La débâcle de Washington en Afghanistan s'étend après le retrait des troupes

La semaine dernière, le gros des troupes américaines quittait l’Afghanistan après 20 ans d’occupation et de guerre ; l’armée et les services de renseignement américains se démènent à présent pour mettre en place les moyens de poursuivre leurs attaques dans le pays.

Un soldat de l'armée afghane passe devant des MRAP (Véhicules résistants aux mines et embuscades) laissés sur place après le départ de l'armée américaine de la base aérienne de Bagram au nord de Kaboul, le lundi 5 juillet 2021. (AP Photo/Rahmat Gul)

Vendredi dernier, le Pentagone a abandonné la tentaculaire base aérienne de Bagram qui fut longtemps le centre de ses opérations militaires dans le pays. Selon des informations ayant depuis émergé d’Afghanistan, les forces américaines sont parties de nuit comme des voleurs sans même avertir le nouveau commandant afghan de leur départ. En partant, ils ont plongé l’installation dans l’obscurité en coupant l’électricité. Ensuite, une armée de pillards a envahi la base et a fait main basse tout ce qu’elle a pu trouver de fournitures abandonnées par l’armée américaine.

Cette fin ignominieuse de la plus longue guerre de l’histoire des États-Unis est symbolique pour la débâcle totale de l’intervention américaine en Afghanistan, qui a coûté la vie à des centaines de milliers d’Afghans et à plus de 4.000 soldats et sous-traitants militaires américains ; et gaspillé des milliers de milliards de dollars.

L’ampleur de cette débâcle s’est aussi montrée dans la déroute grandissante des forces de sécurité afghanes formées par les États-Unis et ostensiblement loyales au gouvernement fantoche du président Ashraf Ghani à Kaboul. Ces dernières semaines, les insurgés islamistes talibans ont envahi un quart des centres de district du pays, en plus du territoire qu’ils contrôlaient déjà.

Lundi, l’agence de presse Tolo a rapporté que 13 districts étaient tombés aux mains des talibans en l’espace de 24 heures – 11 dans le nord-est, un dans l’est et un dans le sud – le plus grand nombre de zones prises jusqu’à présent par les insurgés en une seule journée.

Dans de nombreux cas, les troupes afghanes ont fui ou abandonné leurs positions et les armes fournies par les États-Unis sans opposer de résistance, un certain nombre de soldats passant aux mains des talibans. Le moral de l’armée afghane est bas, les soldats étant bien conscients que leurs commandants subordonnent leur bien-être à une multitude de systèmes de corruption qui ont enrichi le corps des officiers supérieurs. Dans certains cas, les soldats peuvent avoir conclu qu’ils avaient plus de chances d’être payés par les talibans que par une armée dont les commandants volent régulièrement le salaire de leurs troupes.

Lundi, le Comité de sécurité nationale du gouvernement du Tadjikistan a indiqué que 1.037 soldats du gouvernement afghan avaient fui en passant la frontière nord-est de l’Afghanistan vers l’ancienne république soviétique pour échapper à l’offensive des talibans.

«Compte tenu du principe de bon voisinage et de l’adhésion à la position de non-ingérence dans les affaires intérieures de l’Afghanistan, nous avons autorisé le personnel militaire des forces gouvernementales afghanes à entrer sur le territoire tadjik», indique le communiqué publié par l’agence d’information nationale du Tadjikistan.

Dans le nord du pays, les talibans ont pris le contrôle de postes-frontière clés ainsi que de districts entiers auxquels ils ne pouvaient même pas accéder lorsqu’ils constituaient le gouvernement national entre 1996 et 2001. Bien qu’ils aient émergé à partir des régions à prédominance pachtoune de l’est et du sud de l’Afghanistan, les talibans ont recruté ces dernières années des combattants parmi les ethnies tadjiks, Hazaras et d’autres populations minoritaires.

L’évolution de la situation sur le terrain semble confirmer le pire scénario présenté par les analystes des services de renseignement américains, selon lequel le gouvernement pourrait tomber aux mains de talibans renaissants en l’espace de six mois.

Pour tenter de soutenir les forces fantoches afghanes, le Pentagone a annoncé des changements dans le calendrier de retrait où la quasi-totalité des forces alliées de l’OTAN ont quitté le pays, sauf un petit contingent résiduel de troupes américaines. Quelque 650 soldats américains sont restés sur place pour sécuriser l’imposante ambassade des États-Unis à Kaboul et l’aéroport de la capitale afghane. Une autre force de 300 soldats est en stand-by pour une éventuelle évacuation de crise du personnel américain, sur le modèle de l’évacuation de Saïgon en 1975.

Le général Scott Miller, commandant supérieur des forces américaines en Afghanistan, reste dans le pays pour quelques semaines de plus afin de coordonner la liaison post-détachement entre le Pentagone et les forces fantoches afghanes. Il doit se rendre dans différentes régions du pays, au siège de l’OTAN à Bruxelles et dans ce qui sera désormais la base américaine la plus avancée pour les opérations afghanes, au Qatar, pour une mission décrite au New York Times par un haut responsable comme «une tournée d’accompagnement».

Le général Miller a donné un sombre pronostic sur l’Afghanistan, du point de vue de l’impérialisme américain, dans une interview accordée dimanche à ABC News.

«La perte de terrain et la rapidité de cette perte de terrain… doit nous inquiéter», a-t-il déclaré, avertissant que l’avancée des talibans pourrait amener les Afghans à conclure que leur victoire est «chose faite ». Il a ajouté: «Je voudrais que nous ne tournions pas le dos à cette situation.»

Le Pentagone prolonge également, ce qui a peut-être plus d’importance pour les forces de sécurité afghanes, les contrats de quelques centaines des 18.000 sous-traitants militaires américains déployés en Afghanistan pour continuer à soutenir les avions de guerre afghans et les hélicoptères d’assaut aérien Black Hawk, le principal moyen des forces de sécurité gouvernementales.

Le Pentagone, la CIA et la Maison Blanche sont encore en train d’élaborer des protocoles de commandement et de contrôle pour la poursuite des opérations américaines en Afghanistan après le retrait des troupes. Selon CNN, l’armée américaine conservera le pouvoir de soutenir les forces fantoches afghanes par des frappes aériennes contre les talibans.

La CIA, en revanche, pourrait rester en charge des opérations visant à assassiner des «terroristes» présumés en Afghanistan.

Le président américain Joe Biden a déclaré que Washington conserverait une capacité d’intervention allant «au-delà de l’horizon» en Afghanistan. Cette capacité pourrait aller de frappes aériennes américaines menées par des avions de guerre venus du golfe Persique à des frappes de missiles par drones, en passant par des raids d’assassinat menés par des équipes de tueurs de la CIA ou des forces spéciales.

(Article paru d’abord en anglais le 6 juillet 2021)

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