Québec: les centrales syndicales multiplient les ententes de principe

La lutte des travailleurs du secteur public en grave danger

La lutte des 550.000 travailleurs du secteur public québécois est en grave danger. Peu de temps après la FTQ et la CSN, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) a annoncé la semaine dernière qu’elle avait conclu à son tour une entente globale intersectorielle avec le gouvernement Legault dans le cadre du renouvellement des négociations collectives. Ces ententes signées par les trois grandes centrales syndicales placent les employés de l’état à la croisée des chemins.

Depuis l’échéance des dernières conventions collectives, le 31 mars 2020, les travailleurs du secteur public ont mené une importante lutte pour protéger leurs acquis, améliorer leurs conditions de travail et sauver les services publics face aux attaques du gouvernement droitier de la Coalition Avenir Québec (CAQ). Des dizaines de milliers de travailleurs ont participé à une série de grèves et autres actions au cours des derniers mois. Leur lutte a toutefois été menée dans un cul-de-sac par des appareils syndicaux déterminés à imposer les concessions exigées par le gouvernement du premier ministre François Legault et toute la classe dirigeante qui le soutient.

Des syndicats ont déjà commencé à soumettre les ententes au vote des membres. C’est le cas de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), qui a réussi à faire entériner un nouveau contrat pour ses quelque 57.000 employés de l’éducation, de la santé et des services sociaux. Toutefois, la vaste majorité des travailleurs du secteur public sera appelée à voter sur les ententes dans les prochaines semaines (et en septembre pour le personnel scolaire). 

Les travailleurs doivent rejeter les ententes sans équivoque pour deux bonnes raisons: pour leur contenu et pour leurs conséquences politiques. 

Bien que les syndicats gardent les travailleurs dans le noir quant au contenu des ententes, les grandes lignes qui ont été rendues publiques laissent présager des reculs importants. Au niveau des ententes intersectorielles, la FTQ, la CSN, la CSQ et la FIQ ont accepté un appauvrissement en termes réels pour la vaste majorité. Mis à part de légers ajustements pour les enseignants et les très bas salariés, les ententes incluent des «hausses» générales de 2% par année dans un contexte où l’inflation au Canada a atteint son plus haut niveau en une décennie à 3,6%. Autrement dit, les chefs syndicaux font fi du rattrapage salarial qu’ils ont promis aux travailleurs après des décennies de coupures. 

À la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), un syndicat indépendant qui se présente comme «militant» mais qui en réalité sert à diviser les infirmières des autres travailleurs, l’entente prévoit aussi 6% sur trois ans, avec des primes bidon. Les primes sont soumises à une série de conditions, ne sont pas indexées pour le calcul des prestations de retraite et peuvent être annulées dans la prochaine convention. 

Le gouvernement du premier ministre François Legault, un impitoyable serviteur de l’élite financière et patronale, est déterminé à boucler les négociations collectives pour aller de l’avant avec son programme d’austérité basé d’un côté sur la destruction des emplois, les coupures sociales et la privatisation des services pour les travailleurs, et les baisses d’impôts pour les riches et les entreprises de l’autre.

L’attitude des syndicats dans ces négociations était tout à fait prévisible à la lumière de leur conduite durant la pandémie. Les conventions collectives sont arrivées à échéance au même moment où la pandémie commençait à faire ses ravages au Canada. Tous les syndicats ont alors supprimé la lutte de classes et serré les rangs avec le premier ministre Legault. Les chefs syndicaux ont promis à cet ancien homme d’affaires multimillionnaire qu’ils ne feraient rien qui puisse ébranler son gouvernement durant la crise. Pourtant, le gouvernement caquiste porte, comme ses prédécesseurs et comme tous les gouvernements capitalistes de par le monde, la pleine responsabilité pour le désastre sanitaire et socio-économique causé par une pandémie prévisible et même prédite par les scientifiques internationaux. 

Les syndicats ont complètement séparé les enjeux liés à la pandémie de ceux liés aux conditions de travail, alors que leurs membres dans la santé et l’éducation étaient envoyés au front sans mesures ni protection adéquate. Les bureaucrates syndicaux ont négocié à huis clos avec le gouvernement pendant des mois alors qu’il menait sa politique anti-scientifique d’ «immunité collective» basée sur la réouverture hâtive de l’économie et des écoles pour que les banques et les riches continuent d’empocher leurs profits au détriment des vies humaines. C’est pourquoi les syndicats n’ont pas levé le petit doigt pour empêcher le gouvernement de violer les droits des travailleurs à coup de décrets au nom de l’ «état d’urgence».

Les syndicats ont été contraints d’organiser quelques actions sous la pression de la colère bouillonnante des membres, mais c’était uniquement pour évacuer celle-ci et la canaliser vers des appels futiles à Legault et sa CAQ. Leurs «grèves innovantes», vendues comme une stratégie plus combative, étaient en fait une façon de diviser les travailleurs et de perturber le moins possible l’économie. Les syndicats n’ont jamais osé avertir leurs membres des menaces ouvertes de loi spéciale par le gouvernement caquiste, et encore moins à les préparer à défier les lois anti-démocratiques en se tournant vers l’ensemble de la classe ouvrière. 

L’entérinement des ententes représenterait une défaite non seulement pour les employés de l’état, mais pour l’ensemble de la classe ouvrière. Non seulement est-ce que ces ententes ne feront rien pour améliorer les conditions de travail et rattraper les décennies de reculs, elles vont maintenir les services publics dans un état lamentable.

Les impacts des politiques d’austérité imposées au Québec et partout au Canada depuis les années 1980 ont été mis à nu par la pandémie. Le sous-financement des systèmes de santé et la pénurie de personnel – exacerbée par la propagation massive du coronavirus parmi les travailleurs mal protégés – ont entraîné le débordement des urgences et des hôpitaux en Ontario, au Québec et en Alberta. Des milliers d’opérations ont dû être reportées. La semaine dernière, une femme est décédée à l’hôpital de Hull après avoir été contrainte de passer plusieurs heures couchées au sol faute de civière et de personnel médical. 

La lutte n’est pas terminée, mais pour qu’elle soit victorieuse, malgré les obstacles bien réels, les travailleurs doivent développer une toute nouvelle stratégie.

Premièrement, les travailleurs doivent retirer le contrôle de leur lutte des mains de la bureaucratie syndicale en formant des comités de la base entièrement opposés à ces appareils sclérosés. Comme en atteste le nombre croissant de «sit-ins» mené par des travailleurs de la santé, ou la récente grève sauvage à l’usine Molson, les travailleurs tentent, encore tacitement, de briser la camisole de force syndicale. Mais cela doit devenir une stratégie consciente. Les trahisons répétées des syndicats ne sont pas le fruit de quelques pommes pourries, mais le résultat de leur caractère fondamentalement nationaliste et pro-capitaliste. Particulièrement avec l’avènement de la mondialisation de l’économie au tournant des années 1980, les chefs syndicaux sont devenus des «partenaires» d’affaires privilégiés du patronat, s’intégrant dans la gestion capitaliste par le contrôle de riches fonds d’investissement et des sièges aux comités de gestion en entreprise. 

Deuxièmement, les travailleurs du secteur public doivent reconnaître que leur lutte est une lutte politique, qui dépasse de loin le cadre restreint des négociations collectives dans lequel les enferment les syndicats. Les travailleurs ne confrontent pas seulement Legault et sa CAQ, mais tout l’establishment politique et la classe dirigeante qui appelle depuis des décennies à «réduire la taille de l’état». Cela signifie de couper et privatiser les services, puis sabrer dans les salaires et conditions de travail pour réduire les impôts des entreprises et des riches. Le caractère politique de la lutte est démontré par la menace du recours à une loi spéciale pour imposer les diktats de l’élite dirigeante. 

Troisièmement, les travailleurs doivent rompre avec le nationalisme québécois promu par tous les partis de l’establishment – de la CAQ à Québec solidaire en passant par le Parti québécois et le Parti libéral. En opposition à cette idée que la classe ouvrière québécoise doit subordonner ses intérêts de classe à l’une ou l’autre section de l’élite dirigeante québécoise, les travailleurs doivent se tourner vers leurs frères et sœurs de classe partout au Canada et internationalement. Partout les travailleurs subissent les mêmes attaques sur leur niveau de vie et confrontent la gestion meurtrière de la pandémie par leurs gouvernements respectifs. 

Le Comité international de la Quatrième Internationale a mis sur pied l’Alliance ouvrière internationale des comités de base dans le but d’unir les luttes ouvrières à l’échelle mondiale. Le Parti de l’égalité socialiste (Canada) appelle tous les employés de l’État et leurs supporteurs intéressés à organiser de tels comités indépendants pour étendre la lutte à nous contacter.

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