chine au sujet de Taïwan est «beaucoup plus proche qu’on ne pense».

Le commandant de la flotte américaine du Pacifique, l’amiral John Aquilino, a déclaré la semaine dernière qu’il considérait une attaque chinoise sur Taïwan comme la plus grande menace de guerre dans la région inde-pacifique. Il a préconisé un nouveau renforcement militaire américain dans le Pacifique occidental pour contrer la Chine, soulignant la montée de la clameur bipartite contre Pékin à Washington et le danger croissant de voir le gouvernement Biden, et non la Chine, provoquer une guerre.

Aquilino témoignait devant la Commission des forces armées du Sénat lors de son audition de confirmation pour remplacer l’amiral Phil Davidson à la tête du commandement inde-pacifique, le plus grand commandement militaire américain. Il y a déclaré que «la préoccupation dangereuse est celle d’une force militaire contre Taïwan». Il a fait référence au précédent témoignage de Davidson, qui avait mis en garde la semaine dernière contre une supposée prise de contrôle par la Chine dans les six ans. Puis, il a ajouté: «Mon opinion est que ce problème est beaucoup plus proche de nous que la plupart le pensent. '

L'amiral Philip Davidson, commandant du commandement américain de l'Indo-Pacifique [Crédit: AP Photo/Eugene Hoshiko, Pool].

De manière significative, Aquilino s’est rallié à l’évaluation de l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump, H.R. McMaster, qui a déclaré à la Commission sénatoriale ce mois-ci que Taïwan était «la poudrière la plus importante actuellement. Elle pourrait conduire à une guerre à grande échelle.» Dans ses remarques belliqueuses contre la Chine, McMaster a affirmé que «la Chine a une opportunité éphémère qui se referme», et que les mois entre les Jeux olympiques d’hiver de l’année prochaine à Pékin et le congrès du Parti communiste chinois (PCC) plus tard dans l’année, présentaient le «plus grand danger».

Ces déclarations mettent la réalité à l’envers. Ce n’est pas l’«agression» chinoise qui fait risquer une guerre nucléaire dévastatrice entre la Chine et les États-Unis, mais plutôt le renforcement incessant des capacités militaires américaines dans toute l’Asie. Combiné aux provocations navales dans les mers méridionales de Chine du Sud et de l’Est et aux mesures de guerre commerciale contre la Chine, cela a considérablement accru les tensions géopolitiques. Aquilino, Davidson et McMaster ont tous utilisé la prétendue menace posée à Taïwan pour justifier leurs demandes d’une nouvelle expansion majeure des armements et des dépenses militaires pour le commandement inde-pacifique américain.

L’intensification délibérée de la confrontation entre les États-Unis et la Chine a commencé avec le «pivot vers l’Asie» de l’administration Obama. Cette initiative prévoyait le déploiement de 60 pour cent des moyens navals et aériens du Pentagone dans la région d’ici 2020. Le gouvernement Trump a ensuite lancé ce qui s’apparente à une guerre économique contre la Chine, qui visait notamment à empêcher son développement de produits de haute technologie concurrents. Ces mesures se sont combinées à une accélération des opérations de «liberté de navigation» provocatrices, où des navires de guerre américains ont pénétré dans les eaux territoriales revendiquées par la Chine en mer de Chine méridionale.

Quelques semaines à peine après son installation, le président Biden a accéléré le mouvement de guerre contre la Chine. Lors de sa conférence de presse de jeudi, Biden a déclaré qu’une «concurrence acharnée, acharnée» existe avec la Chine. Il a déclaré que son gouvernement triplerait pratiquement les fonds alloués à la recherche et au développement afin d’assurer la suprématie des États-Unis dans les domaines de la haute technologie. Il a de nouveau insisté sur le fait que la Chine devait respecter les «règles internationales», c’est-à-dire celles fixées par Washington.

Au cours des deux dernières semaines, Biden a convoqué le premier sommet des dirigeants du dialogue «Quadrilatéral» sur la sécurité, auquel participent les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde, une alliance quasi militaire dirigée contre la Chine. Biden a envoyé le secrétaire d’État Antony Blinken et le secrétaire à la Défense Lloyd Austin au Japon et en Corée du Sud pour consolider les alliances contre la Chine. Blinken s’est ensuite rendu en Alaska, où lui et le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan ont ouvert une réunion de deux jours avec leurs homologues chinois. Ils ont fait de la réunion une offensive provocante contre la Chine sur un large éventail de questions.

La nouvelle focalisation des cercles militaires et stratégiques américains sur Taïwan, soulignée par une série de commentaires, notamment par le prestigieux «Council on Foreign Relations» (Conseil des relations extérieures), est particulièrement dangereuse. Après la révolution chinoise de 1949, seule l’intervention de la marine américaine a empêché l’incorporation de Taïwan dans la République populaire de Chine nouvellement établie. Pendant deux décennies, les États-Unis ont maintenu la fiction que la dictature du Kuomintang à Taïwan, dirigée par Chiang Kai-shek, était le dirigeant légitime de toute la Chine. Cela lui permettait de siéger au Conseil de sécurité des Nations unies.

Cette situation a brusquement changé en 1972, après que les États-Unis, sous la direction du président Nixon, ont conclu un rapprochement avec la Chine dans le but de faire face conjointement à l’Union soviétique. Taïwan est devenu le principal obstacle à l’établissement de relations diplomatiques officielles. On a finalisé ces dernières seulement en 1979, lorsque Washington a reconnu que Pékin, et non Taipei, était le gouvernement légitime de toute la Chine, y compris Taïwan. Le Congrès a toutefois adopté le Taiwan Act en 1979, engageant les États-Unis à armer Taïwan et à la défendre contre une prétendue agression chinoise.

Cette position hautement contradictoire, connue à Washington sous le nom d’«ambiguïté stratégique», n’a pu persister que parce que les États-Unis ont coupé les liens diplomatiques officiels avec Taïwan. Washington a fortement limité les contacts entre les responsables américains et taïwanais. Les États-Unis ont aussi restreint les ventes d’armes. Les tensions dans l’étroit détroit de Taïwan entre la Chine continentale et Taïwan, qui avaient éclaté à plusieurs reprises par le passé, ont été désamorcées.

Au cours de la dernière décennie, cependant, les actions des États-Unis, en particulier sous le gouvernement Trump, ont déstabilisé les questions intrinsèquement instables et très chargées qui entourent le statut de Taïwan. Trump a menacé de déchirer la politique d’«une seule Chine» si la Chine ne faisait pas de concessions économiques. Il a fortement stimulé les ventes d’armes à Taïwan et augmenté le nombre de navires de guerre américains qui traversent le détroit de Taïwan.

Dans les derniers jours de l’administration Trump, le secrétaire d’État, Mike Pompeo, a mis fin à toutes les restrictions sur les contacts entre les responsables américains et taïwanais — tant militaires que civils. Dans un geste symbolique important, pour la première fois, l’ambassadeur de facto de Taïwan aux États-Unis a été invité à l’investiture de Biden, signalant ainsi que le nouveau gouvernement ne reviendrait pas sur cette politique.

Il n’est pas surprenant que la Chine ait réagi par des protestations. Elle a répété ses déclarations selon lesquelles Taïwan fait partie de la Chine et a mené des exercices militaires près de Taïwan. L’impérialisme américain s’est emparé de cette «agression» comme d’un prétexte pour justifier une nouvelle expansion militaire le long de la «première chaîne d’îles», qui comprend Taïwan, immédiatement adjacente au continent chinois, dans le cadre de son renforcement militaire plus large dans la région.

Lors de son audition de confirmation, Aquilino a applaudi les mesures prises par Taiwan pour développer ses propres missiles. Jeudi, le ministre taïwanais de la Défense, Chiu Kuo-cheng, a déclaré que le pays produisait désormais en masse des missiles à longue portée. C’est-à-dire des armes offensives capables de frapper au cœur de la Chine continentale. Le programme de missiles développe trois autres modèles en «priorité».

Le même jour, Taïwan et les États-Unis ont signé leur premier accord sous le gouvernement Biden, établissant un groupe de travail conjoint de garde-côtes pour collaborer sur la sécurité maritime. Cette initiative s’explique par les nouveaux pouvoirs accordés par le récent Congrès national du peuple à Pékin, qui autorisent les garde-côtes chinois à recourir à la force si nécessaire. Taïwan développe ses propres garde-côtes, qui sont armés et peuvent être appelés à servir dans la marine en cas de guerre.

L’importance stratégique et économique de l’île est à la base de l’aggravation des tensions autour de Taïwan. Située à environ 150 kilomètres du continent chinois, le général américain, Douglas MacArthurl, a décrit l’île au début des années 1950 comme «un porte-avions insubmersible». C’est-à-dire c’est un atout militaire majeur. Un certain nombre d’îlots contrôlés par Taïwan, tous lourdement fortifiés, se trouvent à quelques kilomètres de la côte chinoise. Toute initiative des États-Unis visant à établir des liens militaires ou une présence militaire à Taïwan serait considérée par Pékin comme une menace majeure pour sa sécurité. Sur le plan économique, Taïwan joue un rôle central et très sensible dans la production des semi-conducteurs dans le monde entier.

En exacerbant les tensions avec la Chine au sujet de Taïwan, le gouvernement Biden joue au pompier pyromane avec la poudrière la plus dangereuse d’Asie, menaçant de déclencher non seulement une guerre entre les États-Unis et la Chine, mais risquant aussi d’entraîner le monde entier dans une telle guerre.

(Article paru d’abord en anglais le 27 mars 2021)

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