Un an après l’explosion de Beyrouth: la crise sociale, économique et politique du Liban s’aggrave

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Un an s’est écoulé depuis que l’une des plus importantes explosions non nucléaires au monde, sur le port de Beyrouth, a dévasté la partie nord de la capitale libanaise.

L’explosion, qui a pu être entendue jusqu’à Chypre, a fait un bilan terrible, tuant au moins 218 personnes et en blessant 7.500. Elle a causé des dommages matériels d’environ 15 milliards de dollars aux bâtiments et infrastructures de la ville, jetant 300.000 personnes à la rue. La semaine dernière, les Nations unies ont prévenu que l’approvisionnement en eau du Liban pourrait s’effondrer d’ici un mois en raison de l’effondrement du réseau électrique.

L’explosion a fait des ravages dans un pays déjà éprouvé par l’effondrement de son économie. Ses six millions d’habitants, dont beaucoup sont des réfugiés de Palestine et de Syrie, se trouvent depuis longtemps pris dans les luttes de pouvoir régionales, y compris l’âpre conflit armé de 1975 à 1990, entre des alliances changeantes soutenues par des puissances rivales.

L’explosion qui a frappé le port de Beyrouth, le mercredi 5 août 2020 (Photo: AP Photo/Bilal Hussein)

Ces dernières années, l’impérialisme américain, aux côtés de l’Arabie saoudite et de la France, a accumulé les pressions dans le cadre de sa campagne plus large qui vise à isoler l’Iran et la Syrie, en élargissant ses sanctions contre le Hezbollah et la Syrie, dont l’économie est étroitement liée au Liban. Le Hezbollah, le parti bourgeois clérical soutenu par l’Iran, forme avec ses alliés le plus grand bloc politique au Parlement.

L’objectif du blocus économique de facto contre le pays est d’orchestrer le retour au pouvoir du «Courant de l’avenir» sunnite de l’ancien premier ministre Saad Hariri et de ses alliés, après qu’ils ont été évincés par les manifestations sociales de masse qui ont éclaté en octobre 2019 contre les difficultés économiques, la corruption du gouvernement et la configuration politique sectaire du pays.

Ceci, ainsi que le pillage financier et la mauvaise gestion de l’économie par l’élite financière libanaise à travers ses partis politiques et la banque centrale, dont le gouverneur fait maintenant l’objet d’une enquête par les autorités bancaires suisses, a conduit au défaut de paiement du gouvernement sur sa dette à l’étranger, à un effondrement de la monnaie qui a anéanti les réserves étrangères, à une inflation galopante, au doublement des prix des denrées alimentaires et à une pauvreté généralisée. Cette situation est exacerbée par la pandémie de coronavirus qui, selon les chiffres officiels qui sous-estiment largement la réalité, a coûté près de 8.000 vies.

Ayant épuisé ses réserves en devises, le Liban fait face à une pénurie croissante de carburant, de médicaments et d’autres produits de base, ce qui entraîne des coupures de courant pendant de nombreuses heures par jour. Le pays a signé un accord de troc avec l’Irak pour la fourniture d’un million de tonnes de fioul lourd pour la production d’électricité, soit une quantité suffisante pour quatre mois, en échange de 300 à 400 millions de dollars de biens et de services en provenance du Liban.

Plus de la moitié de la population vit dans la pauvreté. Une enquête récente de Save the Children a révélé qu’environ 47 pour cent de la population libanaise n’a pas les moyens de se procurer des produits essentiels tels que des lentilles, de l’huile de cuisson, des couches, des serviettes hygiéniques et du carburant, tandis que «des centaines de milliers d’enfants vont se coucher le ventre vide, souvent sans avoir mangé un seul repas dans la journée».

«Les familles n’ont pas les moyens d’acheter l’électricité pour faire fonctionner un réfrigérateur ou l’eau chaude, ni les médicaments nécessaires pour soigner les maladies. Plus cette situation perdure, plus il est probable que les enfants sombrent dans la malnutrition, qui peut finalement conduire à la mort.»

Le gouvernement a sollicité un prêt du Fonds monétaire international (FMI) qui nécessiterait des «réformes de libre marché» qui plongeraient des millions de personnes dans la misère et nuiraient à des intérêts clés et conflictuels de l’élite dirigeante. En outre, tout prêt de ce type serait également soumis à l’approbation des États-Unis et serait conditionné à l’alignement politique du Liban sur les États pétroliers sunnites et contre l’Iran et la Syrie, conditions qui sont un anathème pour le Hezbollah.

S’il n’accepte pas les conditions du FMI, le Liban ne pourra pas accéder à l’aide promise lors d’une conférence par les puissances européennes et régionales. Sous l’impulsion de la France, l’Union européenne renforce également la pression sur le Hezbollah. Elle vient d’annoncer l’adoption d’un cadre juridique pour un régime de sanctions à l’encontre d’individus et d’entités du Liban.

L’origine de la catastrophe de l’année dernière était le nitrate d’ammonium, un composant clé des engrais, des explosifs de mine et des bombes, stocké dans le port. En septembre 2013, le navire qui transportait les produits chimiques de la Géorgie au Mozambique via Beyrouth a été abandonné puis confisqué à la suite d’un différend sur des frais impayés entre le propriétaire et les autorités portuaires. En 2014, un tribunal a ordonné le déplacement des 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium du navire vers un entrepôt du port, au cœur de la ville.

Six ans plus tard, les produits chimiques ont pris feu, allumés, peut-être, par des ouvriers qui soudaient à proximité ou par un stock de feux d’artifice. En tout cas, deux explosions ont eu lieu d’une force équivalente à un 20e de la bombe atomique larguée sur Hiroshima ou à un séisme de magnitude locale de 3,3 à 4,5.

L’explosion est le résultat de la négligence, de l’inaction et de la corruption des ploutocrates libanais, de la mauvaise gestion des autorités portuaires ainsi que de l’inaction du pays d’enregistrement du pavillon et de l’armateur. Malgré plusieurs enquêtes qui avaient mis en garde contre les dangers, les gouvernements successifs dirigés par les premiers ministres milliardaires libanais Najib Mikati, Tammim Salaam et Saad Hariri, n’ont pris aucune mesure pour mettre en œuvre les recommandations. C’est une condamnation accablante de l’ensemble de l’élite dirigeante qui s’enrichit aux dépens des travailleurs libanais depuis des décennies, transformant Beyrouth en un terrain de jeu pour les millionnaires et les milliardaires de la région.

Cependant, quelques jours après l’explosion, le premier ministre Hassan Diab et son gouvernement ont démissionné lorsqu’il est devenu évident qu’ils étaient les seuls responsables de la catastrophe. Diab, un professeur d’ingénierie, avait été installé en tant que «technocrate» à la tête du gouvernement en janvier après que des manifestations sociales de masse aient éclaté en octobre 2019 contre les difficultés économiques, la corruption du gouvernement et la configuration politique sectaire du pays, forçant la démission de Hariri.

Hezbollah a soutenu le cabinet de Diab, largement composé de non-alignés, ce qui faisait de Diab, une figure haineuse pour les ploutocrates chrétiens et sunnites alliés au Courant de l’avenir de Hariri. Le Courant de l’avenir a refusé de coopérer avec le gouvernement, ce qui a entraîné l’éruption d’affrontements mineurs mais violents entre les deux blocs rivaux et a fait naitre la crainte d’un nouveau conflit armé soutenu par des puissances régionales rivales, semblable à celui de 1975-1990.

Malgré sa démission, Diab est resté en poste dans un rôle d’intérimaire tandis que plusieurs politiciens sunnites profondément discrédités, dont Hariri, ont tenté en vain de rassembler un gouvernement acceptable pour le président Michel Aoun et sa faction. Najib Mikati, ancien premier ministre, homme d’affaires et banquier le plus riche du Liban, et résident de la ville portuaire de Tripoli, la ville la plus pauvre du pays, s’essaye actuellement à cette tâche, sans plus de succès.

L’enquête ordonnée par Aoun, qui devait faire l’objet d’un rapport avant le 11 août 2020 sur la cause de l’explosion, a été symptomatique de la détermination des politiciens à éviter toute responsabilité. Un an plus tard, l’enquête a sombré dans la farce, plusieurs candidats au poste de juge qui présiderait l’affaire ont été rejetés et les législateurs retardent la levée de l’immunité des politiciens et des chefs d’agence que le juge cherche à interroger.

Un rapport du FBI américain réalisé en octobre dernier et vu récemment par Reuters affirme que seul un cinquième de la cargaison de nitrate d’ammonium déchargée à Beyrouth en 2013 a explosé en août – sans expliquer comment l’écart s’est produit ni où est passé le reste de la cargaison, alimentant les soupçons qu’une grande partie a été volée.

Aucune des demandes pour une plus grande égalité sociale, des droits démocratiques et la fin de la corruption et de la politique sectaire qui ont entraîné les protestations sociales de 2019-20 n’a été accordée. Le gouvernement «technocratique» n’a pas été en mesure de faire avancer les choses face aux positions bien ancrées de l’élite financière et politique du Liban.

L’explosion du port, qui s’ajoute aux politiques d’«immunité collective» des ploutocrates, a mis à nu la faillite de l’ordre social capitaliste qui se révèle partout incapable de sortir la classe ouvrière et les agriculteurs pauvres de la pauvreté ou de leur assurer les droits démocratiques les plus élémentaires. La question décisive qui se pose aujourd’hui aux travailleurs libanais, comme à la classe ouvrière du monde entier est celle de la construction d’un parti révolutionnaire international capable de diriger la classe ouvrière dans la lutte contre le capitalisme, contre la division impérialiste du Moyen-Orient en États-nations rivaux et pour la réorganisation socialiste de la société.

(Article paru en anglais le 4 août 2021)

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