La menace de Delta sur la croissance économique mondiale

La perspective générale des gouvernements capitalistes et de leurs agences économiques était qu'après la récession de 2020, induite par la pandémie de COVID-19 – la plus profonde depuis la Grande Dépression des années 1930 – l'économie mondiale retrouverait le chemin de la croissance.

Malgré la récente reprise dans les grands centres économiques, ce scénario optimiste est désormais fortement remis en cause, en raison de la propagation du variant Delta du virus.

C'est là le résultat de deux facteurs. Le premier est le refus des gouvernements capitalistes de prendre les mesures sanitaires nécessaires pour faire face à la pandémie, en raison de leur impact sur les profits. Le second est le « nationalisme vaccinal », dont l’effet a été de priver un bon nombre des régions les plus durement touchées du monde de leurs approvisionnements en vaccins, permettant au coronavirus de développer des variants plus dangereux.

La semaine dernière, dans sa mise au point sur l'état de l'économie mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) a souligné une division importante, créée par ces politiques dans l'économie mondiale.

Kristalina Georgieva, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), prend la parole à l'issue du Sommet sur le financement des économies africaines, à Paris. ( Ludovic Marin, Pool via AP)

Au cours des deux dernières décennies et plus, les économies dites émergentes et en développement ont été un moteur clé de la croissance mondiale, dépassant la contribution des grandes économies. La situation est à présent inversée.

Le FMI a maintenu sa prévision d'avril de 6 pour cent de croissance mondiale cette année, mais a modifié sa prévision quant à l’origine de celle-ci. Il a réduit les prévisions pour les pays émergents et en développement de 0,4 point de pourcentage pour cette année, à 6,3 pour cent. Le Financial Times a qualifié cela de « perspective plus sombre » qui était « pire en Asie du Sud-Est et en Asie du Sud, en particulier en Inde ».

Dans le même temps, le FMI a révisé à la hausse ses prévisions de croissance dans les économies avancées de 0,5 point de pourcentage, à 5,6 pour cent.

« L'accès aux vaccins est devenu la principale ligne de faille, le long de laquelle la reprise mondiale se divise en deux blocs », a déclaré le FMI. Certains pays pourraient « s'attendre à une nouvelle normalisation de l'activité cette année », mais de nombreux autres « sont toujours confrontés à une résurgence d'infections et à une augmentation du nombre de morts ».

Le FMI a déclaré que le rétablissement n'était pas assuré, même dans les pays où le nombre d’infections était actuellement très faible, tant que le virus circulait ailleurs. Cet avertissement a été confirmé dans la semaine qui a suivi. Le variant Delta a continué de se propager, y compris dans les pays où le niveau de vaccination est relativement plus élevé.

La pandémie s'est accompagnée d'un endettement plus élevé, et les économies de marché émergentes pourraient être confrontées à des problèmes majeurs si les conditions monétaires aux États-Unis commençaient à se durcir. Le FMI a mis en garde contre « deux coups durs simultanés » pour ces économies, en raison de « l'aggravation de la dynamique pandémique et du resserrement des conditions financières extérieures ». Cela ramènerait la croissance mondiale en dessous de ses prévisions.

Dans un commentaire de blog sur cette modification de prévision, l'économiste en chef du FMI, Gita Gopinath, a écrit que les risques allaient en direction d’une baisse.

« L'émergence de variants viraux hautement infectieux pourrait faire dérailler la reprise et éliminer 4,500 milliards de dollars cumulativement du PIB mondial d'ici 2025 », a-t-elle déclaré. « Les conditions financières pourraient également se durcir brutalement dans un contexte de valorisations tendues des actifs, en cas de réévaluation soudaine des perspectives de politique monétaire, en particulier aux États-Unis. Il est également possible que les dépenses de relance aux États-Unis s'avèrent plus faibles que prévues. »

Les chiffres publiés la semaine dernière ont montré que l'économie américaine était maintenant plus importante qu'avant la pandémie. L'économie s’est développée à un taux annualisé de 6,5 pour cent au deuxième trimestre 2021, légèrement plus que le taux annualisé de 6,3 pour cent au premier trimestre. Mais c'était bien en deçà des 8,4 pour cent que les économistes avaient prévus, et bien inférieur aux prévisions précédentes d'un rebond de 10 pour cent et plus.

Comme ce fut rapporté sur CNBC, l'économiste en chef d'Action Economics, Mike Englund, a écrit que la « limite de vitesse » de l'économie américaine, résultant des perturbations de la chaîne d'approvisionnement, était « un peu inférieure à ce que nous pensions et bien inférieure à ce à quoi la plupart des prévisionnistes et des institutions gouvernementales s’attendaient ».

Si les pénuries persistaient, il était probable que les prévisions de croissance les plus optimistes au troisième trimestre devraient également être revues à la baisse, a-t-il déclaré.

Les perspectives de l'économie américaine continueront d'être dégradées, en raison de la résurgence de la pandémie due à la propagation du variant Delta, et du refus de l'administration Biden de prendre des mesures significatives pour y faire face.

La principale composante de la hausse de la croissance américaine a été une augmentation des dépenses de consommation de 11,4 pour cent, alimentée par des milliards de dollars de mesures de relance budgétaire. Mais cela va commencer à diminuer au cours des prochains mois.

Il semble y avoir une grande confusion dans la presse financière sur les perspectives économiques. La semaine dernière, par exemple, un titre du Wall Street Journal disait: « Les perspectives de l'économie américaine semblaient bonnes, jusqu'à ce que le variant Delta explose ». Le lendemain, un titre disait: « L'économie mondiale fait un retour extraordinaire de l'effondrement du COVID-19. »

Les taux de croissance dans la zone euro ont également commencé à monter, mais là aussi, l'incertitude est importante.

Les données publiées la semaine dernière ont montré que l'économie de la zone euro avait progressé de 2 pour cent au deuxième trimestre 2021, après une contraction de 0,6 pour cent au cours des trois derniers mois de 2020, et une nouvelle baisse de 0,3 pour cent au premier trimestre de cette année. Le résultat meilleur que prévu – les économistes avaient prévu une croissance de 1,5 pour cent – était en grande partie le résultat d'une croissance plus élevée en Italie et en Espagne.

Cependant, c'était une autre histoire dans les deux principales économies du bloc de 19 nations, l'Allemagne et la France. On s’attendait à ce que l'Allemagne, après avoir enregistré une contraction de 2,1 pour cent au cours des trois premiers mois de l'année, connaisse une expansion de 2 pour cent de son économie. Mais la croissance n'a été que de 1,5 pour cent.

La France, deuxième économie de la zone euro après l'Allemagne, a enregistré une croissance de seulement 0,9 pour cent au deuxième trimestre, après être restée atone au premier.

En Chine, deuxième économie mondiale, l'incertitude est également considérable. L'indice officiel des directeurs d'achats pour juillet, un indicateur important de l'activité économique, est tombé à 50,4, contre 50,9 en juin. S’il était encore supérieur à 50, le niveau indiquant la limite entre expansion et contraction, il s'agissait du niveau le plus faible depuis février 2020, alors que l'économie était touchée par les mesures de confinement du début de la pandémie.

Le Financial Times a rapporté que la chute de cet indice reflétait « des préoccupations croissantes en matière d'inflation, une diminution de la croissance des exportations et les effets d'inondations extrêmes dans certaines parties du pays ».

En plus de ces problèmes, il y a l'effet de la répression par le gouvernement chinois des sociétés dites fintech comme le groupe Ant du milliardaire Jack Ma, l'application de covoiturage Didi et une industrie des cours particuliers de 100 milliards de dollars. La banque centrale chinoise a appelé à davantage de « rectification » du secteur des technologies financières.

Cette répression, motivée, au moins en partie, par les inquiétudes politiques du régime face au pouvoir croissant de certains géants de l'Internet, fait peser une menace sur les futurs investissements étrangers dans les secteurs de haute technologie de l'économie chinoise. Les actions boursières technologiques chinoises cotées aux États-Unis ont connu leur pire mois depuis la crise financière mondiale de 2008-2009, les cours des actions de deux des principales sociétés Internet, Tencent et Alibaba, chutant respectivement d'environ 16 pour cent et 10 pour cent.

Dans un commentaire publié dans le Financial Times plus tôt ce mois-ci, Ruchir Sharma, stratège mondial chez Morgan Stanley, a averti que si les économistes s'attendaient à un boom de réouverture dans les mois à venir, la situation en Chine et aux États-Unis, les deux plus grandes économies du monde, justifiait de questionner la force et la durée de celle-ci.

Sharma a pointé les effets de la répression du secteur technologique chinois. Il a noté que comme la « vielle économie » des industries manufacturières était « embourbées dans la dette et en déclin », la croissance économique chinoise s’était concentrée dans le secteur technologique. Il a fait remarquer que depuis le début de cette répression, la capitalisation boursière du secteur technologique avait chuté d'un tiers, soit environ 1 000 milliards de dollars.

Quant aux États-Unis, Sharma a mis en doute la poursuite de l'essor des dépenses de consommation déclenché par les mesures de relance gouvernementales. Il a noté que le variant Delta ajouterait à la prudence des consommateurs et qu'« après une relance par surdose de sucre stimulante, la croissance a tendance à retomber rapidement ».

« Alors que le débat qui fait rage dans les milieux financiers se concentre sur la question de savoir si la hausse de l'inflation s'avérera transitoire, il est temps de réfléchir à la possibilité que le boom économique s’annoncera plus transitoire que prévu ».

(Article paru en anglais le 3 août 2021)

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