Le gouvernement libéral du Canada prépare des élections en pleine pandémie

Selon de nombreux médias, le gouvernement libéral minoritaire du Canada dirigé par Justin Trudeau n’est plus qu’à quelques jours de dissoudre le Parlement et de déclencher des élections fédérales.

Le pays étant à l’aube de ce que l’administrateur en chef de la santé publique du Canada, Theresa Tam, et de nombreux autres responsables avertissent qu’il s’agit d’une «quatrième vague» de la pandémie de COVID-19, une telle élection serait sans précédent. La législation libérale (projet de loi C-18) visant à faciliter une élection en cas de pandémie en faisant passer la durée du scrutin d’un à trois jours et en facilitant l’obtention et l’envoi de bulletins de vote par la poste n’a pas été adoptée avant la levée du Parlement en juin pour les vacances d’été.

Le premier ministre canadien Justin Trudeau visite l'entreprise pharmaceutique Pfizer à Puurs, en Belgique, le mardi 15 juin 2021. (AP Photo/Frederic Sierakowski)

Pourtant, rien de tout cela ne semble perturber le gouvernement. Trudeau et ses ministres ont manifestement préparé le terrain pour le déclenchement des élections par une série de nominations et d’annonces de dépenses. Les candidats libéraux auraient reçu l’ordre d’annuler leurs vacances et d’être à leur poste pour les deux prochains mois.

L’annonce faite le 30 juillet par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, selon laquelle les prestations d’urgence de «reprise après une pandémie» seront prolongées d’un mois, jusqu’au 23 octobre, est particulièrement cynique. Cela signifie que les prestations – qui ont servi de bouée de sauvetage vitale pour les millions de personnes qui ont été touchées par la pandémie et ses retombées économiques – n’expireront pas, ce qui pourrait nuire aux perspectives électorales des libéraux, au beau milieu d’une campagne pour un vote fin septembre ou début octobre. Selon la loi canadienne, les campagnes électorales doivent durer entre 36 et 50 jours.

Les partis d’opposition reprochent au gouvernement de privilégier ses efforts pour obtenir une majorité parlementaire plutôt que de contenir la pandémie. La plupart des sondages d’opinion montrent actuellement que les libéraux, qui ont remporté de justesse 33% des voix aux élections d’octobre 2019, ont une avance de 6 points de pourcentage ou plus sur les conservateurs, l’autre parti traditionnel de la classe dirigeante canadienne.

«Ma plus grande préoccupation en ce moment est la quatrième vague potentielle de COVID-19», a déclaré le chef conservateur Erin O’Toole aux journalistes lundi lors d’un événement de type précampagne électorale à Belleville, en Ontario. «Nous ne devrions pas nous précipiter vers une élection. M. Trudeau semble toujours faire passer son intérêt personnel avant l’intérêt des Canadiens.»

La quatrième vague est un danger bien réel et imminent. Mais de tels commentaires de la part d’O’Toole sont tout à fait hypocrites et intéressés. Le chef conservateur n’a pas soufflé mot de la critique du gouvernement du Parti conservateur uni (PCU) de l’Alberta, qui est allé plus loin que peut-être n’importe quel gouvernement d’un pays capitaliste riche en démantelant toutes les mesures de lutte contre le COVID-19. À partir de lundi prochain, l’Alberta abandonnera toute recherche de contact. Les tests COVID ne seront administrés qu’aux personnes gravement malades, et même les personnes atteintes du virus ne seront pas tenues de s’auto-isoler.

On pourrait en dire autant des autres partis et chefs de l’opposition. Lors d’un rassemblement du parti dimanche, le chef du Bloc Québécois (BQ), Yves-François Blanchet, a accusé Trudeau de faire passer ses «ambitions personnelles» avant la lutte contre le variant Delta. Le BQ, il faut le noter, n’a jamais daigné critiquer le gouvernement de droite de la CAQ et son «Québec d’abord», dont la gestion désastreuse de la pandémie a fait que le Québec a enregistré plus de 40% des 26.600 décès dus au COVID au Canada. La CAQ exige maintenant que toutes les écoles publiques, les cégeps et les universités de la province rouvrent complètement à la fin du mois avec peu, voire aucune, mesure de protection.

La vérité est que, tout au long de la pandémie, l’ensemble de l’establishment politique du Canada et tous les niveaux de gouvernement ont systématiquement placé la sauvegarde des fortunes et des profits de l’élite capitaliste avant la protection de la santé, de la vie et des moyens de subsistance des travailleurs. Cette alliance de guerre de classe s’étend du gouvernement libéral fédéral et des premiers ministres ultraconservateurs de l’Ontario, du Québec et de l’Alberta, en passant par le Nouveau Parti démocratique (NPD), apparemment «de gauche», et les syndicats. Au printemps 2020, ils ont tous consenti à ce qu’Ottawa verse des centaines de milliards de dollars pour soutenir les grandes entreprises et les marchés financiers, puis se sont rapidement tournés vers une campagne meurtrière pour forcer les travailleurs non essentiels à reprendre le travail pendant la pandémie. C’est la campagne de retour au travail/retour à l’école – explicitement approuvée et promue par les libéraux de Trudeau dans leur discours du Trône de septembre 2020 – qui a plongé le pays dans les deuxième et troisième vagues dévastatrices d’infections et de décès dus au COVID-19 à l’automne/hiver 2020-21 et au printemps dernier.

Le NPD et son chef Jagmeet Singh ont particulièrement insisté auprès de Trudeau et de ses libéraux pour qu’ils ne déclenchent pas d’élections anticipées. Selon le Toronto Star de lundi, Singh a envoyé une lettre au premier ministre Trudeau dans laquelle il l’exhorte à rappeler le Parlement et promet que le NPD travaillera de manière «constructive» avec le gouvernement. Par cette lettre, Singh a en fait réitéré la promesse publique qu’il a faite en février dernier, à savoir que le NPD assurerait la survie parlementaire du gouvernement libéral minoritaire jusqu’à la fin de la pandémie.

Singh a été fidèle à sa parole. Avec le soutien inconditionnel des syndicats, le NPD a maintenu au pouvoir un gouvernement de droite qui, en plus d’être le fer de lance de la réponse criminelle de la classe dirigeante à la pandémie, intègre de plus en plus le Canada aux offensives militaro-stratégiques de Washington contre la Chine et la Russie, dépense des centaines de milliards de dollars pour réarmer les Forces armées canadiennes, élargit encore la portée et les pouvoirs des agences de renseignement et continue de criminaliser, comme tout récemment avec les débardeurs du port de Montréal, les luttes de la classe ouvrière.

De peur que les néo-démocrates ne perdent le minimum d’influence parlementaire qu’ils exercent dans le parlement actuel, Singh a également demandé publiquement à la gouverneure générale de refuser la demande de Trudeau de tenir des élections anticipées. Le 27 juillet, le lendemain de l’assermentation de Mary Simon comme représentante de la reine, le chef du NPD fédéral lui a adressé une lettre ouverte dans laquelle il demandait à la gouverneure générale non élue d’utiliser ses pouvoirs extraordinaires pour faire fi des souhaits du gouvernement en place.

Dans sa lettre à Simon, Singh fait brièvement référence à la pandémie. Son principal argument, cependant, était qu’une élection n’est pas nécessaire, car le parlement actuel fonctionne. Grâce à l’appui du NPD, les libéraux ont «remporté chaque vote de confiance qu’ils ont soumis à la Chambre», a écrit Singh, «y compris sur le discours du Trône et sur le budget.»

Le caractère droitier de l’appel du NPD à la gouverneure générale est souligné par le plaidoyer de Singh selon lequel une élection n’est pas nécessaire parce que les sociaux-démocrates ont contribué à assurer à la classe dirigeante un gouvernement stable propatronal. Mais même si la gouverneure générale refusait de donner suite à une demande de dissolution du parlement actuel, vieux de près de deux ans, au nom de l’urgence pandémique, ce serait manifestement réactionnaire. Cela renforcerait encore les pouvoirs arbitraires du gouverneur général, une institution antidémocratique qui sert de mécanisme de sécurité à la classe dirigeante.

Dans un éditorial du 29 juillet, le Globe and Mail, la voix traditionnelle de l’élite financière canadienne, s’est opposé à l’appel de Singh demandant à la gouverneure générale de refuser une demande d’élection à Trudeau, sans doute par crainte qu’une telle action ne déclenche une crise politico-constitutionnelle. Toutefois, il a effectivement convenu avec le chef du NPD qu’une élection est «inutile». «Il n’y a aucune raison pressante d’intérêt national ou de politique publique qui exige une élection», a déclaré le Globe. «Les élections, poursuit-il en se lamentant, sont le moment où les politiciens font des promesses faciles aux électeurs, et non des demandes difficiles à leur égard.»

L’éditorial du Globe est une admission que, malgré la rhétorique, tous les partis poursuivent le même programme de droite. C’est particulièrement vrai de leur réponse à la pandémie, où les «progressistes» libéraux et néo-démocrates, soutenus par les syndicats, ainsi que les conservateurs d’O’Toole et leurs alliés ultraconservateurs en Ontario et en Alberta, ont uni leurs forces pour verser des quantités infinies d’argent dans les coffres des grandes entreprises et pour faire avancer sans relâche la «réouverture» de l’économie.

Cela dit, la classe dirigeante s’inquiète de plus en plus de l’état précaire de l’économie mondiale, de l’intensification des conflits commerciaux et géopolitiques, de l’effondrement de l’ordre mondial dirigé par les États-Unis, et des demandes croissantes de Washington pour qu’Ottawa fasse davantage pour maintenir le partenariat militaro-sécuritaire par lequel l’impérialisme canadien défend ses intérêts prédateurs sur la scène mondiale depuis trois quarts de siècle.

Comme l’indique la référence du Globe à des «demandes difficiles» de la population, pour la classe dirigeante, la campagne pandémique homicide de «retour au travail» est censée être la première salve d’une campagne visant à renforcer la position «compétitive» et stratégique de l’impérialisme canadien par une intensification des attaques contre la classe ouvrière au pays et par l’agression et la guerre à l’étranger.

Ce programme se heurte et se heurtera à une opposition croissante de la part d’une classe ouvrière dont l’aliénation et la colère à l’égard de l’establishment ont été aggravées par les décès en masse et l’augmentation considérable des inégalités sociales causés par la gestion criminelle de la pandémie. Comme aux États-Unis, en Amérique latine et dans le monde entier, les derniers mois ont été marqués par une vague de luttes ouvrières militantes, notamment les grèves des travailleurs des mines et des fonderies de Vale, Cominco et ArcelorMittal, des travailleurs de l’industrie alimentaire du Québec et des travailleurs du secteur public québécois.

La tâche essentielle est de développer un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière en unissant ses multiples luttes et en leur insufflant une perspective socialiste et internationaliste. Cela nécessite une guerre politique contre les syndicats et le NPD propatronaux, dont l’alliance avec le gouvernement Trudeau incarne leur rôle d’agents et de laquais de l’élite capitaliste dirigeante du Canada.

(Article paru en anglais le 10 août 2021)

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