Perspectives

Le «post-mortem» de la pandémie sur CNN: anatomie d’un «meurtre social»

Dimanche soir, CNN a diffusé une émission spéciale de deux heures sur la pandémie de COVID-19. Elle contenait notamment des entretiens avec les experts sanitaires qui ont nominalement dirigé la réponse du pays à la maladie sous le gouvernement Trump.

Les interviews constituent une condamnation dévastatrice d’un gouvernement et d’un establishment politique qui ont délibérément laissé mourir des centaines de milliers de personnes afin de protéger les intérêts de l’oligarchie financière.

Le président Joe Biden s’exprime lors d’un événement sur les vaccinations COVID-19 et la réponse à la pandémie, dans l’auditorium «South Court» sur le campus de la Maison-Blanche, lundi 29 mars 2021, à Washington. (AP Photo/Evan Vucci)

Selon les deux personnalités interrogées dans l’émission — la coordinatrice de la Maison-Blanche pour la réponse au coronavirus, Deborah Birx, et le directeur de l’Institut national des allergies et maladies infectieuses, Anthony Fauci — la quasi-totalité de la réponse américaine à la pandémie s’est faite au mépris de la science et des conseils des experts sanitaires.

Aux moments décisifs de la pandémie, selon les propres aveux de ces responsables, le gouvernement Trump s’est soit engagé activement dans une vaste opération de dissimulation, soit il a poursuivi une politique délibérée visant à laisser la pandémie se propager sans contrôle dans la population.

Si, selon les mots de l’animateur de CNN Sanjay Gupta, l’émission est un «post-mortem» sur la pandémie, la cause de la mort doit être considérée, tel que formulé par la revue médicale britannique BMJ, comme un «meurtre social.»

La réponse du gouvernement américain à la pandémie a été un désastre dès le départ, à commencer par ce que Gupta a appelé le «péché originel», à savoir ne pas avoir effectué de tests significatifs pendant les deux premiers mois de la pandémie.

On n’a jamais expliqué de manière convaincante la décision de ne pas tester la population pendant les mois de janvier et février. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a officiellement alerté le monde de l’apparition de ce qu’on allait appeler le COVID-19 le 1er janvier 2020. Mais pendant les deux mois qui suivirent, les États-Unis n’ont effectué aucun test de dépistage de la maladie, bien qu’un test de l’OMS fût disponible début janvier.

Dans leurs interviews, les responsables de la santé se sont mutuellement reproché de ne pas avoir utilisé le test largement disponible de l’OMS. Ils se sont repassé la responsabilité comme une patate chaude jusqu’à ce que Steven Hahn, commissaire de la FDA [Food and Drug Administration] finisse par affirmer que l’OMS était elle-même responsable, car elle n’avait pas forcé les États-Unis à utiliser ses tests.

Affirmation absurde. Une explication bien plus crédible fut offerte par Birx: «Les gens à la Maison-Blanche croyaient vraiment que les tests accroissaient les cas, plutôt que de penser les tests sont un moyen pour nous d’arrêter les cas.»

Autrement dit, comme la Maison-Blanche affirmait que les tests étaient la cause des cas, elle découragea les tests. Commodément, le fait qu’on ne testait pas signifiait que tout le monde, y compris Fauci et Birx, pouvait justifier l’affirmation qu’il y avait peu de danger, tout en décourageant le public de prendre des mesures vitales de distanciation sociale qui auraient pu arrêter la propagation de la pandémie.

À la mi-mars, la pandémie ayant totalement submergé l’Italie et se propageant rapidement à New York, il était devenu impossible de maintenir cette mascarade. Lorsque les États-Unis ont enfin commencé à tester les gens présentant des symptômes de COVID-19, plus personne ne pouvait nier qu’une transmission communautaire généralisée existait dans le pays.

Les ouvriers ont commencé à quitter les ateliers, et les marchés sont tombés en chute libre. Le gouvernement américain a réagi en adoptant la loi CARES, un plan de sauvetage massif de milliers de milliards de dollars pour les grandes entreprises, accompagné de milliers de milliards de dollars supplémentaires en liquidités de la Réserve fédérale. Sentant la nécessité de gagner du temps, la Maison-Blanche de Trump a temporairement encouragé le travail à distance et la fermeture des écoles.

Birx et Fauci affirment que le gouvernement Trump n’a sérieusement écouté leurs conseils qu’à deux occasions. Une fois lorsqu’il a lancé le développement de vaccins en janvier et une autre quand il a conseillé au public de «travailler ou de suivre des cours à domicile dans la mesure du possible» pendant 45 jours à partir de mars.

En l’espace de quelques jours, cependant, Trump a commencé à prôner l’abandon de ces mesures élémentaires. Il a utilisé le slogan, inventé par Thomas Friedman du New York Times, «le remède ne peut pas être pire que la maladie.» Cette campagne a conduit la Maison-Blanche à publier une série de directives intitulées «Ouvrir à nouveau l’Amérique».

Si ces directives établissaient ostensiblement une série de critères permettant aux États de rouvrir les entreprises non essentielles, elles envoyaient en réalité le signal politique que toutes les mesures visant à contenir la maladie devaient être abandonnées. Les gouverneurs de tous les États ont procédé à la réouverture, en violation des directives mêmes du gouvernement Trump ; les gouverneurs de ces États étaient tant démocrates que républicains et les cas continuaient de monter.

Ces États, dit Birx, ont ensuite «complètement ignoré les critères d’ouverture.» Et d’ajouter, «je n’ai pas vu venir le fait que personne ne suivrait vraiment les critères d’ouverture… alors quand le Memorial Day est arrivé, ce fut… ce fut choquant.»

Mais les actions des États n’ont pas été une surprise pour le World Socialist Web Site. Quelques jours seulement après la publication des directives, le WSWS a écrivait:

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L’annonce cynique par l’Administration Trump d’un ensemble de «directives» frauduleuses qui serviront à légitimer la rapide réouverture des entreprises et le retour forcé au travail dans des conditions dangereuses met fin à toute prétention officielle d’un effort systématique et coordonné aux États-Unis pour donner la priorité à la santé et protéger la vie humaine dans la lutte contre la propagation de la pandémie de COVID-19. (20 avril 2020)

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Un an plus tard, pas un mot de cette analyse n’a besoin d’être modifié. L’annonce des critères de réouverture fit que Birx et Fauci furent largement mis sur la touche. Ils ont passé des semaines sans parler à Trump, remplacés par l’idéologue de droite et partisan de l’immunité collective Scott Atlas.

Comme le dit le «tsar des tests» Brett P. Giroir, également interviewé, «la position du Dr Atlas est que nous devrions juste laisser aller dans la population saine pour créer une immunité collective.» Atlas et ceux qui sont du même avis, pensaient que toute mesure visant à contenir la maladie «compromettait l’économie américaine, le mode de vie américain. Dans leur esprit, toutes ces choses l’emportaient sur les morts.»

Le passage le plus cité de l’émission de CNN est l’admission par Birx que près d’un demi-million de décès aux États-Unis étaient évitables. Comme elle l’a dit, «la première fois, nous avons une excuse, il y avait environ 100.000 décès qui venaient de cette recherche initiale, tout le reste, à mon avis, aurait pu être atténué ou diminué considérablement».

En d’autres termes, en fermant les entreprises non essentielles et les écoles, la propagation de la maladie aurait pu être suffisamment contenue pour être fortement réduite grâce aux tests, aux quarantaines et à la recherche des contacts. Mais ces mesures allaient à l’encontre des intérêts sociaux de l’oligarchie financière américaine. Elles ne furent donc pas appliquées, entraînant la mort de centaines de milliers de personnes.

CNN appelle son programme un «post-mortem» mais le crime continue. Alors même que Fauci et Birx condamnent la réouverture prématurée des écoles et des entreprises par le gouvernement Trump, le gouvernement Biden applique la même politique, avec les mêmes résultats.

Lundi, un jour après que Birx a clairement montré que la plupart des décès survenus aux États-Unis étaient évitables, la directrice des CDC (Centres de contrôle et de prévention des maladies) Rochelle Walensky, mettait en garde contre une «catastrophe imminente» si les États-Unis ne changeaient pas de cap. Deux semaines plus tôt pourtant, le CDC cédant à la pression du gouvernement Biden avait modifié ses directives sur la distanciation sociale afin de faciliter la réouverture des écoles.

Un an après les événements décrits dans l’émission de CNN, mille personnes meurent chaque jour aux États-Unis. Et avec l’apparition de nouveaux variants mortels du virus dans le monde, le COVID-19 est plus dangereux que jamais.

Les conséquences catastrophiques de la pandémie viennent du fait que la réponse des gouvernements, États-Unis en tête, et répétés dans le monde entier, n’a pas été dictée par les besoins sociaux et la santé publique, mais par le profit privé. La solution à la pandémie n’était donc pas d’abord une question médicale, et ne l’est toujours pas. C’est une question de lutte sociale et politique, menée par la classe ouvrière internationale, contre le système capitaliste.

(Article paru d’abord en anglais le 30 mars 2021)

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