Des études britanniques confirment que la crise sanitaire est une question de classe

Le mois dernier, le bureau des statistiques nationales (Office for National Statistics – ONS) a publié une analyse des différences ethniques d'espérance de vie entre 2011 et 2014. Il a révélé que « hommes et femmes dans les cohortes de blancs et d’ethnies métissées avaient une espérance de vie statistiquement inférieure à toutes les cohortes d’autres ethnies, alors que le groupe d’Africains noirs avait une espérance de vie statistiquement supérieure à la plupart des groupes».

Le rapport de l'ONS: Différences ethniques dans l'espérance de vie et la mortalité de causes variées en Angleterre et au Pays de Galles: 2011 à 2014

Les hommes d'origine ethnique mixte avaient une espérance de vie de 79,3 ans, les Blancs de 79,7, les Noirs des Caraïbes de 80,7, les Bangladais de 81,8, les Indiens de 82,3, les Noirs africains de 83,8 et les autres Asiatiques de 84,5. Les chiffres pour les femmes étaient chez les métissées (83,1), blanches (83,1), noires antillaises (84,6), indiennes (85,4), autres asiatiques (86,9), bangladaises (87,3) et noires africaines (88,9).

L'étude de l'ONS a été la première à lier des données de recensement importantes (plus de 50 millions d'enregistrements) avec des enregistrements de décès et des dossiers de patients de médecins généralistes couvrant l'Angleterre et le Pays de Galles. Ses auteurs notent que leurs estimations globales de l'espérance de vie sont probablement «légèrement surestimées» et que «les résultats exacts doivent donc être traités avec prudence», mais déclarent que «les tendances globales sont cohérentes avec les résultats d'autres études publiées».

Ces statistiques démontrent la faillite d'une analyse de la société qui substitue les catégories raciales à l'analyse de classe. Si les inégalités raciales, avec les Blancs au sommet, sont le problème social dominant, alors que faut-il penser de l'espérance de vie plus élevée des Noirs et des Asiatiques?

A partir d’une analyse raciale, le problème de la santé de la population est entièrement obscurci et déformé. Selon un récent résumé du groupe de réflexion sur les soins de santé Kings Fund, les groupes chinois et africains noirs ont des taux d'invalidité plus faibles que le groupe blanc, mais les Noirs des Caraïbes, les Indiens, les Bangladais et les Pakistanais ont des taux plus élevés. Les scores de qualité de vie liés à la santé aux âges plus avancés sont plus faibles dans la plupart des groupes ethniques minoritaires par rapport aux Blancs, mais pas aux Noirs des Caraïbes, aux Noirs africains et aux Métis. La catégorie de la plus mauvaise santé globale est occupée par les gitans blancs et les gens du voyage irlandais.

De nombreux facteurs sociaux et culturels différents contribuent à ces écarts. Les auteurs de l'étude sur l'espérance de vie de l'ONS écrivent qu'il est «probable que les groupes ethniques asiatiques et noirs adoptent moins de comportements nocifs pour la santé, par exemple en étant moins susceptibles que le groupe ethnique blanc de fumer ou de boire de l'alcool». Ils notent également: «Les raisons potentielles de l'espérance de vie plus élevée constatée dans les autres groupes ethniques d'Afrique noire et d'Asie comprennent le fait que ces groupes contiennent une proportion plus élevée de migrants plus récents que les autres groupes ethniques. Des recherches antérieures montrent que les personnes qui migrent ont tendance à être en meilleure santé que les autres.»

Ce sont des facteurs importants. Mais ils sont d'un ordre de grandeur tout à fait secondaire. La crise sanitaire qui fait l’objet de leur étude est en grande partie une question de classe. L’appartenance à une classe sociale est de loin l'influence dominante, dans toutes les ethnies, de la position et de l’inégalité sociales, mais cela est entièrement occulté dans une discussion sur la santé basée sur les catégories raciales.

Le tabagisme n'est pas un facteur de risque universellement commun aux «Blancs», mais atteint plus durement les couches les plus pauvres de la classe ouvrière. Alors que seulement 7,6 pour cent de la population des couches sociales les plus riches fument, le taux est trois fois plus élevé parmi les couches les plus pauvres, à 22 pour cent. Environ 11.000 cancers liés au tabagisme sont diagnostiqués chaque année dans les 20 pour cent les plus pauvres de la population, contre environ 6.000 dans les 20 pour cent les plus riches.

La racialisation des statistiques sociales est si avancée qu'il est pratiquement impossible de faire des remarques similaires pour les groupes ethniques minoritaires. La dernière recherche importante sur les inégalités intra-ethniques a été réalisée par la Fondation Joseph Rowntree en 2011, qui a révélé des taux d'inégalité des revenus des ménages plus élevés pour les ménages chinois, indiens, africains, pakistanais et caribéens que les blancs britanniques.

La centralité de classe sociale a été confirmée avec une clarté frappante par un autre rapport sur la santé publié le mois dernier, dans la revue médicale The Lancet, sur l'impact des coupes dans le financement des collectivités locales sur l'espérance de vie en Angleterre. Le rapport explique: «Les réductions de financement ont été plus importantes dans les zones les plus défavorisées et ces zones ont connu les pires changements en matière d'espérance de vie.»

Chaque réduction de 100 £ du financement par habitant entre 2013 et 2017 était associée à une diminution moyenne de l'espérance de vie à la naissance de 1,3 mois. Les réductions ont été associées à près de 10.000 décès supplémentaires chez les moins de 75 ans en Angleterre. Les tendances négatives de l'espérance de vie avaient «touché de manière disproportionnée les zones les plus défavorisées, inversant les améliorations» au cours de la décennie précédant 2011.

Ces conclusions font écho à l'Institute of Health Equity dans son rapport de février 2020, «Health Equity in England: The Marmot Review 10 Years On». Il a constaté que, depuis 2011, l'espérance de vie en Angleterre a stagné pour la première fois au moins depuis le début du siècle dernier, résultat produit par la chute ou la stagnation de l'espérance de vie dans la classe ouvrière sous les coups de l'austérité.

Le rapport explique: « entre les déciles les moins et les plus défavorisés, il y avait 9,5 ans pour les hommes et 7,7 ans pour les femmes [...] En 2010-2012, les différences correspondantes étaient moindres – 9,1 et 6,8 ans, respectivement».

En ce qui concerne les années de bonne santé, le clivage de classe est bien pire. Le Kings Fund a écrit en avril: « L'écart entre riches et pauvres en matière d'espérance de vie en bonne santé est encore plus grand – près de deux décennies – que l'écart dans l’espérance de vie. Ceux qui vivent dans les zones les plus défavorisées passent près d'un tiers de leur vie en mauvaise santé, contre seulement environ un sixième pour ceux des zones les moins défavorisées. »

Le COVID-19 a considérablement intensifié ces inégalités. Le Kings Fund écrit: «Il y a eu deux tournants dans les tendances de l'espérance de vie en Angleterre au cours de la dernière décennie. À partir de 2011, l'augmentation de l'espérance de vie a ralenti après des décennies d'amélioration constante, ce qui a suscité de nombreux débats sur les causes. Puis en 2020, la pandémie de Covid-19 a été un tournant plus important, provoquant une forte baisse de l'espérance de vie dont l'ampleur n'a pas été égalée depuis la Seconde Guerre mondiale.»

L'espérance de vie des hommes est tombée à 78,7 ans et celle des femmes à 82,7 ans, le niveau d'il y a dix ans. Ceux qui sont morts de Covid ont chacun perdu environ une décennie de vie en moyenne.

De nombreuses études ont prouvé le lien étroit entre la précarité et les taux de mortalité dus au COVID-19, qui sous-tend en grande partie l'impact disproportionné sur les minorités ethniques généralement les plus pauvres. Un rapport de juillet de la Health Foundation montre que le lien entre la classe sociale et le risque de décès par COVID-19 est encore plus fort parmi la population en âge de travailler, les moins de 65 ans.

Parmi ce groupe, les taux de mortalité COVID-19 se sont avérés près de quatre fois plus élevés dans les zones les plus défavorisées d'Angleterre par rapport aux zones les moins défavorisées. Les personnes du cinquième décile le plus défavorisé étaient encore plus de deux fois plus susceptibles de mourir que celles du premier décile, les plus riches.

Les taux de mortalité dans ce groupe démographique étaient plus élevés dans la deuxième vague du virus que dans la première et étaient plus élevés dans les zones urbaines, à mesure que la politique de «retour au travail» du gouvernement Johnson, soutenue par le Parti travailliste et les syndicats, forçant le retour de millions de personnes dans les transports en commun et les lieux de travail dangereux, est entrée en vigueur.

Les effets de la pandémie en aggravant la crise sanitaire à laquelle est confrontée la classe ouvrière seront durables.

La maîtrise à l’échelle mondiale du COVID-19 n'a même pas commencé. Les conséquences à long terme des infections au COVID sur la santé touchent déjà des millions de personnes au Royaume-Uni. Les listes d'attente pour des soins dans les hôpitaux publics du National Health Service sont à des niveaux record. Les municipalités, dont les budgets réduits cités par The Lancet comme un facteur négatif sur l'espérance de vie, ont été rendues plus vulnérables financièrement par la pandémie. Une contre-révolution sociale brutale se prépare pour récupérer les coûts des milliers de milliards d’euros dont les grandes entreprises ont été abreuvées.

Faire face à ces dangers, c'est comprendre leurs origines dans la société de classe et la guerre menée contre l'ensemble de la classe ouvrière par les super-riches. Une contre-offensive doit être organisée pour s'emparer des fortunes obscènes de l'oligarchie et dégager des ressources pour la satisfaction des besoins sociaux pressants. La lutte pour ce programme exige un rejet de la politique raciale qui divise les travailleurs et n'offre aucune solution progressiste à la crise sociale à laquelle sont confrontés des millions de personnes.

(Article paru en anglais le 6 août 2021)

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