Avec l'aide des directions universitaires, les agences de renseignement australiennes, liées aux États-Unis, intensifient leur surveillance et leur filtrage des travailleurs universitaires, en même temps que le gouvernement libéral-national s'apprête à bloquer tous liens avec les universités chinoises.
La surveillance accrue des universitaires va de pair avec un engagement croissant des universités dans des projets militaires liés aux préparatifs d'une guerre provoquée par les États-Unis contre la Chine.
Des preuves révélées lors d’audiences du Sénat plus tôt ce mois-ci ont montré que l'Australian Research Council (ARC), qui alloue les subventions de recherche gouvernementales, travaille depuis plusieurs années avec les agences d'espionnage pour rédiger des « dossiers de sensibilité » sur les chercheurs.
La professeure Sue Thomas, directrice générale de l'ARC, a déclaré à une audience que l'ARC constituait des fichiers sur la base d’information des médias ou fournies par les agences de renseignement, pour garantir que les subventions de recherche ne soient pas accordées à des universitaires pouvant représenter une menace pour la « sécurité nationale ».
L'ARC recherchait les « éléments sensibles » à l'aide d'un « traqueur » développé par l'Institut des études stratégiques (ASPI), un groupe de réflexion sur la politique militaire basé à Canberra, subventionné par le gouvernement et lié aux États-Unis.
Véritable créateur de listes noires, l'ASPI a déjà nommé publiquement 325 universitaires liés au « Programme mille talents », prétendument un programme de recherche du gouvernement chinois. De telles affirmations de l'ASPI sont basées sur des preuves erronées, telles que le nombre d'universitaires chinois et de leurs collègues internationaux qui publient ouvertement des articles dans des revues scientifiques évalués par leurs pairs.
Les « fichiers de sensibilité » de l'ARC sont l’indication d’un espionnage généralisé des universitaires, des chercheurs et des travailleurs des universités. L'ARC reçoit plus de 6 000 demandes de subventions chaque année, concernant collectivement plus de 10 000 chercheurs d'établissements d'enseignement supérieur dans toute l'Australie.
En mars, une commission parlementaire a confirmé que cinq subventions de recherche avaient été secrètement rejetées (article en anglais) en décembre dernier, sans que les raisons en soient claires, sur 18 soumises à un contrôle de sécurité par les agences de renseignement.
Les universités elles-mêmes emploient des consultants privés et des « agents de conformité en matière d'ingérence étrangère » pour effectuer des contrôles de « sécurité » sur leur personnel dans le cadre de la répression du gouvernement fédéral.
Les universités de Sydney, de Nouvelle-Galles du Sud, de Monash et du Queensland ont engagé le cabinet de conseil privé McGrathNicol pour aider à détecter les risques d'« influence étrangère », en contrôlant notamment les universitaires pour vérifier les « loyautés secondaires ».
Un « conseiller principal en matière de risques » de McGrathNicol est John Garnaut, ancien journaliste de médias privés et conseiller du premier ministre Malcolm Turnbull dont le gouvernement, soutenu par le Parti travailliste d’opposition, introduisit des lois antidémocratiques de grande portée sur l'ingérence étrangère en 2018.
Dans le même temps, le gouvernement libéral-national de coalition a ordonné aux universités de fournir jusqu’en juin les listes de leurs accords avec des «entités étrangères» pour être soumises à un éventuel veto en vertu de la Loi sur les relations étrangères, passée l’an dernier.
Cette législation (article en anglais) donne au ministre des Affaires étrangères des pouvoirs arbitraires pour mettre fin aux relations entre une université et toute « entité étrangère » qui, selon le ministre, peut « affecter négativement les relations étrangères de l'Australie ou être incompatible avec notre politique étrangère ».
En avril, le gouvernement a utilisé ces pouvoirs pour dénoncer (article en anglais) deux accords vagues conclus par le gouvernement de l'État de Victoria pour participer au programme d'infrastructure chinois de « Nouvelle route de la soie ». Les universités sont évidemment les prochaines dans la ligne de mire.
Une commission parlementaire bipartite est en train de mener une enquête alarmiste sur les universités et d’autres organismes de recherche comme l'Organisation de recherche scientifique et industrielle du Commonwealth (CSIRO).
Dans leurs soumissions à l'enquête, tant l'Organisation australienne du renseignement sécuritaire (ASIO) que la police fédérale australienne ont déclaré, sans fournir de détail, que les universités australiennes, les chercheurs et leurs familles encouraient « des risques » de la part d'États étrangers.
L'ASIO a insisté pour dire que, bien que la collaboration mondiale soit la base des réalisations scientifiques et technologiques, cela avait rendu les institutions de recherche australiennes vulnérables face à des partenaires internationaux ayant « des valeurs politiques, culturelles et morales différentes », une claire référence à la Chine.
Dans son témoignage, le patron de l'ASIO, Mike Burgess, a révélé que le renseignement intérieur australien avait 60 « engagements » avec des universités en 2020. Sans donner d’autre information.
Comparaissant devant la commission, les directeurs d'université ont juré leur loyauté. « Nos universités et nos chercheurs ne sont pas naïfs face aux impératifs géopolitiques, et nous soutenons le point de vue du gouvernement Morrison que les risques pour la sécurité nationale doivent être traités de manière proactive », a déclaré Vicki Thomson, directrice générale du Groupe des Huit (Go8) qui rassemble les huit universités publiques les plus prestigieuses.
Le témoignage du Go8 a déclaré que sa relation de travail « bénéfique » avec les agences de sécurité était déjà considérée comme un « exemple à suivre par le groupe de nations Five Eyes Plus et leurs principales universités à forte intensité de recherche ».
Le réseau mondial d'espionage électronique « Five Eyes » dirigé par les États-Unis effectue une surveillance de masse sur des millions de personnes dans le monde, comme l'ont révélé Julian Assange et Edward Snowden.
Le vice-chancelier de l'Université nationale australienne (ANU) Brian Schmidt a déclaré que les relations de l'université avec le secteur de la sécurité s'étaient « considérablement intensifiées » depuis 2018, date à laquelle elles s’étaient élargies pour inclure la Direction australienne des signaux (ASD) et l'Office national de renseignement. L'ASD est l'agence de surveillance électronique qui fait directement partie des opérations « Five Eyes ».
La directrice générale d'Universities Australia, Catriona Jackson, a déclaré que les universités coopéraient étroitement avec le gouvernement au sein d'un groupe de travail universitaire sur les ingérences étrangères. Elle a mis en garde contre un double emploi avec ce mécanisme, parce que cela « rendrait plus difficile pour les universités d'éradiquer l'ingérence étrangère ».
Le vice-chancelier et président de l'Université d'Adélaïde Peter Hoj s'est vanté de ce que son institution avait refusé sept projets de recherche en collaboration avec des institutions étrangères en raison de préoccupations concernant l'ingérence étrangère. Cela avait entraîné un « coût financier important » et « mis en danger le renouvellement des contrats de travail du personnel ».
L'université d'Adélaïde a déclaré à la commission qu'elle était « l'une des universités les plus engagées dans la défense en Australie ». Ce qui souligne le lien entre la croisade anti-Chine et l'intégration des universités dans les préparatifs militaires. « Rien que la semaine dernière, nous avons obtenu le renouvellement de notre adhésion au programme de sécurité de l'industrie de la défense au plus haut niveau, pour le personnel et la gouvernance », indique-t-elle.
Grâce à ce programme-là et à d'autres, les directions universitaires ont intégré leurs institutions à des recherches conjointes avec des universités américaines dans le cadre de l'Initiative de recherche universitaire multidisciplinaire du Pentagone, que le gouvernement australien rejoignit en 2017.
Tout ceci se met en place avec la complicité du principal syndicat universitaire, le Syndicat national de l'enseignement supérieur (NTEU). Tout en exprimant sa préoccupation quant à l'impact effrayant des « dossiers de sensibilité » sur la liberté de l’enseignement, il ne s'y est pas opposé. La présidente nationale du NTEU, Alison Barnes, a au contraire déclaré que le syndicat écrirait à l'ARC pour demander plus d'informations et demander l'équité procédurale pour que les universitaires ciblés répondent aux allégations portées contre eux.
De même, le NTEU ne s'est pas opposé au pouvoir de veto de la Loi sur les relations étrangères et a encore moins fait campagne contre lui. Il a juste exprimé des inquiétudes sur l'absence de procédure d'appel ou de droit de réponse une fois qu'une décision d'interdiction était prononcée.
Au cours des trois dernières années, le gouvernement australien est devenu un précurseur des mesures contre la Chine ; cela inclut ses lois répressives sur « l’ingérence étrangère» (article en anglais) adoptées en 2018 et que Washington considère comme un modèle pour des dispositions similaires à l’international.
Au cours de la dernière décennie, les gouvernements libéraux-nationaux et travaillistes successifs ont de plus en plus placé l'Australie en première ligne des plans de guerre de Washington visant à empêcher la Chine de contester l'hégémonie mondiale établie par l'impérialisme américain après la Seconde Guerre mondiale.
Il est maintenant clair que les universités sont elles aussi devenues « exemplaires » dans le monde pour les mesures destinées à casser la coopération en matière de recherche avec la Chine et à préparer la guerre.
(Article paru en anglais le 29 juin 2021)