Dans une manœuvre provocatrice, l’Inde déploie 50.000 soldats supplémentaires à sa frontière contestée avec la Chine

L'Inde a déployé 50 000 soldats supplémentaires à sa frontière himalayenne contestée avec la Chine. Elle prétend que cette action est une réaction au renforcement militaire chinois.

L’année dernière, les puissances nucléaires rivales avaient été plus près d’une guerre totale que jamais depuis la guerre frontalière de 1962 qui a duré un mois. Une bataille sanglante a notamment eu lieu sur une crête montagneuse de la vallée de Galwan dans la nuit du 15 juin 2020, au cours de laquelle 20 soldats indiens et 4 soldats chinois ont trouvé la mort. Puis une opération militaire indienne a eu lieu fin août où des milliers de soldats indiens ont pris possession d’une série de crêtes montagneuses près du lac Pangong Tso, qui fait partie de l’actuelle frontière de fait entre l’Inde et la Chine. Les responsables indiens ont par la suite admis que cette action hautement provocatrice, facilitée comme il a été dit, par des renseignements satellitaires américains, aurait pu facilement déboucher sur un violent affrontement avec les troupes chinoises, qui aurait dégénéré en guerre.

Avec ses plus récents déploiements de troupes, l’Inde compte désormais au moins 200.000, selon certains rapports jusqu’à 250.000 soldats, le long de sa frontière nord. Selon un article publié par Bloomberg la semaine dernière, des troupes supplémentaires ont été déployées dans au moins cinq bases situées sur toute la longueur d’une frontière de plus de 3.000 kilomètres (2.000 miles) avec la Chine. 20.000 d’entre elles ont été  déployées à Leh, dans le Ladakh sous contrôle indien. Avec la région adjacente d’Aksai Chin, tenue par la Chine, l’est du Ladakh est le point central de l’actuelle flambée du conflit frontalier sino-indien.

L’Inde se trouve également au milieu d’une campagne de construction d’infrastructures dans ses régions frontalières. Elle y développe de nouvelles fortifications, des pistes d’atterrissage et des liaisons routières et ferroviaires pour déplacer rapidement troupes et fournitures. 

À la fin de l’été dernier, l’Inde avait pris possession du premier de 35 avions de combat Rafale achetés à la France. L’armée de l’air indienne a tenu à les déployer immédiatement au-dessus du Ladakh, tenu par l’Inde ; elle a également mis en place un nouvel escadron de 18 avions de combat contre la Chine, basé à Ambala dans l’État de Haryana, dans le nord de l’Inde. L’armée indienne a l’intention d’établir prochainement un escadron similaire sur sa base aérienne de Hasimara, au Bengale occidental, afin de surveiller la partie orientale de sa frontière avec la Chine.

Citant des personnes «familières de la question», l’article de Bloomberg indique que l’armée indienne s’apprête à adopter une position beaucoup plus agressive. «Alors qu’auparavant, explique l’article, la présence militaire indienne visait à bloquer les mouvements de la Chine, le redéploiement permettra aux commandants indiens de disposer de plus d’options pour attaquer et s’emparer de territoires en Chine si nécessaire, dans le cadre d’une stratégie connue sous le nom de “défense offensive”». L’article ajoute que les forces indiennes seront désormais plus mobiles, dû aux hélicoptères de fabrication américaine récemment acquis. Ces derniers peuvent transporter des soldats et de l’artillerie – notamment l’obusier M777 de fabrication britannique – «de vallée en vallée» dans les montagnes de l’Himalaya.

Le corps des officiers indiens et son gouvernement, dirigé par le Premier ministre Narendra Modi et son parti d’extrême droite, le Bharatiya Janata Party, se sont vantés à plusieurs reprises que l’Inde était prête à affronter la Chine. La semaine dernière, le ministre de la Défense, Rajnath Singh, a promis que l’Inde «donnerait une réponse appropriée en cas de provocation». 

Ayant le quatrième budget militaire du monde, des missiles balistiques et des armes nucléaires, l’Inde possède certainement des armes de destruction massive, ce qui signifie que tout conflit sino-indien, même s’il éclate en raison d’une erreur de calcul et qu’il est initialement confiné à leurs régions frontalières respectives, menace de se transformer rapidement en catastrophe sans précédent pour les peuples d’Asie et du monde.

Mais si les deux pays ont une population à peu près équivalente, l’économie chinoise est plus de quatre fois plus importante et, dans la plupart des domaines technologiques, la Chine éclipse l’Inde. L’état déplorable des infrastructures indiennes a été mis en évidence par l’impact catastrophique de la pandémie de COVID-19 qui, selon le sous-comptage brut officiel, a rendu malades plus de 30 millions de personnes et tué plus de 400.000 personnes. 

Bien que l’Inde dispose d’une importante capacité de production de vaccins, à ce jour, seuls 5 pour cent de la population indienne sont entièrement vaccinés.

L’attitude agressive de New Delhi dans le conflit frontalier actuel avec la Chine est directement liée au soutien et aux encouragements reçus de Washington.

Conformément à un accord entre Pékin et New Delhi, des officiers de l’armée indienne et de l’armée populaire de libération chinoise ont tenu des pourparlers de désengagement à l’automne et au début de l’hiver, et les deux parties ont retiré les troupes déployées en avant près du lac Pangong Tso. Mais ces pourparlers ont été interrompus peu après l’intronisation de Joe Biden comme président des États-Unis.

Dès son entrée en fonction, Biden n’a pas perdu de temps pour faire savoir qu’avec son gouvernement démocrate, Washington intensifiera son offensive économique, diplomatique et militaro-stratégique contre la Chine. 

L’Inde et l’océan Indien sont au cœur de la stratégie américaine  visant à contrecarrer la «montée» de la Chine, si nécessaire par la guerre. En mars, Biden a convoqué la toute première réunion des chefs de gouvernement de la Quadrilatérale, une alliance quasi militaire de «dialogue stratégique», dirigée par les États-Unis et comprenant l’Inde et ses plus importants alliés du traité Asie-Pacifique, le Japon et l’Australie. Peu après, le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, est devenu le premier haut responsable de l’administration Biden à se rendre à New Delhi. Dans un geste destiné à souligner l’importance que l’Inde attache au développement de la coopération militaro-stratégique avec Washington, Austin a été reçu en audience par Modi.

Depuis juillet dernier, les exercices militaires impromptus entre la marine indienne et les forces opérationnelles de l’aviation américaine à proximité de l’Inde sont devenus pratiquement routine. Un message sans équivoque à la Chine dont l’économie dépend fortement du pétrole du Moyen-Orient et d’exportations passant par l’océan Indien vers l’Europe, l’Afrique et une grande partie de l’Asie. L’exercice le plus récent a eu lieu les 23 et 24 juin. Le groupe d’attaque de porte-avions USS Ronald Reagan, basé au Japon, est passé par l’Inde sur sa route vers la mer d’Arabie, où il soutient le retrait des troupes américaines d’Afghanistan. Selon un communiqué de presse de la marine indienne, l’exercice visait à affiner les «compétences de combat» des deux armées et à améliorer «leur interopérabilité en tant que force intégrée» et comprenait des exercices de guerre anti-sous-marine.

Washington a joué un rôle intrusif dans le conflit frontalier actuel entre l’Indochine et la Chine presque depuis le début, en mai de l’année dernière. Contrairement à l’impasse de Doklam en 2017, où les troupes indiennes et chinoises se sont affrontées sur un plateau himalayen revendiqué à la fois par la Chine et le Bhoutan, les États-Unis n’ont pas fait semblant d’être neutres, désignant rapidement la Chine comme l’«agresseur». 

Et ils ont encore fait monter les enchères en liant le conflit frontalier sino-indien à leurs accusations d’actions «illégales» de la Chine en mer de Chine méridionale. S’opposer à l’«expansionnisme» chinois en mer de Chine méridionale est l’un des principaux prétextes avancés par les États-Unis pour justifier le renforcement massif des capacités militaires dans la région inde-pacifique et leurs exercices provocateurs de «liberté de navigation» au large des côtes chinoises.

Fort du soutien de l’élite capitaliste vénale de l’Inde, le gouvernement BJP dirigé par Modi a suivi la voie tracée par ses prédécesseurs du Parti du Congrès et a intégré de plus en plus complètement l’Inde dans l’offensive américaine contre la Chine, en faisant le pari qu’en s’alliant à un impérialisme américain en crise, il pouvait faire avancer les ambitions de grande puissance de New Delhi. À cette fin, au cours de ses six premières années au pouvoir, il a ouvert les ports et bases aériennes de l’Inde aux forces militaires américaines pour «le repos et le réapprovisionnement», a signé d’autres accords que le Pentagone juge nécessaires pour les opérations militaires conjointes et a adopté la position provocatrice de Washington sur la mer de Chine méridionale.

Mais au cours des 14 derniers mois, ébranlé par la pandémie et une contraction sans précédent de l’économie indienne déjà en difficulté, le gouvernement Modi a porté tout cela à un niveau supérieur. Le conflit frontalier avec la Chine a été invoqué pour justifier une expansion massive des liens bilatéraux, trilatéraux et quadrilatéraux de l’Inde avec les États-Unis et ses alliés régionaux les plus proches, le Japon et l’Australie. 

L’Inde a également intensifié sa collaboration avec les États-Unis pour contrer l’influence chinoise en Asie du Sud et dans la région de l’océan Indien ; notamment en abandonnant son opposition à la signature par Washington d’une coopération en matière de défense avec les Maldives, un archipel de l’océan Indien que New Delhi cherchait jusqu’à présent à garder fermement sous sa coupe.

Montrant à quel point on avait intégré l’Inde dans l’offensive stratégique américaine contre la Chine, des responsables des services de renseignement indien et japonais ont participé, à l’automne dernier, à une réunion de l’opération mondiale d’espionnage Five Eyes, dirigée par les États-Unis et concentrée sur la lutte contre la Chine.

Pour avoir comme satrape de l’impérialisme américain, livré le peuple indien, le gouvernement Modi et la bourgeoisie indienne espèrent recevoir leur récompense sous forme d’une plus grande prépondérance internationale. On l’a vu dans la récente invitation faite à Modi de participer au sommet du G-7 en Angleterre le mois dernier, pour aider à faire de l’Inde un centre de production rival de la Chine et d’investissements majeurs des fabricants d’armes américains.

À l’instar de Washington et d’autres gouvernements et élites dirigeantes, les Indiens attisent également l’animosité contre la Chine afin de détourner la colère suscitée par leur gestion désastreuse de la pandémie de COVID-19. Ces dernières semaines, les médias indiens ont accordé une grande importance à la théorie complotiste du ‘labo de Wuhan’ sur les origines du COVID-19, d’abord promue par le fasciste Trump et récemment relancée par le gouvernement Biden.

La réponse officielle de Pékin aux nouveaux déploiements frontaliers agressifs de l’Inde a été relativement discrète. Ses représentants officiels ont insisté pour dire que la situation reste stable et ont répété les appels aux deux pays pour qu’ils résolvent le différend actuel par des pourparlers. «Les paroles et les actes des deux pays devraient viser à apaiser la situation et à promouvoir la confiance mutuelle, et non l’inverse», a déclaré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin. Cependant, le régime de Pékin, qui représente l’oligarchie créée par la restauration du capitalisme par le Parti communiste stalinien, n’a aucune solution à l’offensive impérialiste menée par les États-Unis. Il oscille entre l’exacerbation du chauvinisme national chinois, la poursuite de son propre renforcement militaire et la tentative désespérée d’apaiser Washington par des concessions.

Au cours des deux dernières décennies, le conflit stratégique réactionnaire entre l’Inde et le Pakistan, depuis des décennies l’un des plus proches alliés de Pékin, et le différend frontalier sino-indien se sont inextricablement mêlés à une rivalité géostratégique sino-américaine qui ne cesse de s’approfondir, renforçant considérablement le caractère explosif des trois éléments. Pour empêcher le capitalisme décrépit de plonger l’humanité dans une conflagration mondiale, la classe ouvrière internationale doit être politiquement mobilisée pour désarmer les cliques bourgeoises nationales rivales par la révolution socialiste.

(Article paru d’abord en anglais le 7 juillet 2021)

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