La grève de Volvo et le silence de la pseudo-gauche

La grève des quelque 2.900 travailleurs de Volvo Trucks dans le sud-ouest de la Virginie ayant atteint un tournant décisif cette semaine, le silence des organisations et des personnalités politiques qui se présentent comme «de gauche» ou «socialistes» sur le débrayage prend une signification encore plus grande.

La grève de Volvo est sans aucun doute l’une des plus importantes luttes syndicales aux États-Unis depuis des décennies. Dès le début, les travailleurs ont formé le Comité de base des travailleurs de Volvo, qui a joué un rôle de premier plan dans l’organisation de l’opposition aux tentatives de la compagnie et de l’United Auto Workers (UAW) d’imposer des reculs en matière de soins de santé, de salaires et de conditions de travail. Vendredi, les travailleurs de l’usine Volvo de New River Valley ont rejeté une troisième entente de principe au rabais soutenue par l’UAW par une avance de près de deux contre un, après avoir rejeté deux contrats similaires plus tôt cette année par 90%.

Des travailleurs en grève devant l’usine de New River Valley à Dublin, en Virginie (Photo: Facebook/UAW Local 2069)

L’entreprise a répondu à cette position courageuse par une tentative brutale de briser la grève, avec l’aide et la complicité de l’UAW. Dimanche, l’UAW a annoncé que Volvo imposerait unilatéralement le troisième accord de principe à partir de lundi. Au lieu de s’opposer à cette décision dictatoriale, l’UAW la suit, obligeant les travailleurs à voter à nouveau sur le même accord mercredi, en leur disant que le contrat restera en vigueur quel que soit le résultat, tout en présentant faussement son appel à un nouveau vote comme une exigence juridique.

Comme l’a écrit le Comité de base des travailleurs de Volvo dans sa déclaration appelant à voter «non» mercredi, si l’entreprise parvient à faire échouer la grève, «les propriétaires de l’entreprise y verront le signal pour attaquer les droits de la classe ouvrière».

Le World Socialist Web Site a déjà examiné le silence sur la grève de Volvo qui a caractérisé la réponse d’organisations telles que les Democratic Socialists of America (DSA) et l’une de ses principales publications, le magazine Jacobin. Les DSA et Jacobin ont continué à garder le silence sur la grève malgré l’escalade récente des attaques extraordinaires contre les droits des travailleurs menées par Volvo, tout comme les organisations qui se décrivent comme «socialistes», telles que Socialist Alternative et Left Voice.

Le silence sur la grève de Volvo a pris le caractère d’une dissimulation coordonnée entre pratiquement toutes les institutions officielles patronales, politiques, médiatiques et syndicales, avec la pseudo-gauche qui suit consciencieusement leur exemple. De l’UAW à l’appareil plus large de l’AFL-CIO, à la Maison-Blanche et aux partis démocrate et républicain, aux principaux organes de presse nationaux, aux DSA et leurs alliés: tous ont en effet travaillé en tandem pour en dire le moins possible sur la grève de Volvo.

Cela s’étend aux politiciens les plus en vue du Parti démocrate communément présentés comme son aile «gauche» ou «progressiste», souvent désormais affiliés d’une manière ou d’une autre aux DSA. Les représentantes démocrates au Congrès et membres des DSA, Alexandria Ocasio-Cortez et Rashida Tlaib, n’ont fait aucune déclaration sur la grève.

Le sénateur du Vermont Bernie Sanders, qui se présente périodiquement comme un «socialiste démocrate» et a été soutenu par les DSA dans chacune de ses courses à l’investiture démocrate, n’a rien dit de la lutte chez Volvo depuis le 28 avril. À cette date, Sanders a publié un tweet superficiel déclarant qu’il était «aux côtés» des travailleurs en grève et appelant l’entreprise à «s’asseoir avec ses travailleurs et à négocier un contrat équitable maintenant». À l’époque, les travailleurs de Volvo étaient engagés dans leur première grève, que l’UAW a interrompue unilatéralement quelques jours plus tard, sans organiser de vote ni même publier son premier accord de principe avec l’entreprise, que les travailleurs ont ensuite rejeté à une écrasante majorité.

Le black-out sur la grève s’est étendu jusqu’au niveau régional et local des DSA. La section des DSA de la région de New River Valley, où se trouve l’usine, n’a fait aucune déclaration sur la grève sur ses comptes de médias sociaux depuis le 25 avril, il y a près de trois mois, lorsqu’elle a rendu public le fait qu’elle avait apporté de la nourriture au local syndical.

Lee J. Carter des DSA, membre de la Chambre des délégués de Virginie et le plus haut responsable du groupe dans l’État, n’a fait aucun commentaire sur la grève.

Michael Payne, membre des DSA et conseiller municipal à Charlottesville, en Virginie, a publié un tweet le 14 juin dans lequel il a profité de la grève pour promouvoir la syndicalisation, écrivant: «Les travailleurs, qui sont syndiqués avec @UAW, exigent de meilleurs salaires, avantages et horaires. Il est grand temps que la Virginie abroge la loi “droit au travail” afin que chaque travailleur puisse se syndiquer.» Mais le fait est que l’UAW a travaillé avec l’entreprise tout au long de l’année pour bloquer les demandes des travailleurs pour de meilleurs salaires, avantages et conditions de travail.

La seule exception qui confirme la règle est un court article paru dimanche dans Labor Notes, une publication qui a plaidé pour la réforme des syndicats de plus en plus proches du patronat longtemps après qu’une telle réforme ait cessé d’être viable. L’article, rédigé par Jane Slaughter, cofondatrice de Labor Notes et désormais membre des DSA, émet quelques critiques creuses sur la collaboration difficile à ignorer entre l’UAW et l’entreprise, tout en promouvant de manière prévisible l’illusion que les travailleurs peuvent «injecter de la responsabilité» dans l’institution totalement corrompue qu’est l’UAW en votant pour approuver l’élection directe des dirigeants syndicaux lors d’un référendum qui aura lieu plus tard cette année.

Ce qui est plus significatif, cependant, c’est ce que l’article ne dit pas: il n’appelle pas les travailleurs à lutter contre l’opération antigrève brutale de l’entreprise et à rejeter l’accord UAW-Volvo mercredi. Il n’appelle pas non plus à la propagation de la grève et à la mobilisation des travailleurs pour arrêter toutes les activités de Volvo, ni à des actions de solidarité dans toute l’industrie automobile. Et, bien sûr, il ne dit rien du rôle du Comité de base des travailleurs de Volvo dans l’unification et le renforcement de l’opposition aux trois accords de capitulation de l’UAW.

Toutes ces questions sont radioactives pour Slaughter, Labor Notes et les DSA, parce qu’ils sont eux-mêmes intimement liés et orientés vers le même appareil syndical propatronal qui assiste les attaques sauvages de l’entreprise. Comme l’UAW, ils sont terrifiés par la résistance des travailleurs qui trouvent une expression organisée et indépendante des syndicats, comme c’est le cas du comité de base des travailleurs de Volvo.

La rébellion des travailleurs de Volvo contre l’UAW – qui s’inscrit elle-même dans le cadre d’une croissance plus large de la résistance de la classe ouvrière aux contrats de concession soutenus par les syndicats – a provoqué une profonde inquiétude parmi les organisations de pseudo-gauche telles que les DSA et Labor Notes et le centre de gravité bourgeois autour duquel elles gravitent, le Parti démocrate. Les démocrates et leurs auxiliaires de la classe moyenne considèrent les syndicats comme un instrument essentiel pour discipliner la classe ouvrière et empêcher ses luttes de se développer dans une direction plus radicale et socialiste, menaçant ainsi leurs intérêts matériels.

Pendant près de 40 ans, depuis la trahison de la grève des contrôleurs aériens de PATCO par l’AFL-CIO au début des années 1980, les syndicats se sont intégrés de plus en plus profondément dans les structures de la direction des sociétés et de l’État, facilitant ainsi un assaut de plusieurs décennies sur les acquis sociaux de la classe ouvrière. Les dirigeants syndicaux ont développé des revenus et des actifs qui augmentent désormais en proportion directe de l’exploitation de leurs membres. C’est le cas de l’UAW, qui a vu ses avoirs gonfler à plus d’un milliard de dollars alors même que des centaines de milliers de ses membres perdaient leur emploi et que ceux qui restent gagnent de moins en moins.

La répression par les syndicats des grèves et autres luttes et l’application des conditions de bas salaires ont été une condition essentielle de la hausse vertigineuse du marché boursier et de la fortune d’une infime minorité de milliardaires et d’oligarques financiers. Dans le même temps, une partie non négligeable de cette richesse s’est retrouvée dans les portefeuilles des sections privilégiées de la classe moyenne supérieure. C’est cette couche que la pseudo-gauche et les syndicats – qui s’entremêlent de plus en plus – représentent, et non la classe ouvrière.

Il y a eu un processus réciproque à l’œuvre: les membres de la pseudo-gauche ont gravi les échelons de la hiérarchie syndicale, s’accrochant instinctivement à la richesse et aux privilèges qu’offrent leurs postes de direction, tandis que, dans le même temps, les personnes formées par la bureaucratie syndicale ont utilisé leurs antécédents en tant «qu’organisateurs syndicaux» comme tremplins vers des carrières politiques en tant que démocrates de «gauche» et, aujourd’hui, en tant que responsables des DSA.

Prenons deux exemples: Sara Nelson, présidente de l’Association of Flight Attendants-CWA (rémunération annuelle, 172.979 dollars) et membre des DSA, a récemment été présentée comme une candidate au poste de président de l’AFL-CIO, à la suite de l’actuel dirigeant Richard Trumka. Trumka lui-même, qui a effectivement saccagé les droits et les emplois des mineurs lors d’une série de grèves trahies dans les années 1980 en tant que président du syndicat United Mine Workers, faisait partie de la coalition «progressiste» qui a pris la tête de l’AFL-CIO au milieu des années 1990, dirigée par John Sweeney, membre des DSA, président de l’AFL-CIO de 1995 à 2009.

De l’autre côté, l’actuelle directrice nationale des DSA, Maria Svart, a passé des années à être formée et employée comme «organisatrice» pour le Service Employees International Union (SEIU) avant d’accéder à un poste de direction au sein du comité politique national des DSA.

On pourrait trouver d’innombrables autres exemples de ces tendances générales au cours des dernières décennies. Et, cela va sans dire, ni Nelson, ni Trumka, ni Svart n’ont prononcé un mot sur la grève de Volvo.

Le silence de ces couches sur la grève de Volvo est un phénomène social. Tant les appareils syndicaux que les organisations de la pseudo-gauche considèrent la lutte des classes comme quelque chose qui doit être hautement réglementé et pacifié: par eux, car ils s’enrichissent dans le processus. Ainsi, ils ne peuvent pas encore parler du début de la rébellion des travailleurs contre les institutions propatronales appelées «syndicats», de peur qu’elle ne s’étende davantage et ne fasse éclater ce dispositif.

(Article paru en anglais le 14 juillet 2021)

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