La Suisse adopte une loi policière draconienne

La nouvelle loi antiterroriste adoptée par la Suisse le week-end dernier est l’une des lois policières les plus sévères de toute l’Europe. Son adoption par référendum souligne l’urgence de construire un véritable parti ouvrier en Suisse qui défende par principe les droits démocratiques des travailleurs.

La «Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme» (MPT) ignore de manière flagrante les principes du soi-disant «État de droit démocratique». Par exemple, elle bafoue la séparation civile-démocratique des pouvoirs car elle permet à la police fédérale d’intervenir contre des «personnes dangereuses» même sans preuves suffisantes pour une procédure pénale et sans ordonnance d’un juge.

La loi ne tient pas compte non plus du principe de la protection des données personnelles, car elle permet aux policiers de récupérer et d’échanger entre eux des «données personnelles particulièrement sensibles». Cela inclut explicitement, entre autres, «des données sur les opinions ou les activités religieuses et idéologiques.»

Des ouvriers du bâtiment en grève bloquent le pont du Mont-Blanc à Genève, en octobre 2018

Les mesures de police envisagées vont de l’obligation de se présenter régulièrement à une autorité à l’interdiction de contact, en passant par l’interdiction de quitter le pays et la révocation du passeport, jusqu’à neuf mois d’assignation à résidence. Elles peuvent être imposées à des mineurs dès 15 ans et dans certains cas à des enfants dès 12 ans qui sont considérés comme des «personnes dangereuses» aux yeux de la police. Pour les personnes sans passeport suisse, la «détention d’expulsion», c’est-à-dire la détention en vue de l’expulsion, est également prévue. Et toute personne qui désobéit aux ordres de la police peut être punie d’une peine de prison allant jusqu’à trois ans.

La loi est officiellement justifiée par l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo à Paris, en France, en 2015. Elle est censée donner à la police suisse la capacité de «prendre des mesures préventives contre les menaces terroristes.» Mais elle définit les «activités terroristes» de manière si vague qu’elle pourrait facilement inclure les jeunes indisciplinés et les protestations sociales. En particulier, elle pourrait s’appliquer aux militants politiques qui s’efforcent explicitement de changer les conditions sociales.

La loi stipule que «les activités terroristes sont définies comme des efforts visant à influencer ou à modifier l’ordre de l’État en commettant ou en menaçant de commettre des crimes graves ou en répandant la peur et la terreur.»

Cette définition du terrorisme est très problématique et a été vivement critiquée par des experts juridiques. Parmi eux, on trouve par exemple Nils Melzer, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, qui a également défendu avec véhémence Julian Assange. Melzer qualifie la définition d’«au-delà du bien et du mal», car elle ne définit plus nécessairement le terrorisme comme un crime violent.

À cette fin, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme, la professeure de droit nord-irlandaise Fionnuala Ní Aoláin, a également déclaré dans une interview au journal Republic: «Cette définition du terrorisme est utilisée par les États autoritaires pour réprimer l’opposition».

En fait, cette définition de l’«activité terroriste» conviendrait également aux travailleurs en grève et aux protestataires qui bloquent l’accès à leur entreprise, ou aux groupes de locataires en colère qui exigent l’expropriation des requins de l’immobilier. Elle pourrait également s’appliquer aux politiciens socialistes et aux dirigeants syndicaux dont l’objectif déclaré est d’abolir le capitalisme, puisque même les déclarations de ces groupes pourraient «répandre la peur et la terreur» parmi les actionnaires, les représentants des entreprises et les fonctionnaires de l’État.

Un comité comprenant les Jeunes Verts, les Jusos (organisation de jeunesse des sociaux-démocrates), les Jeunes Verts libéraux et le Parti Pirate, ainsi que des organisations non gouvernementales et des initiatives de défense des droits civils, a lancé un référendum contre le «paragraphe sur l’arbitraire». Comme ils l’expliquent, cette loi est «une attaque contre la sécurité de la population suisse. Elle soupçonne et met en danger des citoyens irréprochables: n’importe qui peut être assigné à résidence jusqu’à neuf mois sans avoir commis de crime... Les personnes concernées ne peuvent se défendre qu’en prouvant qu’elles ne commettront jamais de crime à l’avenir. C’est tout simplement impossible».

Le Parti socialiste suisse (PS) a publié le slogan «Non». Cependant, il n’a absolument pas mené de campagne publique contre la loi pour avertir et mobiliser la population active. Après tout, ce parti détient des sièges au gouvernement, y compris au Conseil fédéral, qui compte sept membres. Dans cette coalition multipartite, le PS fait également l’unanimité avec l’UDC, parti d’extrême droite.

La loi a été approuvée par 56,6 % des voix lors du vote de dimanche 13 juin. Le taux de participation a été relativement élevé par rapport aux normes suisses, soit 59,5 %, et tous les cantons, à l’exception de la ville de Bâle, ont voté en faveur de la nouvelle loi sur la police.

Mais que signifie une majorité de votes en Suisse? En fait, seuls 1,85 million de personnes, soit un peu plus d’un cinquième des 8,6 millions d’habitants du pays, ont voté en faveur de la «loi sur l’arbitraire». Environ 2,2 millions d’habitants ne possèdent pas de passeport suisse. Plus important encore, une grande partie de la classe ouvrière n’a aucun droit de vote et n’a pas pu participer au référendum. La Suisse a une classe ouvrière multinationale, où des Italiens, des Tamouls, des Allemands, des Turcs, des Bosniaques, des travailleurs du Maghreb et d’autres travaillent aux côtés des travailleurs suisses.

Cette loi exprime clairement une peur profonde de la part de la bourgeoisie et des autorités suisses à l’égard de toute agitation au sein de la classe ouvrière. La Suisse est l’un des pays les plus riches du monde, mais elle est fortement dépendante de l’économie mondiale. Sa richesse est profondément inégalement répartie. Les antagonismes sociaux sont tendus jusqu’au point de rupture, et la pandémie les a mis à nu.

La bourgeoisie continue de profiter de la Suisse comme centre bancaire et paradis fiscal respectable, ainsi que du tourisme alpin haut de gamme. La Suisse maintient également de petites industries hautement spécialisées qui sont, cependant, particulièrement dépendantes des aléas de l’UE.

Pendant la pandémie, la Suisse, comme la Suède, a refusé de fermer les entreprises et les écoles. Bien que la deuxième vague de la pandémie ait vu une forte augmentation du nombre d’infections et de décès, la Suisse a été le seul pays alpin à autoriser l’ouverture de la saison de ski l’hiver dernier. Près de 10.870 patients atteints du COVID-19 sont décédés au cours de la pandémie, dont plus de la moitié rien que cette année. Il ne fait aucun doute que de nombreuses victimes seraient encore en vie si les gouvernements fédéral et cantonaux n’avaient pas appliqué de manière aussi irresponsable leur politique du «profit avant la vie».

La classe ouvrière est doublement touchée par la pandémie: d’une part, ceux qui travaillent dans les hôpitaux ou les maisons de retraite, dans la production, dans la construction, à la caisse des supermarchés, dans le système ferroviaire ou dans les restaurants ont peu de possibilités de se protéger du COVID-19.

Dans le même temps, la classe ouvrière a été particulièrement touchée par les pertes d’emploi liées à la pandémie. Selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique, les chiffres de l’emploi montrent un quatrième trimestre de forte baisse début 2021, avec des suppressions d’emplois l’année dernière dans l’industrie manufacturière (-14.000 emplois), la construction (-6000 emplois) et l’hôtellerie (-35.000 emplois). Récemment, la compagnie aérienne Swiss a de nouveau annoncé des licenciements en masse.

Avec sa nouvelle loi de police sévère, la bourgeoisie suisse se prépare consciemment à une explosion sociale imminente. La classe ouvrière doit elle aussi se préparer!

La votation a montré une fois de plus l’urgence de construire un parti politique parmi les travailleurs de Suisse qui défendra leurs intérêts démocratiques et sociaux et les reliera à la classe ouvrière internationale, indépendamment de tous les partis et syndicats nationalistes. Un tel parti ne peut être construit qu’en tant que section du Comité international de la Quatrième Internationale (CIFI).

(Article paru en anglais le 21 juin 2021)

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