Les mineurs chiliens en grève illimitée

Dans leur grève de deux semaines, les travailleurs des mines chiliennes sont confrontés à une lutte acharnée contre le géant minier anglo-australien BHP Billiton, en pleine recrudescence des infections et des décès dus au COVID-19.

Ils ne doivent pas seulement affronter des sociétés géantes qui, portées par des prix du cuivre historiquement élevés, se ruent pour relancer en grand l’activité minière quel qu’en soit le coût humain. Ils entrent également en conflit avec les syndicats corporatistes qui, durant la pandémie, ont une nouvelle fois démontré leur soumission et leur loyauté envers le patronat et le gouvernement en aidant à maintenir l’industrie minière en activité.

Avec la campagne de réouverture de l’économie mondiale, le cuivre a atteint son prix le plus élevé en dix ans. La Chine est à la tête de la demande pour ce métal et Washington promet un plan d’infrastructure de deux mille milliards de dollars américains. Les pénuries d’approvisionnement y ont également joué un rôle, car la réduction de la production due au COVID-19 a fait baisser les stocks internationaux.

S&P prévoit que la consommation totale de cuivre sera plus du double de la production mondiale actuelle de 20 millions de tonnes. «Au-delà de 2020, nous prévoyons que la consommation dépassera la production sur la période allant jusqu’à 2024, ce qui entraînera un déficit croissant du marché du raffinage et une hausse des prix du cuivre», a déclaré Thomas Rutland, analyste des matières premières chez S&P.

«Nous estimons que d’ici le milieu de la décennie, cette croissance de la demande verte égalera seule la demande supplémentaire que la Chine a générée au cours des années 2000, puis la dépassera rapidement». Goldman Sachs a déclaré dans un rapport sur le cuivre publié en avril : «Les effets d’entraînement dans les filières non vertes signifient que les années 2020 devraient être la plus forte phase de croissance en volume de la demande mondiale de cuivre de l’histoire».

Tous les grands acteurs qui possèdent à titre privé 71 pour cent des mines de cuivre et 100 pour cent des mines de lithium au Chili – BHP Billiton, SQM, Albemarle, Anglo American, KGHM International, Glencore, Freeport-McMoRan, Teck, Antofagasta Minerals – se frottent les mains devant la manne de dividendes que cela va rapporter aux actionnaires et se préparent à affronter la classe ouvrière.

La lutte a déjà commencé avec BHP qui utilise des briseurs de grève pour poursuivre la production. Cela est autorisé au Chili parce que les lois du travail favorables au patronat permettent le remplacement des travailleurs contractuels par l’entreprise cliente, annulant ainsi le supposé «droit de grève». Ces lois ont été adoptées au Congrès avec la complicité de la gauche parlementaire.

Le syndicat a timidement enregistré une plainte contre cette provocation auprès des tribunaux du travail chiliens favorables aux employeurs. «La société engage des travailleurs de remplacement dans les mines situées dans le nord du Chili, afin d’assurer une production continue», a déclaré à Reuters Robert Robles, secrétaire du syndicat des spécialistes et superviseurs de BHP. «Des plaintes ont été déposées auprès de la Direction du travail pour violation du droit de grève et pratiques anti-syndicales».

Le 27 mai 2021, les travailleurs contractuels qui dirigent à distance le Centre d’opérations intégrales (COI) des mines d’Escondida et de Spence depuis Santiago, à 1.400 km de là, se sont mis en grève illimitée pour la première fois depuis la création du syndicat en 2019.

La mine Escondida de BHP (source: BHP)

Les travailleurs à distance sont principalement des personnes hautement qualifiées licenciées de la mine Escondida de BHP (qui a produit l’année dernière 1,19 million de tonnes de cuivre, soit plus que toute autre mine individuelle dans le monde) ainsi que de la mine BHP Spence, plus petite. Ils ont ensuite été immédiatement externalisés vers une société-sœur, «BHP CHILI» sur la base de contrats individuels avec salaires et avantages inférieurs quand le centre d’opérations intégral a été inauguré il y a deux ans.

Comme l'a récemment expliqué un travailleur du COI, 'Nous opérons à distance (depuis Santiago) toute la chaîne de valeur, de l'extraction du minerai à son expédition. Nous sommes des spécialistes de la salle de contrôle qui couvrent toutes les bases. En outre, nous avons des gens qui travaillent dans la technologie, des gens travaillant au soutien technologique, des gens à la planification long et court terme, la planification stratégique, les projets...'

La grève du COI fut suivie le 31 mai d’un vote de 1 100 travailleurs sur site à la mine Spence, dans la région d'Antofagasta, en faveur d'une grève. Un groupe plus important de travailleurs sur le site de la mine Escondida, située dans la même région, doivent se mettre en grève plus tard en juin.

Une transformation massive est en cours dans le secteur minier international, liée à la mise en place d’automatisation et de systèmes d’exploitation à distance. Le processus a commencé par la relocalisation des fonctions commerciales, de la planification opérationnelle et des fonctions analytiques hors des sites. La pandémie de coronavirus a accéléré ce processus pour inclure le développement du travail à distance sur le terrain avec l’application de l'intelligence artificielle et de la technologie d'apprentissage automatique.

Un analyste de l’industrie minière d’Accenture Chili explique que «avant la pandémie, les travailleurs sur le terrain étaient à 100 pour cent sur place. Pendant les premières quarantaines, cette présence a chuté à 60 pour cent et se situe maintenant entre 70 et 80 pour cent. Quant aux employés de bureau, avant la pandémie, le travail sur site représentait 90 pour cent. Pendant les premières quarantaines, ce pourcentage est tombé à 5-10 pour cent et se situe actuellement entre 30 et 40 pour cent.»

Avec une production annuelle de quelque 5,7 millions de tonnes, le Chili représente 28 pour cent de l’offre mondiale de cuivre. L’industrie dans son ensemble représente 10 pour cent du PIB du Chili et 52 pour cent de ses exportations. Les plus grands consortiums miniers ont réalisé des milliards de dollars de bénéfices alors que le pays perdait régulièrement des parts de marché. L’entreprise publique Codelco et de nombreuses mines privées, exploitées depuis des décennies, nécessitent d’énormes investissements pour faire face au vieillissement des infrastructures, à la baisse des teneurs en minerai et à l’augmentation des coûts d’exploitation à mesure qu’elles vont plus profond dans la terre.

Carte des mines au Chili (source: Consejo Minero Chile)

Ce qui pousse à la «modernisation» des relations de travail et à l’accroissement de la flexibilité est donc la réduction des coûts de production en supprimant toutes les entraves à l’exploitation de la main-d’œuvre.

Le dernier rapport du gouvernement indique que la main-d’œuvre actuelle dépasse celle d’avant la pandémie. Des 250.000 travailleurs employés dans le secteur minier avant la pandémie, 40.000 emplois ont été détruits dans les mois qui ont suivi mars 2020. Depuis juin de l’année dernière, lorsque la deuxième vague a frappé particulièrement fort les régions minières, la tendance s’est inversées et au 31 mars de cette année, 260.000 personnes travaillaient dans l’industrie minière.

Ce que ces chiffres ne montrent pas, c’est que la majorité de cette main-d’œuvre est embauchée chez des sous-traitants ou dans le cadre de contrats individuels, comme le sont les employés du COI. La proportion de personnel directement employé par l’industrie minière est en baisse depuis plus de quatre décennies. Au début des années 2000, seulement 39 pour cent de la main-d’œuvre était directement employée, pour tomber à seulement 27 pour cent en 2019. Cette tendance n’a fait que s’accélérer depuis la pandémie.

Les grandes sociétés minières ont fait valoir que la recherche d’efficacité et d’augmentation de la productivité par l’automatisation du travail sur le terrain et du fonctionnement des machines était motivée par des préoccupations de sécurité. Cela est démenti par le fait qu’elles ont conspiré, avec l’aide du gouvernement de droite, des gauches parlementaires et des syndicats, pour maintenir l’industrie minière opérationnelle pendant la pandémie.

Dans les régions septentrionales de Tarapacá, Antofagasta et Atacama, où se trouvent la plupart des sites miniers du Chili (voir la carte), le total des infections confirmées et suspectées de COVID-19 a atteint 126.300 cas ; on y comptait 2.375 décès à la fin du mois dernier. Ce carnage ne tient même pas compte des milliers d’incapacités dont souffrent les mineurs chiliens en raison d’épouvantables accidents qui, au cours des 20 dernières années, ont coûté la vie à 581 travailleurs.

Un éditorial du 31 mars dans le Tiempo Minero du Conseil minier péruvien donnait une estimation du nombre de mineurs morts du COVID-19 dans plusieurs pays d’Amérique latine, révélant partout le même mépris pour la vie des travailleurs: 120 en Équateur, 299 au Brésil, 55 au Pérou, 18 au Chili, 35 en Argentine.

La responsabilité en incombe entièrement à la gauche parlementaire, au Parti communiste, au Frente Amplio et aux syndicats corporatistes qui, des décennies durant depuis le retour au pouvoir civil, ont maintenu des arrangements tripartites, travaillant simultanément avec les entreprises et des gouvernements de coalition de centre-gauche, tout comme ils le font aujourd’hui avec la présidence de droite de Sebastian Piñera.

Non seulement ils ont soutenu le fonctionnement continu de l’industrie minière non essentielle, mais très rentable, mais ils ont adopté des lois facilitant la suspension de centaines de milliers de contrats, obligeant les travailleurs à entamer leur assurance chômage en vertu de la «loi de protection de l’emploi». Ils ont mis en œuvre des «Règlements électroniques» permettant des licenciements massifs sans que les travailleurs aient le droit de faire des réclamations et ont accepté de reporter la négociation de conventions collectives.

Ils ont signé un pacte d’unité nationale avec le gouvernement Piñera au milieu de manifestations anticapitalistes massives à la fin de 2019 – d’où est sorti un accord pour organiser un plébiscite et des élections pour l’écriture d’une nouvelle constitution – cherchant à enchaîner les travailleurs au parlementarisme et à étouffer la lutte des classes. D’autres mesures populistes, tel qu’un projet de loi sur les redevances minières qui a peu de chances de voir le jour, ont été recherchées dans le même but.

La lutte de classe est réapparue au sein d'une section historiquement importante des travailleurs chiliens. Elle fait partie d'une vague de grèves et d'une radicalisation de la classe ouvrière à l'échelle mondiale, dont la signification objective est la lutte pour sauver les vies et les moyens de subsistance face à une crise créée par le capitaliste et que la pandémie a révélée au grand jour.

La classe ouvrière ne peut faire avancer ce combat qu’en rompant avec les syndicats nationalistes et opportunistes et les partis capitalistes faussement de gauche, et en développant de nouveaux organes de lutte.

C’est dans ce but que le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), qui publie le World Socialist Web Site, a lancé la construction de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base.

(Article paru d’abord en anglais le 8 juin 2021)

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