Sommet de Bruxelles : les divisions éclatent sur la politique russe au sein de l’UE

Jeudi 24 juin, les chefs d’État de l’Union européenne (UE) réunis à Bruxelles ont entériné la politique de l’UE en matière de pandémie tout en s’affrontant âprement sur la politique étrangère, notamment celle à l’égard de la Russie.

Jeudi soir, l’UE a publié un premier communiqué où elle a présenté ses politiques de lutte contre la pandémie en termes orwelliens. Elle a salué «les bons progrès réalisés en matière de vaccination et d’amélioration globale de la situation épidémiologique» et a souligné «l’engagement de l’UE en faveur de la solidarité internationale en réponse à la pandémie».

Angela Merkel [Wikipedia Commons]

En réalité, plus de 1,1 million de personnes sont mortes en Europe en raison de l’opposition de l’UE aux politiques scientifiques de distanciation sociale. Elle a maintenu des centaines de millions de travailleurs et de jeunes au travail et à l’école, même durant les semaines les plus meurtrières de la pandémie. Aujourd’hui, les États de l’UE font pression pour mettre fin à toute distanciation sociale, alors même que le variant Delta se propage, menaçant d’une nouvelle pandémie. En outre, les pays de l’UE privent de vaccins le programme de vaccination mondial Covax ; ils s’engagent à n’en fournir que 100 millions d’ici fin 2021, bien qu’ils aient déjà administré 325,1 millions de doses en Europe.

Le cœur du sommet, cependant, il y avait la planification d’une politique étrangère impérialiste agressive ciblant les réfugiés et la Russie. Avant même l’ouverture du sommet, les conflits se multipliaient sur les rapports de l’UE avec Moscou, suite au sommet bilatéral entre le président américain Joe Biden et son homologue russe Vladimir Poutine début juin.

Le sommet eut lieu après un dangereux incident la veille entre la Russie et la Grande-Bretagne en mer Noire. Des avions russes ont largué une bombe sur la trajectoire d’un destroyer britannique qui aurait violé les eaux territoriales russes en mer Noire. En réponse, Berlin et Paris ont proposé de renouer les discussions entre l’UE et la Russie, suspendues depuis l’opération de changement de régime soutenue par l’OTAN en Ukraine en 2014.

La chancelière allemande Angela Merkel, avait annoncé cette proposition au parlement allemand jeudi matin. «Il ne suffit pas que le président américain parle au président russe. J’en suis très heureuse, mais l’Union européenne doit également créer différents formats de discussion», a-t-elle déclaré. Citant les guerres en Libye et en Syrie, Merkel a ajouté: «Nous devons définir un agenda d’intérêts stratégiques communs, par exemple sur la protection du climat, mais aussi dans les domaines de la paix et de la sécurité».

Le président français Emmanuel Macron a soutenu ces propos lors de son arrivée à Bruxelles jeudi. «Le dialogue est nécessaire pour stabiliser le continent européen, mais il doit être ferme, car nous ne renoncerons ni à nos valeurs ni à nos intérêts», a-t-il déclaré. «Nous ne pouvons pas rester sur une attitude purement défensive vis-à-vis de la Russie, au cas par cas, alors que, très légitimement, nous avons vu se dérouler une discussion structurée entre le président Biden et le président Poutine».

La proposition allait trop loin pour la plupart des États de l’UE. La majorité l’a rejetée d’emblée, notamment les gouvernements d’Europe de l’Est. Le gouvernement polonais a exigé que Poutine réponde d’abord aux exigences de l’UE, avant tout l’application de l’accord de Minsk sur l’Ukraine. Approcher la Russie avant cela serait «un mauvais signal», a déclaré le président lituanien Gitanas Nauseda, dès le début du sommet. «Ce serait comme essayer de parler à l’ours pour sauver une partie du miel».

L’UE a au contraire appelé à durcir le ton à l’égard de la Russie. Son communiqué souligne « la nécessité d’une réponse ferme et coordonnée de l’UE et de ses États membres à toute nouvelle activité malveillante, illégale et perturbatrice de la Russie en utilisant pleinement tous les instruments dont dispose l’UE et en assurant la coordination avec les partenaires.» À cette fin, la Commission européenne et le Haut représentant furent chargés de «présenter des options pour des mesures restrictives supplémentaires, y compris des sanctions économiques».

En réalité, la proposition de Merkel et Macron n’avait rien à voir avec une politique plus pacifique. Elle visait à développer une politique étrangère et militaire envers la Russie plus indépendante de Washington afin de renforcer la main de l’UE contre ses rivaux étrangers et d’imposer même ses politiques d’austérité et d’«immunité collective» au coronavirus.

De leur point de vue, ce n’était pas assez de «se laisser débriefer sur les discussions avec le président des États-Unis», a expliqué Merkel. Elle a déclaré que l’UE devait être «assez homme et assez femme pour faire valoir son point de vue lors de discussions directes».

Berlin et Paris intensifient la pression militaire sur la Russie. La France participera à la grande manœuvre navale Sea Breeze, prévue du 28 juin au 10 juillet en mer Noire. Organisée par les forces américaines et ukrainiennes, celle-ci comprend 5.000 soldats, 32 navires et 40 avions provenant de dizaines de pays.

Cette semaine, la l’armée de l’air allemande participe pour la première fois à une mission de surveillance de l’espace aérien de l’OTAN au-dessus de la mer Noire. Deux Eurofighters de l’Escadre aérienne tactique 71 «Richthofen» ont atterri jeudi à la base aérienne roumaine Mihail Kogălniceanu de Constanta. Jusqu’au 9 juillet, ils patrouilleront l’espace aérien de la mer Noire aux côtés des forces britanniques.

Alors que l’UE intensifie ses menaces militaires, les divisions entre États membres de l’UE s’accentuent. Évoquant l’échec de Paris et de Berlin à obtenir un soutien pour leur proposition, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel met en garde: «La défaite de Merkel et de Macron va au-delà de la journée… L’Union est également divisée sur ses relations avec la Hongrie: le fossé entre l’Est et l’Ouest menace de devenir un abîme».

Lors du sommet, outre la Hongrie et le Portugal – qui assure la présidence tournante du Conseil de l’UE – huit États d’Europe de l’Est (Bulgarie, Croatie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et République tchèque) ont refusé de signer une lettre commune attaquant la nouvelle loi anti-LGBT de la Hongrie, qui interdit aux écoles d’utiliser du matériel dit faire la promotion de l’homosexualité. Selon un article de Reuters, il s’agit de «l’affrontement personnel le plus intense entre les dirigeants de l’Union depuis des années».

Face à ses divisions internes explosives et à l’opposition sociale et politique croissante des travailleurs et des jeunes, l’UE réagit par l’état policier et le réarmement militaire permanents.

En Méditerranée et en Afrique, l’UE a appelé à une coopération plus étroite avec ses alliés régionaux pour arrêter les migrants, leur refuser le droit d’asile et les emprisonner dans des camps. «Les partenariats et la coopération mutuellement bénéfique avec les pays d’origine et de transit seront intensifiés», déclare-t-elle. Cette politique a déjà conduit à la construction de camps de détention, notamment en Turquie, en Libye, en Bosnie, en Grèce et en Espagne, où des centaines de milliers de réfugiés sont maintenus dans des conditions effroyables.

L’UE a identifié la Turquie comme un partenaire clé dans la lutte contre les réfugiés. Elle a salué «les travaux préparatoires aux dialogues de haut niveau avec la Turquie sur des questions d’intérêt mutuel, telles que les migrations, la santé publique, le climat, la lutte contre le terrorisme et les questions régionales».

«Le Conseil européen invite la Commission à présenter sans délai des propositions formelles pour la poursuite du financement des réfugiés syriens et des communautés d’accueil en Turquie, en Jordanie, au Liban et ailleurs dans la région», a-t-elle ajouté. Elle a également salué la «désescalade en Méditerranée orientale», où la Turquie s’est heurtée à la Grèce et à la France, ainsi que les nouveaux accords douaniers avec la Turquie.

Le communiqué de l’UE a également approuvé la guerre menée par la France au Mali et sa collaboration avec la junte militaire installée par un coup d’État en août 2020 à Bamako. Elle a réaffirmé son «appel aux autorités maliennes de transition pour qu’elles mettent pleinement en œuvre la Charte de la transition» et reviennent à un régime nominalement civil.

Au même moment, un attentat à la voiture piégée blessait 12 soldats allemands qui soutenaient les forces françaises près d’Ichagara dans la région de Gao au nord du Mali, et un soldat d’un autre pays non identifié, quatre jours après qu’une voiture piégée eut blessé six soldats français près de Kaigourou. La ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, a déclaré que trois soldats allemands étaient gravement blessés.

L’UE a néanmoins salué ses missions africaines en soutien à la France ; parmi elles, «la poursuite des missions PSDC de l’UE et l’engagement dans la Takuba Task Force» auquel participent, hormis la France, des troupes de 12 pays européens.

Le sommet s’est conclu par une discussion à huis clos sur le plan Nouvelle génération de renflouement de l’UE, l’un des multiples plans de renflouement qui, collectivement, feront parvenir plus de deux mille milliards d’euros aux banques et aux grandes sociétés pendant la pandémie. Ces renflouements doivent être payés par des attaques d’austérité visant la classe ouvrière, comme la nouvelle réforme du travail en Espagne et la baisse des retraites en France, déjà en préparation.

Ce sommet a fourni de nouvelles preuves irréfutables de la nature réactionnaire de l’UE ; et de la nécessité d’unifier et de mobiliser contre elle les travailleurs de toute l’Europe, dans une lutte pour renverser l’UE et construire à sa place des États socialistes unis d’Europe.

(Article paru d’abord en anglais le 26 juin 2021)

Loading