751 tombes anonymes découvertes sur le site d’un pensionnat canadien en Saskatchewan

La Première nation Cowessess a annoncé que 751 tombes anonymes ont été découvertes sur les terres de la réserve qui abritait autrefois le pensionnat autochtone de Marieval, dans la vallée de Qu’Appelle, en Saskatchewan.

Cette découverte macabre survient quelques semaines seulement après la découverte des restes de 215 enfants sur le site d’un pensionnat indien à Kamloops, en Colombie-Britannique, et met en lumière, une fois de plus, le traitement brutal et inhumain que le capitalisme canadien et son État ont infligé à la population autochtone.

Un groupe d’élèves du pensionnat autochtone de Marieval (Centre national pour la vérité et la réconciliation)

Le chef Cowessess, Cadmus Delorme, s’est adressé aux journalistes lors d’une conférence de presse virtuelle jeudi matin dernier, où il a donné des détails sur l’opération en cours pour localiser les tombes.

La Première nation s’est associée à des équipes techniques de la Saskatchewan Polytechnic pour commencer les recherches au début du mois de juin. À l’aide d’un radar à pénétration de sol (GPR), les équipes ont couvert les 44.000 mètres carrés qui constituaient auparavant le cimetière catholique romain du pensionnat.

Delorme a déclaré qu’il pourrait y avoir plus de 751 corps enterrés sur le site. Le GPR a enregistré 751 «occurrences» lors des recherches. Toutefois, il est possible que plus d’un ensemble de restes soient enterrés à certains endroits où il y a eu détection. Il a fait remarquer que le radar pénétrant a un taux d’erreur de 10 à 15 % et que les équipes techniques annonceront un chiffre vérifié du nombre de restes trouvés dans les semaines à venir.

«Il ne s’agit pas d’un site de charnier. Ce sont des tombes non identifiées», a-t-il précisé lors de la conférence de presse de jeudi. Il a expliqué que la communauté allait désormais traiter le site «comme une scène de crime», dans le but de faire correspondre des noms à ceux qui se trouvent dans les tombes et d’ériger éventuellement un monument sur le site pour les commémorer. Samedi, une veillée à laquelle participaient des membres de la bande des Premières Nations a eu lieu au cours de laquelle 751 lampes à énergie solaire ont été placées sur les 751 tombes identifiées à ce jour.

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Mémorial sur les marches de la galerie d’art de Vancouver pour les 215 enfants dont les cadavres ont été récemment découverts sur le terrain du pensionnat autochtone de Kamloops. (Wikimedia Commons)

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Les efforts de recherche constituent la «phase 1» du travail en cours au sein de la Première nation Cowessess, guidé par l’histoire orale de la communauté, pour localiser les victimes du système de pensionnat ainsi que d’autres tombes anonymes. Il s’agit notamment de bébés non baptisés que les autorités ecclésiastiques ont refusé de laisser enterrer aux côtés de ceux qui ont été initiés à la foi catholique.

Le chef Delorme affirme que l’histoire orale indique que des adultes ont été enterrés sur le site, ainsi que des enfants, et qu’il est possible que des personnes qui fréquentaient l’église ou vivaient dans les villes voisines se trouvent parmi les restes.

Le pensionnat autochtone de Marieval a fonctionné de 1899 à 1997 et a longtemps été géré par des organisations affiliées à l’Église catholique romaine. Le bâtiment de l’école lui-même a été démoli de façon controversée en 1999. Cependant, l’église, le presbytère et la parcelle de terrain herbeuse qui constituait le cimetière demeurent.

Le gouvernement fédéral – qui finançait à une époque 130 pensionnats à travers le Canada – a acheté Marieval pour 70.000 $ en janvier 1926. Le site est situé à environ 140 kilomètres à l’est de Regina, en Saskatchewan. Sur ordre du gouvernement et avec l’appui de la Gendarmerie royale du Canada et d’«agents indiens», les représentants du ministère des Affaires indiennes dans les réserves, des enfants autochtones, âgés d’à peine cinq ou six ans, provenant du sud-est de la Saskatchewan et du sud-ouest du Manitoba, ont été séparés de leurs parents et envoyés à l’école Marieval.

La Saskatchewan comptait le plus grand nombre de pensionnats de toutes les provinces et de tous les territoires du Canada et compte le plus grand nombre de survivants. On sait actuellement que 566 enfants sont morts dans les pensionnats de la province, bien que le site unique de Marieval indique que le nombre réel de décès est beaucoup plus élevé.

Face aux protestations croissantes des survivants des pensionnats et des groupes autochtones, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a convoqué en 2008 une Commission de vérité et de réconciliation (CVR) chargée d’enquêter sur les violences subies par les enfants des Premières Nations, inuits et métis dans les pensionnats du Canada. Le rapport final de la CVR, publié en 2015, a identifié 4100 enfants morts dans les pensionnats ou en tentant de s’en échapper. Elle a toutefois estimé que le nombre réel de décès pourrait dépasser 6000. Elle a également documenté des dizaines de milliers de cas de violences physiques et sexuelles.

On estime que 150.000 enfants ont été enrôlés dans le système canadien des pensionnats, ordonné par le gouvernement et administré par l’Église, au cours de son existence plus que centenaire. Cela place les chances de mourir dans un pensionnat aussi élevées que celles d’un soldat canadien ayant servi dans les forces armées pendant la Seconde Guerre mondiale.

La plus jeune survivante à fournir à la CVR une déclaration sur Marieval a fréquenté l’établissement de 1993 à 1997. Amber K.K. Pelletier a écrit que pendant son séjour, les enseignants coupaient les cheveux des élèves à leur arrivée. On leur attribuait également des numéros, et lorsque le personnel était contrarié, il désignait les élèves par ces numéros plutôt que par leur nom. En plus des coupes de cheveux décrites par Pelletier, les enfants étaient dépouillés de leurs vêtements traditionnels à leur arrivée.

Les cours à l’école étaient donnés en anglais et en français; il est bien connu que les enfants étaient régulièrement battus dans les pensionnats pour avoir parlé leur langue maternelle. Les survivants qui ont fréquenté Marieval ont rapporté que le personnel de l’école recourait aux sévices physiques contre les enfants et que les élèves étaient giflés, frappés à coups de pied et de poing de façon répétée.

La résidence à Marieval était imposée. Les parents locaux étaient autorisés à rendre visite à leurs enfants et à les ramener chez eux pour un repas pendant les premières décennies qui ont suivi la création de l’école, mais cela a été interdit en 1933. À partir de ce moment-là, les enfants n’étaient autorisés à rendre visite à leur famille et à leur foyer que dans des circonstances particulières.

L’école était surpeuplée, ce qui n’était que trop courant dans les pensionnats, qui étaient souvent financés sur la base du nombre d’élèves qu’ils hébergeaient. La surpopulation, combinée à la malnutrition, aux environnements insalubres et à d’autres conditions de vie déplorables, faisait de ces écoles un terrain propice à la propagation de la tuberculose et d’autres maladies souvent mortelles. Les rapports des inspecteurs sur les effroyables violations des règles de santé et de sécurité enregistrées à Marieval se trouvent dans les documents de la Commission Vérité et Réconciliation.

Barry Kennedy, un survivant de Marieval, a déclaré à CTV News qu’il «ne trouve pas les mots» pour décrire ce qu’il ressent à la suite de la découverte des tombes. Kennedy a parlé d’un ami qu’il s’était fait à Marieval, Brian, qui a été «enlevé» une nuit «comme tout le monde» et qu’on n’a jamais revu. Kennedy se demande aujourd’hui si Brian fait partie des personnes enterrées sur le site.

Ayant fréquenté l’école dès l’âge de cinq ans, Kennedy dit avoir été témoin de fréquents enterrements pendant qu’il aidait l’église en tant qu’enfant de chœur. «Nous avons été appelés à l’église un matin très tôt... On nous a fait sortir et ils enterraient quelqu’un. Qui c’était, si c’était un garçon ou une fille, je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que cette personne était enveloppée dans un drap et qu’une fosse avait était creusée», se souvient-il.

Selon le chef Delorme, les membres aînés de la Première nation Cowessess qui sont des survivants de l’école de Marieval disent qu’ils ont été forcés de creuser des tombes pour leurs propres camarades de classe et de les enterrer. Le chef Delorme a également fait remarquer qu’il y avait autrefois des pierres tombales sur plusieurs ou toutes les tombes aujourd’hui anonymes, mais qu’elles ont probablement été enlevées par des représentants de l’Église catholique à un moment donné dans les années 1960. Il s’agit en soi d’un crime au regard de la loi canadienne.

L’archevêque de Regina, Donald Bolen, a déclaré que les tombes n’étaient pas identifiées, du moins en partie, en raison d’une dispute entre un prêtre oblat de l’école et un chef local des Premières Nations. Selon Bolen, le prêtre a pris un bulldozer et a renversé un grand nombre de pierres tombales à la suite de la dispute.

Vendredi, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré qu’il s’était entretenu personnellement avec le pape François et l’avait imploré de se rendre au Canada et de présenter des excuses officielles aux Canadiens autochtones pour le rôle joué par l’Église catholique romaine dans la gestion de 60 % des pensionnats du pays. L’Église catholique a toujours refusé de présenter des excuses pour son rôle, afin de limiter sa responsabilité financière et de maintenir ses prétentions à l’infaillibilité. Après la découverte des 215 cadavres sur le site de l’ancien pensionnat indien de Kamloops géré par l’Église catholique, le pape François a tout au plus exprimé sa «tristesse» et appelé à la «guérison».

Dans ses premières déclarations aux médias sur la dernière découverte de centaines de tombes autochtones anonymes, Trudeau a déclaré que la douleur et le chagrin que ressentent les communautés autochtones sont «la responsabilité du Canada».

Il s’agit d’une dissimulation méprisable. La population canadienne dans son ensemble n’est pas responsable des 751 tombes sans nom en Saskatchewan ou des 215 du pensionnat indien de Kamloops en Colombie-Britannique. Elle ne doit pas non plus porter le blâme pour les politiques génocidaires menées par l’État capitaliste canadien et ses représentants au cours du processus de la Confédération et de ses suites. La dépossession des peuples autochtones, la famine délibérée de milliers d’autochtones afin de les forcer à vivre dans des réserves et de créer un espace pour l’expansion agricole et industrielle dans tout l’Ouest canadien, les violations subséquentes des «droits issus de traités» et les empiètements sur les terres des réserves riches en ressources, ainsi que la saisie et le placement forcé d’enfants dans des pensionnats dans le but de «tuer l’Indien dans l’enfant» et de les transformer en travailleurs salariés dociles, sont des crimes commis par la classe dominante canadienne et son État, et non par les travailleurs. Ils sont nés du conflit entre la propriété privée capitaliste et la société autochtone. De même, les conditions épouvantables auxquelles la majorité des autochtones du Canada sont confrontés aujourd’hui découlent des exigences du «marché» capitaliste.

Toutes les tentatives de rejeter le blâme sur l’ensemble de la population ou la «société blanche» visent soit à blanchir le rôle du capitalisme canadien, soit à promouvoir les intérêts d’une minorité privilégiée de l’élite autochtone, qui appelle à la «réconciliation» sur une base capitaliste, c’est-à-dire l’octroi de postes de pouvoir au sein du gouvernement et du secteur privé à une infime minorité d’autochtones, tandis que la majorité continue de vivre dans une pauvreté extrême.

L’hypocrisie des promesses vides du premier ministre de «suivre la voie commune de la réconciliation» afin de «construire un avenir meilleur» est illustrée par le fait que le gouvernement fédéral libéral est actuellement engagé dans une procédure judiciaire visant à annuler deux ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne concernant la discrimination à l’égard des enfants autochtones et de leurs familles, résultant du sous-financement systématique par le gouvernement fédéral, pendant des décennies, des services aux enfants et aux familles dans les réserves.

La première des deux ordonnances, rendue en 2016, élargirait l’application du principe de Jordan, un principe de priorité à l’enfant qui stipule que les enfants des Premières Nations vivant dans les réserves ne doivent pas être privés de services sociaux essentiels dans le cas où Ottawa et les provinces ne peuvent pas décider quel niveau de gouvernement paiera pour ces services. Ce principe a été créé parce que les enfants autochtones souffraient et, dans certains cas, mouraient pendant que les gouvernements se disputaient pour savoir qui paierait les services essentiels que l’État était juridiquement tenu de fournir.

La terrible oppression de la population autochtone continuera et s’aggravera tant qu’un mouvement politique de masse de la classe ouvrière n’émergera pas, unissant autochtones et non-autochtones, dans une lutte visant à renverser le système de profit capitaliste et à obtenir l’égalité sociale pour tous, c’est-à-dire le socialisme.

(Article paru en anglais le 29 juin 2021)

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