Perspectives

Après la tentative de coup d'État du 6 janvier, les républicains intensifient leurs attaques contre le droit de vote

Jeudi, le gouverneur de Géorgie, Brian Kemp, a promulgué une loi qui attaque radicalement le droit de vote des pauvres, des minorités et des travailleurs. Kemp, un républicain, a signé la mal nommée «Loi sur l’intégrité des élections» lors d’une cérémonie à huis clos quelques heures seulement après que les deux chambres de l’Assemblée législative de l’État, dirigées par les républicains, ont adopté la mesure par un vote conforme à la ligne de parti.

Le 12 octobre 2020, des centaines de personnes font la queue pour le vote anticipé à Marietta, en Géorgie. [Source: AP Photo/Ron Harris]

La Géorgie est l’un des 43 États dont les législatures sont essentiellement sous contrôle républicain et qui ont présenté un projet de loi qui attaque le plus fondamental de tous les droits démocratiques, le droit de vote. Ce mouvement s’est considérablement accéléré à la suite de l’échec des efforts de Donald Trump pour renverser l’élection de 2020 et conserver le pouvoir en tant que dictateur de facto. La Géorgie est le premier de ces États à transformer en loi ses propositions qui visent à miner le droit de vote.

Le complot de Trump pour renverser la Constitution était fondé sur le mensonge, soutenu par la quasi-totalité du Parti républicain, d’une fraude électorale généralisée et d’une «élection volée». Son complot a culminé avec l’assaut fasciste du Capitole américain le 6 janvier qui, avec l’aide de Trump et de ses dirigeants désignés du Pentagone, a failli atteindre son objectif de prendre des législateurs en otage et de bloquer la certification par le Congrès de la victoire électorale de Joe Biden.

Compte tenu de l’histoire de la Géorgie, marquée par la loi du lynchage et la ségrégation Jim Crow, l’arrestation et l’emprisonnement de la représentante de l’État, Park Cannon, une Afro-Américaine, pour avoir exigé d’entrer dans le bureau de Kemp afin de protester contre le recul des principaux acquis du mouvement des droits civiques, a une signification symbolique sinistre.

La Géorgie est l’un des cinq «États pivots» qui ont basculé des républicains aux démocrates lors de la course à la présidence de 2020, donnant à Biden une victoire substantielle dans le vote électoral et contribuant à sa majorité asymétrique de 8 millions de voix dans le vote populaire.

Lors d’une élection qui a vu une participation électorale record à l’échelle nationale, les électeurs de Géorgie ont voté en nombre record, les électeurs démocrates noirs et de la classe ouvrière en particulier ayant choisi de voter par correspondance en raison de la pandémie.

La défaite de Trump en novembre a été suivie, début janvier, par la victoire de contestants démocrates dans deux courses de second tour au Sénat, alimentée par une forte participation des électeurs jeunes et noirs. Ces victoires en Géorgie ont fait passer le contrôle du Sénat des républicains aux démocrates, leur donnant le contrôle des deux chambres du Congrès ainsi que de la Maison-Blanche.

Les dispositions républicaines sur «l’intégrité des élections» s’inscrivent dans la lignée des demandes infructueuses de Trump auprès des responsables des États et des tribunaux pour annuler les résultats de l’élection de 2020. Trump a attaqué à plusieurs reprises Kemp et le secrétaire d’État de Géorgie après qu’ils aient rejeté ses allégations de fraude électorale et refusé d’exécuter sa demande d’annuler la victoire de Biden.

Les dispositions de la loi géorgienne comprennent des exigences d’identification des électeurs pour les bulletins de vote par correspondance, une période plus courte pour les électeurs pour demander des bulletins de vote par correspondance, des limites à l’utilisation des boîtes de dépôt de bulletins et une interdiction des fourgons de vote mobiles (la région autour d’Atlanta, à forte majorité noire et démocrate, les a utilisés).

La loi considère même comme un délit le fait d’offrir de la nourriture et de l’eau aux électeurs qui font la queue pour voter. Elle permet à tout résident de l’État de déposer un nombre illimité de contestations concernant l’inscription et l’éligibilité des électeurs. Elle permet également aux législateurs de l’État de prendre le contrôle des commissions électorales locales, ce qui leur donne une couverture juridique pour empêcher les responsables locaux des comtés pauvres, minoritaires et ouvriers de certifier les victoires des démocrates: ce que Trump a tenté de faire de manière extra-légale en intervenant personnellement pour annuler les résultats dans des villes comme Atlanta et Detroit.

Des dispositions similaires sont incluses dans les projets de loi présentés dans d’autres États, de l’Arizona au Mississippi, en passant par la Caroline du Sud, la Floride et le Texas, sans oublier les États industriels du nord comme le Michigan. Certains incluent des dispositions encore plus ouvertement inconstitutionnelles, comme le fait de donner à la législature de l’État le pouvoir de passer outre le vote populaire et de choisir sa propre liste d’électeurs.

L’ensemble de la classe ouvrière doit être unie dans la lutte pour faire échec à l’attaque contre le droit de vote. La première condition préalable à une telle lutte, cependant, est la compréhension qu’aucune confiance ne peut être accordée à l’autre parti de l’oligarchie corporative financière américaine, les démocrates, pour défendre le droit de vote.

Trump et les républicains parlent au nom des sections les plus prédatrices et fascistes de la classe dirigeante. La réponse incapable et hypocrite de Biden et des démocrates à la tentative de coup d’État du 6 janvier a enhardi Trump et les républicains à assiéger les acquis démocratiques gagnés par les luttes de millions de travailleurs de toutes les origines ethniques.

Plutôt que d’exiger la poursuite criminelle de Trump et de ses co-conspirateurs républicains, ils ont incessamment plaidé auprès de leurs «collègues républicains» pour l’unité et le bipartisme. Dans le même temps, ils ont cherché à dissimuler l’ampleur massive de la conspiration du coup d’État et du rôle du Parti républicain et des hauts responsables de l’armée, de la police et de l’appareil de renseignement de l’État. Jusqu’à présent, ils n’ont tenu qu’une poignée d’audiences publiques et ont carrément refusé de faire témoigner les responsables du Pentagone qui ont retardé pendant des heures l’envoi de troupes de la Garde nationale pour protéger le Capitole de la foule fasciste.

Lors de sa première conférence de presse, qui s’est tenue jeudi, alors que le projet de loi de Géorgie était en train d’être adopté à la hâte par le corps législatif, Biden a répété son appel à l’«unité» et a refusé d’appuyer les appels lancés par les défenseurs du droit de vote et certains démocrates pour que le Congrès contrôlé par les démocrates mette fin à l'obstruction parlementaire antidémocratique, qui donne aux républicains un droit de veto effectif sur toute législation qui vise à protéger le droit de vote.

L’assaut actuel contre le droit de vote est une escalade d’une attaque qui dure depuis des décennies, contre laquelle le Parti démocrate n’a organisé aucune opposition sérieuse. Il a démontré son manque d’engagement véritable pour la défense du droit de vote en 2000 lorsque Al Gore et l’ensemble du parti ont accepté la décision de la Cour suprême qui a arrêté le comptage des votes en Floride et donnant l’élection à celui qui a perdu le vote populaire, George W. Bush.

En 2013, la Cour suprême a mené la prochaine attaque majeure contre le droit de vote en décidant, à 5 contre 4, d’éliminer la section 5 de la Loi historique sur le droit de vote «Voting Rights Act» de 1965, le gain le plus important des luttes de masse pour les droits civiques des années 1950 et 1960. Cette décision a invalidé le mécanisme d’application de la loi, en supprimant l’obligation pour les anciens États Jim Crow du Sud de faire approuver au préalable auprès du gouvernement fédéral toute modification des procédures de vote.

La loi sur le droit de vote a mis fin à l’exclusion systématique des Noirs des urnes qui était imposée principalement par des attentats à la bombe du KKK (Ku Klux Klan) et le meurtre de militants des droits civiques, blancs comme noirs, par les «forces de l’ordre». Ce règne de terreur était mené avec le soutien tacite du FBI de J. Edgar Hoover, qui a déclaré que la lutte pour les droits civils était un complot communiste. Tout cela s’est déroulé sous l’égide du Parti démocrate, qui a fondé son contrôle politique du Sud sur l’application brutale de la ségrégation.

L’adoption de la loi a été arrachée au gouvernement Johnson au prix du sang et de la vie de centaines de martyrs. Parmi eux étaient trois jeunes militants, deux blancs et un noir, qui se sont joints à la campagne d’enregistrement des Noirs au Mississippi au cours de l’été de 1964 et qui ont été assassinés par le KKK et la police locale. L’adoption de la loi a été précédée des marches pour le droit de vote de Selma à Montgomery en 1965 lors desquelles la police et des informateurs du FBI ont assassiné un certain nombre de participants et de partisans.

Ni le gouvernement Obama, ni les démocrates du Congrès ont déployé d’efforts pour faire passer une loi qui rétablirait les dispositions d’application de la loi sur le droit de vote, ce qui a enhardi les républicains à étendre leurs efforts pour imposer des barrières dans les États du pays afin de bloquer les électeurs de la classe ouvrière.

On ne peut faire confiance au Parti démocrate pour défendre le droit de vote. Les démocrates sont avant tout motivés par la peur de l'émergence d'un mouvement de gauche, antiguerre et socialiste de la classe ouvrière en dehors du système bipartite. Lorsqu'il s'agit de bloquer l'accès aux bulletins de vote aux partis situés à leur gauche, et surtout aux partis socialistes, ils ne sont pas moins impitoyables et méprisants pour les droits démocratiques que les républicains.

Lors de l’élection de 2020, les gouverneurs, les responsables électoraux et les juges démocrates ont joué le rôle principal pour empêcher les candidats à la présidence du Parti de l’égalité socialiste (PES) d’obtenir le statut de candidat au scrutin. Les gouverneurs démocrates du Michigan et de la Californie se sont opposés aux requêtes légales du SEP et de ses candidats, Joseph Kishore et Norissa Santa Cruz, visant à suspendre les exigences de signatures déjà prohibitives et antidémocratiques – 12.000 signatures dans le Michigan et 200.000 en Californie – dans un contexte de pandémie de coronavirus, qui a rendu la pétition pour ces signatures une menace pour la santé des partisans du PES et du grand public.

Ils ont refusé d’inscrire les candidats du PES sur le bulletin de vote, soutenant que les partisans et membres du PES devaient risquer leur vie et violer les exigences de confinement de l’État, alors même que le taux d’infection et le nombre de décès augmentaient.

Le procureur général démocrate de Californie a fait valoir que l’autorisation du PES sur le bulletin de vote entraînerait «un bulletin de vote ingérable et surchargé» qui créerait «la confusion des électeurs» et «la frustration du processus démocratique.» Bien sûr, c’est le contraire qui s’est produit. Les démocrates étaient, et restent, déterminés à empêcher les électeurs de la classe ouvrière d’avoir l’opportunité de voter pour une alternative socialiste aux politiciens capitalistes.

Comme l’a expliqué le WSWS, la pandémie est un événement déclencheur qui a intensifié la crise mondiale du capitalisme et accéléré le mouvement des classes dirigeantes vers la guerre et la dictature. C’est un processus international. La réponse criminelle et incompétente des gouvernements capitalistes du monde entier à la pandémie, sacrifiant sciemment des millions de vies afin de protéger et d’accroître les profits et les richesses des riches et des super-riches, discrédite l’ensemble du système aux yeux de la classe ouvrière.

Le tournant vers le fascisme et la dictature est la réponse universelle de la classe dirigeante. Aucun des acquis sociaux et démocratiques du siècle dernier ne peut être défendu dans le cadre d’un système qui alimente des niveaux d’inégalité sociale toujours plus stupéfiants.

La défense du droit de vote est impossible sans une rupture politique avec le Parti démocrate et la construction d’un mouvement socialiste de masse de la classe ouvrière. Des millions de travailleurs dans le monde entier finiront par comprendre qu’aujourd’hui, il ne peut y avoir de démocratie sans socialisme et, sous la direction révolutionnaire du PES et de ses partis frères du mouvement trotskyste mondial, ils agiront en conséquence.

(Article paru en anglais le 27 mars 2021)

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