Perspectives

La classe dirigeante américaine «expérimente» la suppression des allocations de chômage pour des millions de travailleurs

Les gouverneurs de 25 États américains ont déjà supprimé ou vont bientôt commencer à supprimer les allocations de chômage supplémentaires liées à la pandémie, privant ainsi quelque quatre millions de chômeurs d’une aide supplémentaire de 22 milliards de dollars, selon la Century Foundation.

Sans-abri à Seattle (David Lee, Flickr Creative Commons)

L’élimination des allocations de chômage fédérales de 300 dollars par semaine a commencé samedi dernier dans le Mississippi, le Missouri, l’Iowa et l’Alaska. Les 21 autres États devraient supprimer cette aide d’ici le 10 juillet. Vingt-et-un des 25 États, dont le Maryland, le Texas et le Tennessee, mettront fin à tous les programmes liés à la pandémie, tels que l’assistance-chômage pandémique (pour les emplois précaires) et le programme d’indemnisation d’urgence du chômage en période de pandémie.

Les États qui prennent ces mesures draconiennes sont dirigés par des gouverneurs républicains. La politique, cependant, est bipartite. Le mois dernier, le président Joe Biden a indiqué qu’il était favorable à la fin des prestations en autorisant la reprise des exigences liées à la recherche d’emploi. Il s’est également déclaré favorable à l’expiration des allocations de chômage fédérales pour l’ensemble du pays le 6 septembre, soit dans moins de trois mois.

Cela a été suivi d’une déclaration du porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, le 4 juin, dans laquelle elle a affirmé que les gouverneurs républicains «ont tout à fait le droit» de «ne pas accepter» l’allocation fédérale, ajoutant: «C’est OK.»

Dans la presse capitaliste, la décision d’éliminer l’aide au chômage pour des millions de travailleurs et leurs familles a été décrite comme une «expérience». NBC News a déclaré le 11 juin: «C’est le début d’une expérience audacieuse, de masse, sociale et économique, pour voir si la suppression anticipée des allocations de chômage fédérales pour la moitié du pays incitera les habitants de ces États à reprendre le travail».

Cette «expérience audacieuse» signifiera, en pratique, jeter des millions de personnes dans la pauvreté et la misère tout en facilitant la poursuite de la propagation de la pandémie de coronavirus.

Prenons l’exemple du Mississippi, où moins de 29 pour cent de la population sont entièrement vaccinés et où près de 70.000 chômeurs ont été privés d’allocations de chômage samedi. Près de 15 pour cent des adultes du Mississippi interrogés par le US Census Bureau le mois dernier ont déclaré qu’ils avaient manqué «parfois ou souvent» de nourriture au cours des sept derniers jours. En outre, près de 37 pour cent des adultes ont déclaré qu’il était «assez ou très difficile» de payer les dépenses habituelles du ménage au cours de la semaine écoulée.

Les conditions dans le Mississippi se répètent dans tout le pays. La réduction des prestations fédérales sera catastrophique pour les chômeurs et leurs familles, dont beaucoup sont incapables de trouver un emploi pour des raisons de santé, de garde d’enfants ou de salaire décent.

La suppression des allocations de chômage est motivée par deux raisons interdépendantes.

Premièrement, il y a l’impératif de la classe dirigeante de remettre les travailleurs au travail, même si la pandémie continue de faire des centaines de victimes chaque jour et que de nouvelles souches dangereuses, comme le variant Delta, se propagent rapidement. La classe dirigeante, avec le gouvernement Biden à sa tête, a proclamé que la pandémie était «terminée».

Des allocations de chômage fédérales supplémentaires de 600 dollars par semaine sont incluses dans la loi CARES qui a été adoptée fin mars 2020. L’aide temporaire fournie aux personnes dévastées par l’impact économique de la pandémie était destinée à servir de palliatif et de couverture à l’objectif principal de la loi: le sauvetage de Wall Street à hauteur de plusieurs milliers de milliards de dollars.

Une fois que cette aide massive aux riches est devenue une loi, les demandes de retour au travail des travailleurs ont commencé, couplées à des dénonciations bipartites de la subvention de 600 dollars par semaine qui était un «dissuasif» au travail. On a laissé le programme expirer en juillet 2020 et il a été remplacé sous Trump par un programme temporaire qui versait la moitié de cette somme, soit 300 dollars par semaine. Le supplément de 300 dollars par semaine a été prolongé en mars de cette année, sous Biden, offrant des prestations jusqu’en septembre.

L’accord unanime au sein de la classe dirigeante selon lequel tous les avantages doivent prendre fin coïncide avec la campagne du gouvernement Biden qui vise à supprimer toutes les restrictions restantes sur la propagation du virus.

La décision des Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) d’éliminer le port du masque et de réduire les directives de distanciation sociale le mois dernier a été suivie par la publication des directives de sécurité sur le lieu de travail du ministère du Travail qui ne s’appliquent qu’aux établissements de soins de santé. Le reste de la classe ouvrière sera laissé sans défense sur des lieux de travail qui ne seront pas obligés d’adopter des mesures de sécurité de base, telles que le port obligatoire d’un masque, la distanciation sociale ou l’obligation d’informer les travailleurs lorsqu’ils ont pu être exposés au virus.

Deuxièmement, la classe dirigeante s’inquiète du fait que la pénurie relative de main-d’œuvre dans certaines industries contribue à la hausse des salaires. «La Fed pourrait faire face à un casse-tête en matière d’emploi dans sa lutte contre l’inflation», écrivait CNBC la semaine dernière. «Plus les gens doit passer du temps pour retrouver du travail,» déclarait-elle, «plus les employeurs devront payer».

CNBC cite Ian Shepherdson, économiste en chef chez Pantheon Macroeconomics: «Malheureusement, nous avons de bonnes raisons de penser que la participation au marché du travail pourrait ne pas revenir rapidement à son niveau d’avant la crise. Quoi qu’il arrive, la Réserve fédérale a besoin qu’un grand nombre de ces personnes reviennent sur le marché du travail à l’automne».

Derrière ce langage codé se cache une impitoyable logique de classe. La classe dirigeante veut créer une pression pour une baisse des salaires en forçant des millions de travailleurs à accepter des emplois de misère, dans des conditions dangereuses, en supprimant les allocations de chômage.

Quant à l’inflation, la classe dirigeante ne s’inquiète pas de l’«inflation» en général, mais des revendications des travailleurs pour une augmentation des salaires en fonction de la montée en flèche des coûts des biens de consommation. Cela réduirait les bénéfices des sociétés.

Au cours de l’année dernière, on a assisté à une inflation massive des prix de presque tous les actifs financiers, sous l’effet de l’injection illimitée d’argent de la Réserve fédérale dans les marchés boursiers. Cela a produit une croissance correspondante de la richesse de l’oligarchie, la richesse des milliardaires du monde passant de huit mille milliards de dollars à treize mille milliards de dollars. L’augmentation de la richesse de l’oligarchie pendant cette période est 227 fois plus importante que le coût des allocations de chômage fédérales qui sont supprimées actuellement.

Alors que des articles déplorent quotidiennement le fait que certains chômeurs parviennent à survivre avec les maigres allocations fournies, personne dans la presse capitaliste ne suggère de fermer le robinet de Wall Street. Cette «expérience» ne les intéresse pas.

L’«expérience» de la classe dirigeante avec sa politique d’immunité collective meurtrière a conduit à la mort de plus de 600.000 personnes aux États-Unis. Aujourd’hui, la suppression de l’aide au chômage signifie la dévastation sociale pour des millions de personnes. Dans les deux cas, la réalité du capitalisme et les conséquences de la subordination de la société aux intérêts de l’oligarchie financière sont mises à nu.

La suppression des allocations de chômage alimentera une opposition croissante dans la classe ouvrière. Les grèves en cours des travailleurs de Volvo en Virginie, des métallurgistes d’ATI en Pennsylvanie et des infirmières du Massachusetts sont les premières expressions d’une explosion qui se développe. Ces luttes doivent être étendues et retirées des mains des syndicats propatronaux qui, depuis des décennies, répriment systématiquement l’opposition de la classe ouvrière aux politiques de l’élite dirigeante.

La lutte contre la suppression des allocations de chômage, contre l’immunité collective et contre l’exploitation doit être liée à un mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, aux États-Unis et dans le monde, pour exproprier les oligarques, établir la propriété publique des banques et des entreprises géantes, et abolir le système capitaliste.

(Article paru en anglais le 15 juin 2021)

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