Washington n’exclue pas l’envoi de troupes en Haïti

L’administration Biden semble tenter de mettre en place un régime d’unité nationale pour remplacer le président assassiné Jovenel Moïse dans l’espoir d’éviter des troubles sociaux de masse en Haïti.

Le président américain Joe Biden a déclaré lundi aux journalistes à Washington que «les dirigeants politiques doivent se rassembler» en Haïti, avant d’ajouter: «Les États-Unis sont prêts à continuer à fournir de l’aide et je vous en dirai plus à mesure que nous avancerons», sans donner plus de détails sur les plans américains.

La Maison-Blanche a annoncé lundi qu’une délégation américaine composée de représentants du département d’État, de la Sécurité intérieure, du FBI et du Conseil national de sécurité, a été dépêchée à Port-au-Prince pour rencontrer tous ensemble le premier ministre par intérim Claude Joseph, le premier ministre désigné Ariel Henry et le président du Sénat Joseph Lambert, chacun d’entre eux revendiquant le statut de chef d’État légitime à la suite de l’assassinat de Moïse le 7 juillet.

Le voyage éclair de la délégation américaine a duré moins de 24 heures, les responsables américains étant arrivés à Port-au-Prince dimanche pour ensuite rentrer à Washington et informer Biden lundi.

Le communiqué de la Maison-Blanche indique que la délégation américaine en visite a discuté avec les responsables haïtiens de la «sécurité des infrastructures essentielles», une référence oblique à l’appel paniqué du premier ministre par intérim Joseph pour que les États-Unis envoient des troupes dans ce pays insulaire des Caraïbes.

Dans une interview accordée à l’Associated Press, Mathias Pierre, le ministre haïtien chargé des questions électorales, a développé la demande de Joseph: «Que faisons-nous? Est-ce que nous laissons le pays tomber dans le chaos? Les propriétés privées détruites? Des gens tués après l’assassinat du président? Ou, en tant que gouvernement, est-ce que nous empêchons cela? Nous ne demandons pas l’occupation du pays. Nous demandons l’envoi de petites troupes pour nous assister et nous aider... Tant que nous serons faibles, je pense que nous aurons besoin de nos voisins».

Haïti a été occupé par les Marines américains la première fois en 1915. Le prétexte alors invoqué par le président Woodrow Wilson pour envoyer des troupes en Haïti était le dernier assassinat d’un président haïtien – Vilbrun Guillaume Sam – et une supposée menace d’anarchie. Les Marines sont restés pendant près de deux décennies, réprimant brutalement une insurrection nationaliste et mettant en place la répressive Garde d’Haïti, qui a jeté les bases de la dictature sauvage des Duvalier, soutenue par les États-Unis, qui a dirigé le pays pendant 30 ans.

La porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, a déclaré lundi que la demande d’intervention militaire américaine formulée par les responsables haïtiens était «toujours à l’étude» et qu’elle n’avait pas été écartée.

Un porte-parole des Nations Unies a également déclaré que la demande de Joseph pour un retour des «Casques bleus» de l’ONU était à l’étude. La dernière force de l’ONU a été envoyée en Haïti sous commandement brésilien en 2004 dans le but exprès d’empêcher un retour au pouvoir du président élu Jean-Bertrand Aristide, après qu’il ait été évincé par un coup d’État soutenu par les États-Unis. Cette force a été retirée en 2017 après des années de répression et la propagation d’une épidémie de choléra dévastatrice dans la population haïtienne.

Considéré par beaucoup comme ayant accédé au pouvoir à la suite d’une élection truquée, ayant gouverné par décret après avoir effectivement fermé le corps législatif et supprimé les tribunaux et dépassé son mandat constitutionnel, qui s’est terminé en février, Moïse était largement détesté en Haïti. Néanmoins, on craint, tant au sein de l’élite dirigeante haïtienne vénale qu’à Washington, que sa mort n’ouvre un vide politique conduisant à une révolte de la base dans le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental.

Les faits relatifs à l’assassinat de Moïse, tôt mercredi matin dernier, sont loin d’être clairs. Il a été criblé de 12 balles par ses assassins lors de l’attaque de sa villa dans la banlieue cossue de Pétion-Ville, dans la capitale Port-au-Prince.

Dans les derniers développements, la police haïtienne a annoncé l’arrestation de Christian Emmanuel Sanon, 63 ans, un homme d’affaires raté et un prédicateur chrétien évangélique qui a vécu en Floride pendant des décennies. Il est accusé d’être l’intermédiaire entre un groupe de tueurs à gages composé de mercenaires colombiens et une paire de cerveaux encore anonymes à l’origine du meurtre politique. Des connaissances de Sanon interrogées par les médias en Floride l’ont décrit comme l’organisateur le plus improbable d’un assassinat.

Selon la version officielle de la police haïtienne, l’assassinat a été perpétré par des mercenaires colombiens, dont 18 sont détenus, et trois autres ont été tués. Deux citoyens américains d’origine haïtienne sont également inculpés, dont l’un, James Solages, est l’ancien chef de la sécurité de l’ambassade du Canada à Port-au-Prince et le chauffeur et garde du corps pour les activités caritatives de l’acteur Sean Penn en Haïti.

Alors que les mercenaires colombiens comprenaient des militaires à la retraite impliqués dans des crimes sanglants dans la guerre sale contre-insurrectionnelle en Colombie, des proches ont insisté sur le fait que ceux-ci avaient été engagés pour assurer la sécurité et non pour commettre un assassinat. Ils ont été engagés par une société de sécurité basée en Floride appelée CTU, et dirigée par un ressortissant vénézuélien.

Steven Benoit, sénateur haïtien de l’opposition, a déclaré aux journalistes en Haïti que Moïse «a été assassiné par ses agents de sécurité», ajoutant: «Ce n’était pas les Colombiens.»

Pas un seul membre de la sécurité de Moïse n’a souffert d’une égratignure dans l’assassinat, et des questions ont été soulevées quant à la façon dont les mercenaires colombiens ont pu accéder à la villa de Moïse, qui ne peut être atteinte que par une seule route gardée par la police. De plus, la plupart des Colombiens ont été arrêtés à leur hôtel après l’assassinat, sans résistance ni intention apparente de quitter le pays.

Le personnel de sécurité américain affecté à l’enquête sur l’assassinat de Moïse contribuera sans aucun doute à la dissimulation nécessaire pour protéger les membres de l’élite dirigeante haïtienne qui ont orchestré l’assassinat afin de régler des comptes dans le cadre des transactions corrompues entre le gouvernement et des intérêts commerciaux.

Des messages sur les médias sociaux ont signalé des plans de manifestations cette semaine contre la tentative des politiciens corrompus de consolider un nouveau régime illégitime pour remplacer celui dirigé par Moïse. La police haïtienne a prévenu qu’elle utiliserait toute la force nécessaire pour faire respecter l’état de siège décrété par le premier ministre par intérim Joseph.

(Article paru en anglais le 13 juillet 2021)

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