Tous les présidents de région français réélus sur fond d’abstention de masse

Plus de 65 pour cent des électeurs se sont abstenus hier au second tour des élections régionales en France, lors d’un scrutin qui a vu tous les présidents de région sortants réélus. Les candidats du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen comme de La République en Marche (LRM) d’Emmanuel Macron n’ont remporté aucune des 12 régions.

Dans ce scrutin déformé par la répétition de l’écrasante abstention (66,5 pour cent) au premier tour, les traditionnels partis gaulliste et social-démocrate ont conservé leurs positions. Les Républicains (LR) de Nicolas Sarkozy ont remporté six régions, le Parti socialiste (PS) ou les Verts cinq; l’autonomiste Fà populu inseme de Gilles Simeoni a remporté la Corse. Malgré l’apparence de stabilité, l’abstention révèle le discrédit de l’élite dirigeante dû à sa gestion catastrophique de la pandémie et à la violente répression policière des manifestations et des grèves.

Hier soir, les médias donnaient les résultats provisoires suivants, le candidat ayant reçu le plus de voix contrôlant l’exécutif régional ainsi qu’une prime d’un quart des sièges au conseil régional :

*Auvergne-Rhône-Alpes: Laurent Wauquiez (LR) 55,3 pour cent; Fabienne Grébert (Verts) 33,4; Andréa Kotarac (RN) 11,3.
*Bretagne: Loïg Chesnais-Girard (PS) 30; Claire Desmares-Poirrier (Verts) 21; Isabelle Le Callennec (LR) 20; Thierry Burlot (LRM) 17; Gilles Pennelle (RN) 12.
*Bourgogne-Franche-Comté: Marie-Guite Dufay (PS) 43; Julien Odoul (RN) 24,95; Gilles Platret (LR) 24,28; Denis Thuriot (LRM) 9,66.
*Centre-Val de Loire: François Bonneau (PS) 38,6; Nicolas Forissier (LR) 22,9; Aleksandar Nikolic (RN) 22,4; Marc Fesneau (LRM) 16,1.
*Corse: Gilles Simeoni (Fà populu inseme) 40,6; Laurent Marcangeli (LR) 32; Jean-Christophe Angelini (Avanzemu Pè a Corsica) 15,07; Paul-Félix Benedetti (régionalistes) 12,26.
*Grand Est: Jean Rottner (LR) 39; Laurent Jacobelli (RN) 27,1; Eliane Romani (Verts) 21,1; Brigitte Klinkert (LRM) 12,8.
*Hauts-de-France: Xavier Bertrand (LR) 53; Sébastien Chenu (RN) 25,6; Karima Delli (Verts) 21,4.
*Île-de-France: Valérie Pécresse (LR) 45,5; Julien Bayou (Verts) 32,5; Jordan Bardella (RN) 11,5; Laurent Saint-Martin (LRM) 10,5.
*Normandie: Hervé Morin (LR) 44,2; Mélanie Boulanger (PS) 25,9; Nicolas Bay (RN) 20,1; Laurent Bonnaterre (LREM) 9,8.
*Nouvelle Aquitaine: Alain Rousset (PS) 39,3; Edwige Diaz (RN) 18,9; Nicolas Thierry (Verts) et Nicolas Florian (LR) 14,3; Geneviève Darrieussecq (LRM) 13,2.
*Occitanie: Carole Delga (PS) 57,8; Jean-Paul Garraud (RN) 23,9; Aurélien Pradié (LR) 18,3.
*Provence-Alpes-Côte d’Azur: Renaud Muselier (LR) 57,3; Thierry Mariani (RN) 42,7.

Carte des régions françaises (Source: Wikimedia)

Sur fond de désillusion populaire, l’élite dirigeante compte utiliser l’élection, la dernière avant les présidentielles d’avril-mai 2022, pour décider quels candidats présidentiels avancer. Macron est impopulaire, comme son opposante au second tour en 2022, la néofasciste Marine Le Pen, dont le taux d’approbation en avril n’était que de 34 pour cent. Selon un sondage en février, 80 pour cent des Français s’opposeraient à un nouveau duel Macron-Le Pen en 2022, mais c’est également ce qui se produirait si les élections se déroulaient aujourd’hui.

En plus, Macron n’est qu’à 52 pour cent des voix contre Le Pen dans une élection hypothétique; il est donc possible que la France se retrouve en 2022 avec une présidente néofasciste.

Certaines sections de la bourgeoisie veulent manifestement trouver un factotum plus acceptable pour mettre en œuvre les politiques réactionnaires qu’avancent Macron et l’extrême-droite. Et donc, deux minutes à peine après l’annonce des premiers résultats hier soir, le candidat LR Xavier Bertrand a prononcé une allocation pour se poser en troisième candidat en 2022.

Bertrand, qui a été ministre de la Santé puis du Travail sous les présidents de droite Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, est un candidat de l’aristocratie financière. Mais son allocution hétéroclite mélangeait une rhétorique gaulliste, celle des « gilets jaunes », et les appels sécuritaires de Macron pour se poser démagogiquement en candidat du peuple.

« L’Histoire retiendra que par deux fois, ici, sur la terre des Hauts de France, fidèle à une certaine idée de la France, le Rassemblement national a été battu », a-t-il déclaré. Il s’est adressé à « vous, les silencieux, les invisibles, les ouvriers » et a juré de veiller à ce que « le travail vive à nouveau, qu’on puisse en vivre dignement. Mes priorités sont les classes moyennes et les catégories populaires ».

En même temps, se faisant l’écho des arguments de Macron pour justifier la répression des « gilets jaunes » et les attaques contre les droits démocratiques des musulmans, Bertrand a promis le « rétablissement de l’ordre et du respect » et de lutter contre «la haine de la France ».

Marine Le Pen a relevé « une crise profonde de la démocratie locale » et a voulu « remercier les électeurs qui se sont déplacés alors que tout les poussait à s’abstenir ». Elle a proposé d’adopter le Référendum d’initiative citoyenne (RIC), mesure proposée par les « gilets jaunes », car « tout doit être débattu pour redonner à nos compatriotes le goût de la politique ». Elle a conclu que son parti devait ensuite constituer « l’alternance dont la France a besoin ».

Jean-Luc Mélenchon, le chef de la France insoumise, s’est aussi exprimé pour saluer ses électeurs en PACA qui ont voté pour le réactionnaire Muselier contre le néofasciste, Mariani.

Mélenchon a pointé « une abstention abyssale qui sépare la masse des Français des institutions qui sont censées les représenter » et surtout celle parmi « les jeunes et les ouvriers qui, plus que les autres, tournent le dos sur ce qu’ils considèrent être une comédie ». Il a proposé «la reconnaissance du vote blanc, le droit au référendum d’initiative citoyenne, et au référendum révocatoire » pour tenter de rallumer la confiance des Français dans l’appareil d’État.

Il a cyniquement applaudi un effort politique extrêmement douloureux de la part de ses électeurs qui face au choix empoisonné de deux candidats ultra-réactionnaires, « ont néanmoins donné leur voix pour que le Rassemblement national soit battu ».

Il n’y a rien de plus superficiel que les remarques des politiciens et têtes parlantes capitalistes sur la crise de la démocratie, suivies par des appels à du bricolage législatif et à des votes du moindre mal, qui ont installé Macron au pouvoir. Les analyses officielles des élections gardent un silence assourdissant sur les racines politiques de l’abstention et du désillusionnement politique de masse.

Selon un sondage Odoxa pour Le Figaro, 60 pour cent des Français rendent « les partis politiques et les candidats, qui n’ont pas su intéresser les électeurs à ces élections » responsables de l’abstention. 37 pour cent citent la responsabilité de Macron, et 20 pour cent celle du « gouvernement qui n’a pas assez bien informé les Français sur ces élections ».

Dans l’analyse finale, l’abstention découle non pas de conditions nationales que peut réparer une ou autre réforme légale à l’intérieur de la France, mais d’une crise internationale du capitalisme.

L’élite dirigeante a gardé un silence presque complet sur le fait que 110.000 personnes en France et 1,1 millions en Europe sont mortes de Covid-19, à cause de l’opposition de l’élite dirigeante à une politique sanitaire scientifique contre le virus. Mais l’Union européenne en même temps a donné €2.000 milliards aux banques et aux grandes entreprises, augmentant le patrimoine des milliardaires européens de €1.000 milliards. Macron prépare à présent de nouvelles réformes pour attaquer les montants des retraites et de l’assurance-chômage pour financer ces cadeaux fiscaux aux riches.

Objectivement, ceci révèle un gouffre de classe qui sépare les travailleurs de l’aristocratie financière et de son appareil d’État. Et, face à la crainte de la colère ouvrière provoquée par des décennies d’austérité, des officiers d’active et de réserve en France et en Espagne menacent de lancer des coups militaires à l’intérieur de leurs pays.

Le fait qu’une descendante politique du régime collaborationniste de Vichy a des chances de gouverner la France l’année prochaine constitue un avertissement sur le cours autoritaire de la bourgeoisie. Mais la présidence de Macron réfute ceux qui diraient qu’un vote pour faire barrage à Le Pen préservera la démocratie française. Macron a personnellement salué le dirigeant de Vichy, Philippe Pétain, un traître et criminel de guerre jugé par l’État, en tant que « grand soldat » avant de lancer les CRS contre les manifestations et les grèves.

L’élection d’hier est un avertissement de plus que l’establishment politique est insensible aux appels du peuple à une réforme. Les élections ne résoudront aucune des questions brûlantes pour les travailleurs. La lutte contre la pandémie, la guerre, les inégalités et pour les droits démocratiques ne peut prendre que la forme d’une mobilisation internationale et indépendante des travailleurs dans une lutte pour le pouvoir et pour le socialisme.

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