Le parti «We Tamil» tente de diviser les travailleurs indiens de l’automobile sur des critères ethniques

Senthamizhan Seeman, le coordinateur en chef du parti nationaliste tamoul Naam Tamil (NTK – « We Tamil », «Nous les Tamouls»), verse des larmes de crocodile alors que le COVID-19 sévit en Inde.

C’est là sa réponse aux grèves et manifestations qui se multiplient dans les usines automobiles indiennes, alors que la colère monte chez les travailleurs contraints de travailler en continu sans aucune mesure de sécurité. Des dizaines de travailleurs de l’automobile sont morts du COVID-19 jusqu’à présent, et les infections se propagent rapidement. Ford, Hyundai, Renault-Nissan, Wipro, Eicher Motors, India Yamaha Motor et Royal Enfield ont été contraints de fermer temporairement en raison de grèves ou de protestations.

Soudain, quatorze mois après le début de la pandémie, Seeman fait un virage à 180 degrés et lance des appels creux en faveur de politiques de distanciation sociale dans l’État du Tamil Nadu, dans le sud de l’Inde. Selon lui, «les usines non essentielles devraient être temporairement interdites de fonctionnement dans la situation actuelle et précaire où les travailleurs sont très sensibles à l’infection coronaire.» Réalisant que la colère des travailleurs était hors de contrôle, il soupire: «Il est choquant que des usines non essentielles aient été autorisées à continuer à fonctionner et que les travailleurs de ce fait s’infectent de plus en plus.»

Senthamizhan Seeman (Wikimedia Commons)

Une stricte application de mesures scientifiques est essentielle pour stopper la propagation du virus ; cela comporte la fermeture des lieux de travail non essentiels, celle des écoles, et la fourniture d’un soutien financier d’urgence pour aider les gens à survivre jusqu’à la fin de la crise. Mais la plus ferme mise en garde s’impose à l’égard du NTK, un parti qui promeut une politique communautariste de division des travailleurs sur une base ethnique, visant à bloquer un mouvement unifié de la classe ouvrière pour imposer les mesures de santé et de sécurité nécessaires.

Si Seeman prend aujourd’hui la pose de celui qui est préoccupé par le sort des ouvriers d’usine, il est un adepte des politiques d’«immunité collective» du gouvernement indien du BJP (Bharatiya Janata Party), hindou suprémaciste, et de celui du DMK (Dravida Munnetra Kazhagam), nationaliste tamoul, dans l’État du Tamil Nadu. Celles-ci ont entraîné une propagation rapide du COVID-19 dans les principaux centres industriels et commerciaux du Tamil Nadu notamment sa capitale Chennai, mais aussi à Coimbatore, Chengalpattu, Tiruvallur, Kanchipuram, Tiruppur, Erode, Salem, Trichy, Thanjavur et Madurai.

Avant l’élection de l’Assemblée du Tamil Nadu, en avril 2021, le NTK n’a suivi aucune règle de distanciation sociale dans ses réunions de campagne. Il a au contraire organisé des rassemblements avec des milliers de personnes, ignorant la montée du virus qui était en cours. Ce fut d’ailleurs une des raisons de l’accélération de la propagation de la pandémie au Tamil Nadu.

Lors de ces élections, le NTK est arrivé en troisième position avec 3.108.906 voix (6,1 pour cent). Il a devancé le Parti communiste indien stalinien (504.537 voix, soit 1,09 pour cent; le Parti communiste indien-marxiste (390.455 voix, soit 0,84 pour cent), et le Parti du Congrès traditionnellement au pouvoir en Inde (1.976.527 voix, soit 4,28 pour cent). Les staliniens sont en coalition avec le DMK au pouvoir.

Dans un contexte de discrédit du Parti du Congrès, des partis staliniens et de leurs syndicats suite à des décennies de politique pro-impérialiste et anti-ouvrière alors qu’ils étaient au pouvoir, le NTK s’oppose à la construction d’un mouvement d’alternative dans la classe ouvrière, se servant d’un discours diviseur, ethnique et nationaliste.

Depuis la formation du NTK en 2010, la rhétorique raciste et anti-ouvrière de Seeman, et d’autres dirigeants de ce parti, est devenue notoire. Seeman a déclaré publiquement: «Le Tamil Nadu est en danger parce que des millions de gens d’autres États ont infiltré le Tamil Nadu et occupé toute la vie économique des Tamouls grâce à l’exploitation économique».

Seeman avance l’argument raciste que seuls les Tamouls ethniques peuvent gouverner le Tamil Nadu et que les emplois des Tamouls sont volés par les travailleurs d’autres ethnies. «Mon peuple a besoin de pouvoir. Les Tamouls devraient gouverner le Tamil Nadu» affirme-t-il. Selon lui, la domination de l’ethnie tamoule garantirait l’émergence au Tamil Nadu d’un «gouvernement dictatorial désintéressé, aimant et sans corruption». Il appelle à la «modernisation des forces de police», connues dans cet État pour leurs attaques des droits démocratiques.

Seeman n’encourage pas seulement les forces de police qui attaquent la classe ouvrière mais encore les organisations politiques d’extrême droite. Il a soutenu l’alliance du BJP et du parti extrémiste hindou Shiv Sena aux élections municipales de 2012 dans le quartier de Dharavi à Mumbai et fait campagne pour elle. Le Shiv Sena est connu pour ses attaques sanglantes contre les musulmans.

Interpellé publiquement sur son alliance avec les forces d’extrême droite, Seeman n’a pu la nier mais a au contraire répondu: «Le candidat du BJP Tamil Selvan appartient à notre région de Pudukottai [en référence à l’un des districts du Tamil Nadu]. Les partisans de la libération de l’Eelam tamoul sri-lankais sont un rempart pour le peuple [tamoul] là ».

C’est à dire que Seeman et le NTK dont l’alliance avec des éléments communautaristes était démasquée, ont réagi en cherchant cyniquement à exploiter la sympathie des travailleurs du Tamil Nadu et de la diaspora tamoule face au massacre communautariste des Tamouls sri-lankais par l’armée sri-lankaise en 2009. Le massacre de plus de 40.000 personnes commis par l’armée sri-lankaise à la fin de la guerre communautaire de 2009 est un crime horrifique, mais il n’en reste pas moins que Seeman fait la promotion de forces qui préconisent elles aussi une politique anti-travailleurs et communautariste.

L’année dernière, sous le précédent gouvernement All-India Anna Dravida Munnetra Kazhagam (AIADMK) du Tamil Nadu, les habitants du bidonville de Sathyavani Muthunagar à Chennai ont été expulsés de force. Seeman a répondu à cette attaque brutale contre les opprimés de cette ville en cherchant à détourner la colère sur une base nationaliste, contre les travailleurs d’autres ethnies en Inde. «Les gens originaires d’autres États à Chennai peuvent obtenir une résidence permanente sans aucun obstacle et vivre en toute sécurité dans les principaux quartiers de la ville avec toutes les commodités. Mais les anciens colons tamouls ne bénéficient pas de cette facilité» a-t-il dit.

S’il prend soudain la pose cynique de celui qui s’inquiète pour les travailleurs tamouls de l’automobile, Seeman n’a rien dit de toute la pandémie de l’opposition des travailleurs à l’exploitation, au travail intérimaire ou au fait d’être maintenus au travail pour des tâches non essentielles, contribuant ainsi à la propagation du virus.

Il a au contraire une fois de plus tenté de faire appel aux haines ethniques, cette fois en vomissant la théorie complotiste droitière sur le coronavirus colportée par l’impérialisme américain contre la Chine et qualifiant la pandémie de «guerre biologique» lancée par la Chine. Il a ainsi clairement indiqué à Washington – qui cherche à faire de l’Inde un allié militaire de première ligne contre la Chine – le type de politique pro-impérialiste et pro-investisseurs qu’il mènerait s’il était au pouvoir.

La pandémie est une crise mondiale, provoquée par un virus qui ignore les passeports et les frontières et ne peut donc être résolue que par une lutte internationale de la classe ouvrière pour une politique rationnelle et scientifique. Les grèves et protestations des travailleurs indiens, qui ont conduit à des fermetures temporaires d’usines, ont à nouveau montré le pouvoir de la classe ouvrière. Mais ce pouvoir ne peut être mobilisé que dans une lutte consciente pour unifier les travailleurs en Inde, au-delà de toutes les lignes ethniques, avec leurs frères et sœurs de classe en Chine, en Amérique et ailleurs.

Le Comité international de la Quatrième Internationale a lancé l'appel à la construction d'une Alliance internationale ouvrière des comités de base pour que les travailleurs puissent s'organiser et se mobiliser dans une lutte pour défendre la vie contre les profits du patronat. Les appels de Seeman aux haines ethniques s’opposent à un tel mouvement et subordonnent la classe ouvrière aux organisations staliniennes existantes et au système en faillite des États-nations. Ils doivent être rejetés comme la besogne d'un ennemi des travailleurs et des opprimés.

(Article paru d’abord en anglais le 5 juin 2021)

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