Le gouvernement haïtien appelle à une intervention militaire internationale après l’assassinat du président

Au lendemain de l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse aux premières heures du matin mercredi dernier, le gouvernement provisoire de cette nation appauvrie des Caraïbes a lancé un appel à une intervention militaire étrangère pour protéger les infrastructures clés. Cet appel a été lancé alors qu’il apparaît que les 28 mercenaires accusés d’avoir envahi le domicile de Moïse et d’avoir tiré des dizaines de balles sur le président et son épouse avaient le soutien de sections puissantes de l’élite dirigeante haïtienne.

L’assassinat a eu lieu le 7 juillet à 1h du matin, heure locale, et a impliqué 26 ressortissants colombiens et deux Américains d’origine haïtienne. Dix-sept suspects ont été arrêtés, trois ont été tués et huit sont toujours recherchés. Soulignant que l’attaque a bénéficié d’un soutien interne, la bande armée a eu accès à la résidence de Moïse à Pétionville, une banlieue de la capitale Port-au-Prince. Les hommes armés auraient eu accès à des plans indiquant la disposition de la maison de Moïse, et aucun membre de la sécurité du président n’a été blessé pendant l’assaut.

L’ambassadeur d’Haïti à Washington, Bocchit Edmond, a adressé une lettre demandant la présence de troupes américaines au secrétaire d’État américain Antony Blinken. «Nous sommes impatients de travailler avec l’ambassade des États-Unis à Port-au-Prince dans notre quête de vérité et de justice pour la famille du président Moïse et le peuple haïtien», a-t-il écrit.

Des soldats montent la garde près de la résidence du président intérimaire Claude Joseph à Port-au Prince en Haïti, le dimanche 11 juillet 2021, quatre jours après l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse (AP Photo/Matias Delacroix)

L’idée que l’intervention militaire des États-Unis ou de toute autre puissance impérialiste, y compris le Canada ou la France, pourrait stabiliser la situation est absurde. En réalité, c’est la domination impérialiste de plusieurs décennies sur Haïti, le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, qui a créé les conditions sociales et économiques désastreuses dans lesquelles les conflits politiques actuels font rage.

Le dernier assassinat d’un chef d’État haïtien en 1915 a déclenché une occupation américaine du pays qui a duré deux décennies. Dans un passé plus récent, l’impérialisme américain, avec le soutien des troupes canadiennes et des Nations unies, a évincé le président élu Jean Bertrand Aristide en 2004 dans le cadre d’une opération de changement de régime qualifiée cyniquement de «libération». Les forces américaines et canadiennes ont collaboré avec les forces politiques les plus à droite pour mettre en place un gouvernement plus favorable aux intérêts de Washington, supervisant la création d’un régime soutenu par des escadrons de la mort financés par des fonds privés qui sévissaient en toute impunité dans les bidonvilles appauvris d’Haïti. Les treize années d’opérations militaires dans le pays sous les auspices des Nations unies qui ont suivi ont donné lieu à des accusations répétées de violations des droits de l’homme à l’encontre des masses haïtiennes et au déclenchement d’une épidémie de choléra dévastatrice qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes.

Moïse, un politicien de droite largement méprisé, était le successeur trié sur le volet de Michel Martelly, un ancien chanteur qui a été installé comme président à la suite de l’ingérence directe du département d’État américain dirigé par Hillary Clinton dans les élections d’Haïti en 2010 et 2011. Martelly et son successeur entretenaient tous deux des liens étroits avec les représentants de la dictature des Duvalier, soutenue par les États-Unis, qui a dirigé le pays appauvri d’une main de fer pendant trois décennies, jusqu’en 1986. Washington a soutenu Martelly et Moïse parce qu’ils ont clairement exprimé leur détermination à se conformer aux politiques dictées par le Fonds monétaire international et visant à défendre les intérêts des puissances impérialistes.

Quelle que soit la forme que prendra une éventuelle intervention militaire, son but sera d’aggraver les niveaux déjà horribles d’exploitation des masses haïtiennes par l’élite dirigeante locale et ses mécènes impérialistes. Le Washington Post a déjà commencé une offensive de propagande en faveur d’une nouvelle occupation militaire, déclarant dans un éditorial après l’assassinat de Moïse qu’une «intervention internationale rapide et musclée» est nécessaire. Haïti est «menacé d’anarchie», écrit le journal, ce qui «représente une menace humanitaire immédiate pour des millions d’Haïtiens et un défi diplomatique et sécuritaire tout aussi urgent pour les États-Unis et les principales organisations internationales».

Bien que l’administration Biden ait déclaré qu’elle ne prévoyait pas d’envoyer l’armée dans l’immédiat, une intervention internationale dirigée par les États-Unis est déjà en cours. Washington a promis de déployer des agents du FBI et du ministère de la Sécurité intérieure à Port-au-Prince, apparemment pour contribuer à l’enquête sur l’assassinat du président haïtien.

L’objectif de ce déploiement ne sera pas de démasquer, mais plutôt de dissimuler, les véritables commanditaires de l’assassinat de Moïse et leurs soutiens probables au sein des sections rivales de l’élite dirigeante haïtienne. Des sections de l’élite dirigeante se sont brouillées avec Moïse en raison des tentatives de ce dernier de rester au pouvoir en tant que figure dictatoriale et d’utiliser son contrôle de l’appareil d’État pour s’emparer d’une part plus importante, pour lui-même et ses acolytes, de certains des secteurs les plus rentables de l’économie haïtienne. Il a notamment remis en cause le monopole dont jouissaient historiquement les familles les plus riches du pays sur les contrats de travaux publics, la distribution de carburant et les réseaux de téléphonie mobile, ce qui a entraîné des prix exorbitants pour la population appauvrie et des marges bénéficiaires scandaleuses.

Sous couvert d’«aide à l’enquête», les responsables américains vont sans doute s’adonner à une combinaison de pressions et de corruption pour bricoler une sorte d’accord de partage du pouvoir entre les différentes factions, tout aussi vénales et corrompues, de l’élite dirigeante haïtienne qui sont engagées dans une lutte sanglante pour le pouvoir politique et les richesses et privilèges qui l’accompagnent.

L’espoir des stratèges de la politique étrangère à Washington est d’établir une trêve politique suffisante en Haïti pour permettre la tenue d’un autre tour d’élections bidon plus tard cette année, afin de maintenir la fiction que le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental – résultat de plus d’un siècle de domination et de pillage impérialistes américains – est sur la voie du «renouveau démocratique».

C’est un défi de taille, étant donné le niveau d’animosité entre les sections concurrentes de l’élite dirigeante haïtienne, qui a conduit à l’assassinat d’un président en exercice pour la première fois depuis plus d’un siècle. Pas moins de trois personnes ont déjà revendiqué le poste de président intérimaire qui serait chargé d’organiser de nouvelles élections: le premier ministre sortant de Moïse, Claude Joseph; le premier ministre nommé par Moïse, mais pas encore assermenté, Ariel Henry; et le chef du Sénat démantelé d’Haïti, Joseph Lambert.

Parmi les tentatives de prise de pouvoir de Moïse, citons: le règne par décret présidentiel pendant plus d’un an après l’échec des élections législatives; le refus de quitter le pouvoir en février de cette année, alors que son mandat de cinq ans avait pris fin conformément à la constitution haïtienne; la «mise à la retraite» inconstitutionnelle de trois juges de la Cour suprême; et un projet de référendum visant à modifier la constitution du pays pour supprimer le poste de premier ministre et renforcer les pouvoirs présidentiels.

Dans les mois qui ont précédé son assassinat, Moïse a tenté de projeter une image populiste contre certaines sections de l’élite dirigeante, notamment en s’en prenant aux «oligarques» dans ses discours. C’était une fraude totale, étant donné que Moïse était une figure méprisée en raison de son application impitoyable de l’austérité soutenue par le FMI, y compris une augmentation soudaine des prix du carburant de 50% en 2018 qui a déclenché des manifestations de masse contre lui et son gouvernement.

Même si un accord politique est trouvé et que des élections sont organisées dans le courant de l’année, elles ne seront pas moins entachées de fraude, d’intimidation et de violence que les dernières élections qui ont porté Moïse au pouvoir avec un taux de participation d’à peine 23 % de l’électorat. Et elles ne constitueraient en aucun cas une sortie, même minime, du chaos politique, sanitaire et socio-économique dans lequel le pays est plongé, et qui n’a fait que s’aggraver avec l’impact catastrophique de la pandémie de COVID-19.

Les conditions désastreuses auxquelles sont confrontées les masses haïtiennes ne peuvent être surmontées que dans une lutte politique indépendante menée par la classe ouvrière haïtienne, à la tête des masses opprimées et dans l’unité la plus étroite avec leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis, au Canada et dans toute la région, pour mettre fin à l’oppression impérialiste du pays.

(Article paru en anglais le 12 juillet 2021)

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