Quarante-quatre arrestations après une manifestation d'enseignants sri-lankais en grève à Colombo

Dans une attaque antidémocratique flagrante, la police sri-lankaise a arrêté 40 enseignants, dont 16 femmes, et quatre conducteurs des véhicules dans lesquels ils voyageaient, à la suite d’une manifestation pour des salaires plus élevés devant le secrétariat présidentiel à Colombo, mercredi.

Certains des enseignants arrêtés après avoir été libérés sous caution le 5 août.

Environ 2.000 enseignants ont participé à la manifestation qui s’est rassemblée devant le secrétariat après avoir voyagé en cortège depuis les banlieues de Welisara, Kadawatha, Moratuwa et Pannipitiya. La manifestation a eu lieu malgré une décision de justice obtenue par la police pour interdire l’action.

Les enseignants ont été arrêtés par la police du port de Colombo qui les a emprisonné jusqu’au jour suivant, où ont les a menés devant un magistrat. Des centaines d’enseignants se sont mobilisés près des locaux du tribunal pour soutenir leurs collègues arrêtés. Ils ont été bloqués par des policiers anti-émeute brandissant des matraques.

Au tribunal, la police s’est opposée à toute libération, arguant faussement que les personnes arrêtées avaient enfreint les règles de quarantaine, participé à un rassemblement illégal et violé les lois sur les voies de circulation.

Le magistrat a toutefois jugé que la police avait manqué de justifier pourquoi les personnes arrêtées ne devaient pas être libérées. Une décision qui répondait aux craintes de l’establishment que l’incarcération des enseignants ne provoque un tollé général. Les personnes arrêtées ont été libérées sous caution personnelle de 100.000 roupies (500 dollars - 425 euros ). On ne sait pas encore si la police a l’intention de porter plainte.

Le gouvernement Rajapakse intensifie la répression contre quiconque proteste contre ses politiques socialement régressives.

Mardi dernier, la police a déclenché une chasse aux sorcières contre les organisateurs d’une manifestation, près du Parlement, d’étudiants et d’enseignants qui s’opposent à la Loi sur l’Université de défense nationale de Kotelawala (KNDUA). Cette loi fait partie des mesures accélérées prises par le gouvernement pour privatiser l’éducation et étendre la militarisation du pouvoir.

La manifestation du «Mouvement des étudiants et du peuple pour les écoles», à laquelle ont également participé des enseignants universitaires, a été lancée par la Fédération inter-universitaire des étudiants (IUSF), contrôlée par le pseudo-de gauche FSP (Frontline Socialist Party – Parti socialiste de première ligne). La police a fait usage de la force et de barricades en fer pour bloquer la manifestation.

Des enseignants en grève à Welisara se préparant à partir pour la manifestation de Colombo [Crédit: WSWS Media].

Mercredi soir, la police a arrêté Chameera Koswatta, leader du FSP, et Kaushalya Hansamli, membre du parti, qui avaient participé à la manifestation. Le lendemain, elle a arrêté cinq leaders étudiants, dont Wasntha Mudalige, responsable de l’IUSF.

Près de 250.000 enseignants et directeurs d’écoles publiques poursuivent leur grève de l’«enseignement en ligne», entamée le 12 juillet.

Le Syndicat des enseignants de Ceylan (Ceylon Teachers Union – CTU), le Syndicat service public des enseignants de Ceylan (Ceylon Teachers Service Union – CTSU), contrôlé par le Janatha Vimukthi Peramuna, le Syndicat service public des enseignants unis (United Teachers Service Union), affilié au FSP, et plusieurs autres syndicats avaient appelé à la manifestation de mercredi en réponse à la colère croissante des enseignants face aux rejets répétés par le gouvernement de leurs revendications salariales. Les enseignants demandent également le retrait de la KNDUA.

La grève des enseignants défie le ministère de l’Éducation qui veut que tous les directeurs d’école et enseignants se présentent au travail lundi. Sa directive est conforme à une circulaire de la semaine dernière qui déclarait que tous les employés du secteur public travaillant à domicile doivent retourner sur leur lieu de travail.

Les dirigeants des syndicats enseignants ont rencontré un fonctionnaire du bureau du président mercredi au cours de la manifestation. Il leur a dit qu’on avait nommé un comité composé de fonctionnaires du Trésor public et de la Commission nationale des salaires pour examiner les revendications salariales des enseignants. Ce nouveau comité est une nouvelle manœuvre du gouvernement.

Lors de la manifestation de mercredi, les dirigeants des syndicats d’enseignants ont fait des discours démagogiques dans le but de garder leurs membres sous contrôle. Le leader du CTU, Joseph Stalin, a tonné: «Nous sommes venus vous informer [le gouvernement] que si notre problème n’est pas résolu d’ici lundi prochain, nos actions seront plus fortes.» Il en a appelé au cabinet des ministres qui se réunira lundi pour qu’il apporte «une solution».

Le secrétaire de la CTSU, Mahinda Jayasinghe, s’est montré plus véhément: «Si vous ne résolvez pas le problème, non seulement nous fermerons les portes du bureau présidentiel, mais nous ferons le tour du bâtiment du secrétariat avec des centaines de milliers de gens… la lutte se terminera victorieusement.»

En réalité, les dirigeants syndicaux œuvrent pour rapidement mettre fin à la grève des enseignants et imposer une nouvelle trahison.

Le 28 juillet, le premier ministre Mahinda Rajapakse a rencontré les dirigeants du syndicat des enseignants. Il a déclaré sans détours que «dans la situation mondiale actuelle et les difficultés financières du pays, le gouvernement n’est pas en mesure de rectifier la question des salaires pour le moment». Les dirigeants syndicaux ont assuré au premier ministre qu’ils comprenaient la crise économique à laquelle le pays était confronté et qu’ils ne s’attendaient pas à une augmentation du salaire des enseignants. Ils l’ont exhorté à prendre simplement une décision «politique» pour réduire les anomalies salariales.

Le 2 août, le président Rajapakse a déclaré pour la deuxième fois à son cabinet ministériel que la demande salariale des enseignants ne pouvait être satisfaite.

Selon les médias, il n’a rien dit sur une «décision politique» pour réduire les anomalies salariales, comme l’espéraient les syndicats comme excuse pour mettre fin à tout conflit social. Au lieu de cela, le président a cyniquement «admis» que les salaires des enseignants devaient être augmentés, mais a déclaré que les problèmes salariaux de tous les employés de l’État seraient pris en compte dans le budget gouvernemental de novembre.

Kapila Fernando, enseignant et membre dirigeant du Comité de sécurité enseignants-étudiants-parents (TSPSC) a tenté de prendre la parole lors de la manifestation de mercredi, après les discours des dirigeants syndicaux. Fernando est également membre du comité politique du Parti de l’égalité socialiste (SEP) et possède un long passé de lutte parmi les enseignants et d’autres sections de la classe ouvrière. Le leader du CTU, Joseph Stalin, est intervenu pour l’empêcher de parler.

Fernando a insisté sur ses droits démocratiques en tant qu’enseignant impliqué dans la lutte, mais Staline l’a arrêté en déclarant: «Ceci est une réunion de nos syndicats. Vous pouvez parler dans une réunion organisée par vous. Nous avons porté cette protestation à un certain stade, ne la gâchez pas».

S’adressant aux journalistes du World Socialist Web Site après l’événement, Fernando a déclaré que Staline et les autres dirigeants syndicaux l’avaient empêché de parler parce qu’ils craignaient qu’il explique la situation politique critique à laquelle les enseignants sont confrontés et la nécessité de se battre pour un programme alternatif afin d’obtenir leurs revendications.

«Les enseignants ne peuvent pas compter sur ces syndicats et leurs dirigeants», a déclaré Fernando. «Ils nous ont constamment trahis au cours des 24 dernières années. Maintenant, ils cherchent une excuse pour annuler notre action actuelle. C’est pourquoi ils pressent le gouvernement de déclarer qu’il se contentera d’accepter, en principe, que les anomalies salariales soient résolues».

«Comme tous les régimes précédents, le gouvernement Rajapakse a rejeté nos demandes à plusieurs reprises. La pandémie de COVID-19 a aggravé la crise économique. Les syndicats sont liés au capitalisme et à l’establishment, et ne peuvent pas voir au-delà, c’est pourquoi ils soutiennent l’imposition du fardeau économique aux masses».

Fernando a déclaré que les enseignants devaient prendre le contrôle de leur lutte en créant des comités d’action dans chaque école, en se tournant vers d’autres sections de la classe ouvrière et en se battant pour le programme élaboré dans la déclaration du 28 juillet du TSPSC. «Le militantisme et la protestation sont importants, a-t-il dit, mais ils ne suffisent pas. Les enseignants doivent fonder leur lutte sur des politiques socialistes et internationalistes.»

Un tel virage est urgent. Les enseignants continuent de mener des actions dans plusieurs régions du pays. Mercredi, des enseignants ont entamé une marche de 100 kilomètres depuis Kandy, dans le centre du Sri Lanka, et espèrent atteindre Colombo ce lundi. Des manifestations régionales ont eu lieu, dont une jeudi à Anuradhapura.

Des enseignants manifestent à Nuwara Eliya le 30 juillet [Crédit: WSWS Media].

La lutte des enseignants fait partie d’une série de grèves et d’actions de protestations qui ont éclaté cette année au Sri Lanka, impliquant les travailleurs de la santé, des postes et de l’électricité dans le secteur public, et les travailleurs des plantations dans le secteur privé. Ce mouvement croissant est une réaction à la montée en flèche du coût de la vie et aux pertes d’emploi que la pandémie de COVID-19 a aggravées.

(Article paru d’abord en anglais le 7 août 2021)

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