Une « parodie de justice »

Quatre demandeurs d'asile accusés d'avoir déclenché l'incendie du camp de réfugiés de Moria condamnés à 10 ans de prison

Quatre demandeurs d'asile afghans ont été condamnés pour incendie volontaire à 10 ans de prison. On les avait accusés d’être à l’origine de l'incendie dévastateur du camp de réfugiés de Moria sur l'île grecque de Lesbos, l'année dernière. Trois des quatre accusés disposaient de documents prouvant qu'ils étaient mineurs au moment de leur arrestation, mais furent néanmoins jugés comme adultes. En mars, deux jeunes Afghans avaient été condamnés à cinq ans de prison dans le cadre de la même affaire.

La condamnation et les peines ont été prononcées devant un tribunal à huis clos de trois juges, les journalistes et les observateurs internationaux étant exclus de la procédure après qu'un juge a fermé la salle d'audience, invoquant les restrictions liées au COVID-19. La principale preuve de l'accusation était le témoignage d'un autre réfugié afghan, qui avait fui la Grèce avant le début du procès. Les jeunes auraient prétendument été motivés à déclencher un incendie pour protester contre les mesures de quarantaine imposées à la suite d'une épidémie de coronavirus dans le camp.

L'incendie de septembre dernier avait détruit le camp de Moria, déplaçant les 13 000 réfugiés qui y étaient détenus dans des conditions sordides. Bien que personne n'ait été tué dans l'incendie, l'ensemble du camp a été détruit, y compris la plupart des possessions des habitants. Pendant de nombreuses semaines, des milliers de réfugiés, dont un tiers étaient des enfants, ont été contraints de dormir en plein air sur les collines entourant le camp.

Des migrants et des réfugiés se tiennent à côté de baraquements en feu dans le camp de réfugiés de Moria, sur l' île égéenne de Lesbos, au nord-est de la mer Égée, en Grèce, le dimanche 29 septembre 2019 [ InTime News via AP]

Au moment de l'incendie, un certain nombre de réfugiés ont accusé des fascistes grecs de l'avoir déclenché, après l'annonce d'une épidémie de coronavirus dans le camp. De petits groupes de fascistes, avec le soutien tacite de la police locale et d'agents de l'UE, ont régulièrement attaqué des réfugiés et des travailleurs humanitaires autour du camp.

De nombreux témoins oculaires ont également fait état de l’énorme délai entre le signalement de l'incendie et la réponse des autorités locales, permettant à l'incendie de détruire tout le camp. Après l'incident, un porte-parole du gouvernement Nouvelle Démocratie de droite a lancé des accusations non fondées que les migrants avaient eux-mêmes déclenché les incendies, affirmant qu' « ils [les demandeurs d'asile] pensaient que s'ils incendiaient Moria, ils pourraient quitter l'île ».

La seule preuve contre les jeunes et les hommes qui ont été condamnés, tous membres de la minorité ethnique hazara persécutée, est le témoignage d'un autre réfugié afghan. Ce témoin était pachtoune, le groupe ethnique majoritaire en Afghanistan ; la défense a fait valoir qu'on l’avait persuadé de faire un faux témoignage contre les accusés en raison des tensions ethniques persistantes entre réfugiés dans le camp. Selon infomigrants.net, plus de 70 pour cent des détenus du camp étaient afghans, bien que de diverses origines ethniques.

La défense n'a même pas pu contre-interroger le témoin qui a fui Moria peu de temps après avoir fait sa déposition à la police et n'était donc pas présent pour affronter les accusés au procès de la semaine dernière, ni à celui de mars. Le témoignage a été décrit par l’avocate de la défense Natasha Dailiani comme « plein d'incohérences ». La défense a en outre qualifié la condamnation définitive des quatre réfugiés d'« inconcevable » et « sans preuves ».

Après la condamnation, Patrikios Patrikounakis, l'un des avocats représentant les demandeurs d'asile, a déclaré: « Il est clair que cela venait d'en haut, et c'était une décision de l'État. Avant qu'une enquête ne soit ouverte, les ministres du gouvernement demandaient des condamnations. Neuf mois avant ces condamnations, le ministère grec des Migrations avait déclaré à CNN: « Le camp a été incendié par six réfugiés afghans qui ont été arrêtés ».

Répondant au fait que trois des condamnés étaient mineurs au moment de leur arrestation mais ont été illégalement jugés en tant qu'adultes, il a ajouté: « [l]' âge aurait dû être pris en compte, selon le code pénal grec. Ce que nous avons vu, à la place, était une parodie de justice ».

Les incendies n'étaient pas rares au camp de Moria. En 2016, environ 60 pour cent du camp fut détruit à la suite d'un incendie. En septembre 2019, deux incendies se déclarèrent dans le camp, entraînant la mort d'une femme et d'un enfant. En mars 2020, un autre incendie coûta la vie à une fillette de six ans. Tous ces incendies ont des origines peu claires.

Même s'il s'avérait que ce dernier incendie a été déclenché par les accusés, la responsabilité d’un tel acte désespéré de protestation incomberait à l'ensemble de l'Union européenne et de ses gouvernements, et non à leurs prisonniers. Le mot Moria est synonyme de traitement inhumain des réfugiés par l'UE. Les conditions épouvantables dans ce camp sont censées avoir un effet dissuasif sur les réfugiés qui arrivent.

Au moment du dernier incendie, il y avait 13 000 réfugiés dans un camp conçu pour 3 000 personnes. Les détenus devaient faire la queue pendant des heures pour accéder à l'eau potable et aux toilettes. Après l'incendie, des milliers de personnes ont été transférées à Kara Tepe, qui n'avait ni eau courante ni système d'égouts pendant des mois avant sa fermeture plus tôt cette année et le retour des réfugiés dans ce qui a été surnommé « Moria 2.0 ».

Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'alimentation, a décrit en février 2020 les conditions comme suit: « Les droits de l'homme sont violés à chaque instant dans le camp, le désespoir total est omniprésent. Les scélérats bruxellois laissent se développer des conditions de survie dans des points chauds qui rappellent les déplorables camps de concentration. »

La détérioration des conditions à Moria et dans les camps de réfugiés dans toute la Grèce, ainsi que l'augmentation des patrouilles de la marine de l'UE dans la mer Égée ont été supervisées à la fois par le gouvernement Nouvelle démocratie, ouvertement de droite, et la coalition de pseudo-gauche Syriza, au pouvoir en Grèce jusqu'en 2019.

La condamnation de six demandeurs d'asile, dont cinq enfants au moment de leur arrestation, sur la base d'un témoignage oculaire hautement douteux et invérifiable fait partie d'une tentative criminelle visant à dissimuler le rôle du gouvernement grec et le propre rôle de l'UE dans la crise de Moria.

Dans le même temps, la classe dirigeante grecque et européenne a toujours défendu ses alliés d'extrême droite dans les attaques contre les réfugiés et les travailleurs humanitaires, et collaboré avec eux.

En tant que conséquence directe de la campagne anti-immigrés « Europe forteresse » de l'UE, au cours des sept dernières années, on estime officiellement que plus de 20 000 migrants se sont noyés dans la Méditerranée, du Maroc à la mer Égée. Cela en soi est probablement une sous-estimation significative de l'ampleur réelle des décès.

Les efforts du gouvernement grec pour faire de ces demandeurs d'asile des boucs émissaires est une extension logique des politiques anti-immigrés meurtrières de l'UE à l'échelle du continent, qui visent à détourner vers l’extérieur les tensions sociales produites par l'énorme austérité imposée à la population. Le corollaire de cet effort est la promotion et la protection par l’UE de l’extrême droite et ses politiques, qui sont au bout du compte dirigés contre l'ensemble de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 16 juin 2021)

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