Le premier tour des régionales marqué par l’abstention à 67 pour cent

Le premier tour des élections régionales s’est déroulé hier, marqué par une abstention historique et l’arrivée du Rassemblement national (RN) en tête en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Les élections françaises ont eu lieu pendant la pandémie de Covid-19, qui a fait plus de 110.000 morts en France à cause de la décision du gouvernement Macron de laisser circuler le virus depuis le début de la crise sanitaire. Pour l’élite dirigeante, ces élections devaient servir à sonder l’opinion, alors que les partis politiques établis se préparent à nommer des candidats aux présidentielles de 2022.

Selon les premières estimations, le taux de participation à l’échelle nationale n’était que de 32,8 pour cent, l'abstention s’élevant ainsi à 67,2 pour cent, un record sous la Ve République pour une élection à deux tours. En 2015, l'abstention aux élections régionales avait été de 49,9 pour cent; le record d’abstention jusqu'ici avait été atteint en 2010, avec 53 pour cent. L’abstention aux élections régionales de 1986 par contre n’avait été que de 22,7 pour cent.

Cette vague d’abstention souligne une désillusion généralisée envers les partis politiques établis ainsi qu’une méfiance envers la gestion de la pandémie par Macron, qui a obtenu le soutien tacite de partis tels que La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon.

Les élections régionales visent à désigner 1.767 conseillers régionaux pour six ans dans les 12 régions métropolitaines de France. Au premier tour, si une liste obtient la majorité absolue des suffrages exprimés, elle obtient le quart des sièges à pourvoir. Les autres sièges sont répartis à la représentation proportionnelle entre toutes les listes ayant obtenu au moins 5 pour cent des suffrages exprimés.

Les Républicains (LR) sont de même dans les Hauts-de-France (43,1 pour cent), Grand Est (31,5 pour cent), Normandie (35,1 pour cent), Pays de la Loire (34,1 pour cent) et Auvergne-Rhône-Alpes (43,8 pour cent), et en Ile-de-France (34,2 pour cent des voix). Le PS est arrivé en tête dans 5 régions: Centre-Val de Loire (25,6 pour cent), Nouvelle-Aquitaine (28,6 pour cent), Occitanie (39,6 pour cent), Bourgogne-Franche-Comté (26,2 pour cent) et Bretagne (20,8 pour cent).

Le RN néofasciste est en tête avec 34,8 pour cent en PACA.

En Corse, les autonomistes de Inseme per a Corsica sont en tête avec 28 pour cent des voix.

Carte des régions françaises (Source: Wikimedia)

Aucun parti n’ayant obtenu une majorité absolue des suffrages exprimés, un second tour des élections sera nécessaire dans toutes les régions de France dimanche prochain. Les listes ayant obtenu au moins 10 pour cent des suffrages exprimés peuvent se maintenir au second tour, et éventuellement fusionner avec les listes ayant obtenu au moins 5 pour cent des suffrages.

Au niveau national, selon une estimation nationale Ipsos/Sopra Steria, les résultats du premier tour par formation politique sont: LR et alliés 27,2 pour cent des voix; le RN 19,3 pour cent; PS et alliés 17,6 pour cent; Europe Ecologie-Les Verts (EELV) et alliés 12,5 pour cent; La République en Marche (LREM) et alliés 11,2 pour cent; La France Insoumise (LFI) et alliés 4,2 pour cent.

Plusieurs commentateurs ont souligné le discrédit généralisé de la classe politique que révèle cette élection. Dans son édition du week-end Le Monde a écrit, « cette désertion des électeurs est bien le signe d’une démocratie malade, d’une désillusion politique où s’installe durablement le sentiment que ‘le vote ne sert à rien’ ».

Frédéric Dabi, le directeur Opinion de l'Ifop, a dit sur LCI ce vendredi que ce taux d'abstention sera « l’enseignement majeur de cette soirée électorale » et un « séisme qui aura des conséquences, car un rapport de force électoral, c’est d’abord le fruit d’une participation et d’un différentiel de mobilisation entre des camps qui votent et des camps qui ne votent pas. Mais quand on arrive à un tel niveau, pour qui sonne le glas ? Il sonne pour tous les partis politiques, tous les segments de population ».

Le parti la République en Marche (LREM) d’Emmanuel Macron est discrédité et a échoué à se maintenir dans les Hauts-de-France, en Auvergne Rhône Alpes et en Occitanie.

Le premier tour marque aussi une déception pour le RN de Marine Le Pen. Auparavant, les sondages le donnaient gagnant dans six ou sept régions et prédisaient que le RN pourrait remporter le Grand Est, le Centre-Val de Loire et PACA au second tour. En réalité, le vote RN a baissé par rapport aux élections régionales de 2015, auxquelles le RN a obtenu presque 28 pour cent des voix aux premier et second tours, soit 6,8 millions de voix. En 2015, le RN n’avait remporté aucune région au second tour, mais il avait obtenu 358 conseillers régionaux, soit trois fois plus qu’avant.

Toutefois, malgré la baisse de son vote au premier tour, le RN confirme qu’il est toujours une force politique majeure établie en France, en grande partie grâce à la légitimation de sa politique par Macron et par le gouvernement PS du président François Hollande avant lui.

Pour LFI et Mélenchon, qui avait reçu juste en-dessous de 20 pour cent des voix aux élections présidentielles de 2017, le vote de 4,2 pour cent sonne comme un désaveu. Suite au plus grand désastre sanitaire en plus d’un siècle, LFI ne s’est pas posé en alternative à la gestion désastreuse et politiquement criminelle par le parti au pouvoir dans l’intérêt de l’aristocratie financière,

Au second tour, LFI s'aligne sur les partis bourgeois, prétendument afin de faire barrage au Rassemblement National. Mélenchon appelle à ne pas laisser de région au RN, en déclarant: « Nous lançons un appel pour ne pas ajouter à tous les malheurs de notre démocratie, une affliction de plus. Nous ferons ce qu'il faut pour convaincre chacune et chacun qu'il ne faut pas donner de région au Rassemblement national ».

En France, Macron et l’ensemble de l'establishment politique ont largement contribué à la montée de RN en légitimant la politique de l'extrême droite ces dernières années. Alors qu’il a mené des attaques contre les travailleurs en collaboration avec les syndicats, Macron a continué à promouvoir l'extrême droite.

Après sa victoire en 2017, Macron a fait le « salut républicain » envers Marine Le Pen et ses partisans. Des forces au sein de son ministère de la Culture ont tenté de faire éditer les œuvres de Charles Maurras, le dirigeant antisémite au 20e siècle de l’Action française, pilier du régime collaborationniste de Vichy et traître condamné à la Libération. En 2018, alors qu’il lançait les forces de l’ordre contre les « gilets jaunes », il a salué le dictateur collaborationniste Philippe Pétain en tant que « grand soldat ».

Depuis le début de la pandémie, le gouvernement Macron a fourni des milliards d’euros aux banques et aux grandes entreprises tout en poursuivant une politique d’immunité collective qui a coûté plus de 110.000 vies en France et plus d’un million en Europe. Pendant cette période, les plus riches ont énormément augmenté leurs fortunes alors que la majorité de la population a vu l’effondrement de son niveau de vie.

Suite à la pandémie, Macron a adopté une large part du programme du RN pour tenter de miner définitivement les droits démocratiques: loi contre le séparatisme, sabordant la loi de 1905 sur la laïcité et la séparation de l'église et de l’État et qui ouvre la voie à des dissolutions arbitraires d’organisations culturelles et politiques; la loi de sécurité globale qui couvre les violences policières contre les manifestants.

Ceci souligne que le système politique français est insensible à la montée de la colère sociale parmi les travailleurs, et verrouillé par des serviteurs des intérêts de l’aristocratie financière. Quel que soit le résultat final des élections, elles ne résoudront aucun des problèmes fondamentaux auxquels font face les travailleurs. La question décisive demeure la mobilisation de la classe ouvrière en France et à travers le monde sur la base d’une opposition socialiste et internationaliste aux politiques sanitaires, sociales et sécuritaires réactionnaires des élites dirigeantes.

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