Alors que les enfants sont envoyés dans des écoles dangereuses, l’épidémiologiste américain Michael Osterholm met en garde contre une catastrophe imminente

Dans le contexte de la marée montante des infections aux États-Unis, dominée par le variant Delta hautement transmissible, le Dr Michael Osterholm, directeur du Centre de recherche et de politique des maladies infectieuses ( CIDRAP) de l’Université du Minnesota, a tenu dimanche des propos donnant à réfléchir sur l’état de la pandémie.

Osterholm a été interviewé dans le cadre de l’émission «Meet the Press» de la chaîne NBC. En réponse à une question de l’animateur Chuck Todd sur les recommandations des Centres de contrôle et prévention des maladies (CDC) pour les enfants de moins de 12 ans, à la lumière de la montée rapide des infections et hospitalisations dans ce groupe d’âge, il a déclaré: «Je crois vraiment que nous devons repenser cela… Les données que nous avons utilisées pour formuler des recommandations pour l’ouverture de nos écoles datent vraiment de la période pré-Alpha. Ce [variant Delta] est un virus différent dans le sens où il est beaucoup plus infectieux».

Osterholm a fait remarquer que, bien que 50 pour cent du pays soient entièrement vacciné, 90 millions de personnes qui auraient pu recevoir le vaccin ne l’étaient toujours pas. Cela indiquait qu’un nombre important de gens restaient vulnérables à l’impact total du virus. Si l’on ajoutait à cela le fait que 48 millions d’enfants américains de moins de 12 ans n’était pas éligibles pour les vaccins COVID-19, on obtenait une situation dans laquelle le virus avait le champ libre pour infecter une grande partie de la population et disposait de nombreuses opportunités pour muter.

Des élèves dans une salle de classe d’Omaha [Crédit: Omaha Public Schools Facebook].

Il a expliqué que, contrairement aux variants précédents, de nombreuses personnes infectées ont acquis le variant Delta lors d’activités de plein air. «Je voudrais… souligner que l’autre chose qui aide à comprendre le caractère infectieux de ce virus est le fait que nous voyons maintenant de plus en plus d’événements avec de l’air extérieur. Vous savez, il y a quelques mois, nous disions que si vous êtes à l’extérieur, vous êtes plutôt en sécurité. Nous avons assisté à un certain nombre d’événements où, en fait, des personnes entassées à l’extérieur ont été infectées».

«Si cela se produit à l’extérieur, imaginez ce qui arrive à nos enfants lorsqu’ils sont serrés les uns contre les autres dans les écoles… À ce stade, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour contrôler ce virus».

Au cours du week-end, les autorités du comté de Lancaster, en Caroline du Sud, ont confirmé qu’un jeune de 16 ans était mort du COVID-19. Cette tragédie est survenue après que le plus grand district scolaire de l’État ait interrompu les cours en présentiel neuf jours seulement après le début de l’année scolaire, dû au fait que plusieurs membres du personnel et un élève avaient dû être hospitalisés pour cause de COVID-19. Actuellement, 142 élèves du district ont testé positifs au coronavirus. Le précédent pic était de 85, en janvier 2021.

Les responsables du district scolaire de Ware County, en Géorgie, ont déclaré à la presse qu’ils avaient fermé 11 de leurs écoles pour au moins deux semaines après qu’une épidémie de COVID-19 ait envahi leurs campus. Au total, 76 élèves ont testé positifs et 679 ont été mis en quarantaine en raison d’une éventuelle exposition au virus Au moins 67 membres du personnel ont également testé positifs, et 150 autres sont en quarantaine. Les personnes infectées ou en quarantaine représentent 13 pour cent du corps étudiant et 23 pour cent du corps enseignant. Les fermetures ont eu lieu moins de deux semaines après la rentrée des classes, le 4 août.

Le Dr Osterholm a noté que la qualité des masques utilisés était un problème important. En plus du non-respect des masques, l’utilisation de masques en tissu relativement inefficaces pour combattre un virus se propageant dans l’air était extrêmement problématique. «Nous n’avons pas vraiment fait attention à transmettre au public le message qu’il fallait disposer des masques beaucoup plus efficaces», a-t-il déclaré, «comme le masque N95 dont nous parlons ou le KN95 pour les enfants».

De nombreux représentants de l’État se battent pourtant pour interdire même les protections limitées que de telles mesures pourraient offrir. La situation au Texas est peut-être la plus emblématique. Le gouverneur républicain du Texas Greg Abbott et le procureur général Ken Paxton sont en guerre avec les tribunaux de l’État qui résistent à leurs tentatives d’interdire l’obligation de porter un masque. Le juge Clay Jenkins ,du comté de Dallas, a lancé un avertissement sinistre au cours du week-end: il ne restait «aucun lit de soins intensifs pour les enfants».

«Cela signifie, a-t-il dit, que si votre enfant est victime d’un accident de la route, s’il souffre d’une malformation cardiaque congénitale ou autre et qu’il a besoin d’un lit de soins intensifs, ou plus vraisemblablement, s’il est atteint du COVID et qu’il a besoin d’un lit de soins intensifs, nous n’en avons pas. Votre enfant attendra qu’un autre enfant meure. Votre enfant ne sera tout simplement pas mis sous respirateur, votre enfant sera transporté par CareFlight à Temple ou Oklahoma City, ou partout où nous pourrons lui trouver un lit, mais il n’en obtiendra pas ici, à moins qu’un lit ne soit libéré».

Dans ses remarques liminaires, Osterholm a donné un aperçu important de l’état menaçant de la pandémie, qui aggrave encore les dangers liés à la réouverture des écoles. «Lorsque vous regardez à l’intérieur de cette vague, il s’agit en fait d’une série d’événements différents. Tout d’abord, nous avons les États “Sun Belt” du sud qui, comme nous le savons tous, connaissent une augmentation spectaculaire du nombre de cas. Si vous regardez l’État de Louisiane en ce moment, il est à égalité avec la Géorgie pour le taux d’infections le plus élevé au monde».

«Mais ce que nous constatons actuellement, c’est que si ces États commencent à se stabiliser un peu, nous voyons maintenant que le sud-est – Géorgie, Caroline du Sud, Caroline du Nord, Kentucky, Tennessee, sud de l’Illinois – tous commencent à décoller. Nous le voyons dans les États du nord-ouest comme l’Oregon et l’État de Washington. Nous constatons même des augmentations dans le Midwest [au centre-nord des États-Unis]», a-t-il poursuivi.

Il a souligné que l’augmentation du nombre d’hospitalisations liées au COVID-19 à l’échelle nationale, qui atteint aujourd’hui 83.000, principalement alimentée par les États «Sun Belt» du sud, était dramatique par rapport aux quelque 25.000 hospitalisations d’il y a un mois. «Cela vous donne une idée de ce qui s’est passé juste au cours du dernier mois. Et si ces autres États décollent, alors cette montée en flèche pourrait durer pendant au moins quatre à six semaines de plus.»

Le CDC a récemment indiqué que le variant Delta représentait désormais plus de 97 pour cent de toutes les infections dans le pays. En revanche, les variants Alpha et Gamma ont pratiquement disparu, ce qui souligne la nature agressive de la nouvelle souche, qui a supplanté toutes les autres versions du virus en trois mois à peine.

Selon le «New York Times COVID tracker», le nombre moyen de nouveaux cas quotidiens a atteint près de 130.000, soit une augmentation de 65 pour cent par rapport à il y a deux semaines. Les décès dus au COVID-19, qui sont en retard sur les infections, ont atteint une moyenne de 655 par jour (plus de 4.500 par semaine), soit une augmentation de 113 pour cent par rapport à il y a deux semaines.

Le taux d’hospitalisation des enfants est plus élevé que jamais dans tout le pays et cela avec des maladies plus graves. Linda Young, une inhalothérapeute chevronnée ayant 37 ans d’expérience, a déclaré au Washington Post: «Je n’ai jamais rien vu de tel!» Même de jeunes enfants en bonne santé, sans aucune affection sous-jacente, tombaient malades. Le taux d’hospitalisation des enfants montait en flèche, dépassant les pics de l’hiver de plus de 20 pour cent et continuaient de monter.

L’Académie américaine de pédiatrie, qui n’a cessé de faire des mises à jour critiques, avait relevé environ 12.000 cas de COVID-19 aux États-Unis au cours de la première semaine de juillet, chez les enfants âgés de 17 ans ou moins. Ce nombre est passé à 96.000 au cours de la première semaine d’août, soit une multiplication par sept. Ces cas représentent 15 pour cent de toutes les nouvelles infections, ce qui implique que les enfants deviennent une part plus importante de tous les cas de COVID-19 qu’à n’importe quel autre moment de la pandémie.

Samedi, le nombre d’enfants hospitalisés pour le COVID-19 dans le pays a atteint un nouveau record avec plus de 1.900. Au cours de la première semaine d’août, 310 enfants avaient été hospitalisés, soit un taux de 44 par jour. Maintenant, alors que de nombreuses écoles sont prêtes à accueillir des élèves, la vie des enfants, de leurs familles et des communautés sera dramatiquement et tragiquement impactée. Il en sera de même du secteur des soins de santé, qui est une fois de plus confronté à un afflux de cas poussant les hôpitaux à la surcapacité.

L’évaluation d’Osterholm a des implications considérables alors que les États se préparent les uns après les autres à reprendre l’enseignement en présentiel quelle que soit l’impact du virus. Tout au long de la pandémie, les politiciens et les responsables locaux et étatiques ont tenté d’ignorer le rôle joué par les enfants dans la perpétuation de la pandémie, tout en minimisant l’impact de l’infection sur les enfants. Ces affirmations ne sont plus soutenables, mais cela n’a pas empêché la campagne irresponsable et criminelle de réouverture les écoles.

Le Dr Osterholm n’a pas appelé au confinement des lieux de travail et à la fermeture des écoles, comme il l’avait déjà fait pendant la vague hivernale. Néanmoins, ses mises en garde dressent un tableau sombre des événements des prochains mois si de telles mesures ne sont pas rapidement adoptées et mises en œuvre. Son évaluation constitue un avertissement clair, mais sévère sur ce qui doit être fait pour éviter une catastrophe imminente.

Dans ces conditions, l’insistance des syndicats d’enseignants sur la réouverture des écoles est tout simplement criminelle. Randi Weingarten, présidente de la Fédération américaine des enseignants (AFT), et Becky Pringle, présidente de l’Association nationale de l’éducation (NEA), ont toutes deux réitéré ces derniers jours leur demande que les enseignants, les autres travailleurs scolaires et les élèves soient parqués dans des écoles dangereuses afin que leurs parents puissent retourner à des emplois dangereux et recommencer à faire des profits pour les élites industrielles et financières.

L’obsession maniaque de faire monter le prix des actions et d’accroître la richesse de la classe dirigeante ne tolère pas même que la vie d’enfants sans défense soit épargnée. Et les prétendus «syndicats» sont les exécutants de cette politique de meurtre social.

Il faut stopper cette politique de la mort en masse! Le Parti de l’égalité socialiste appelle les enseignants, les parents et tous les travailleurs à former des comités de la base pour coordonner une lutte nationale et internationale afin d’empêcher la réouverture des écoles; de fournir une aide au revenu complète à tous les travailleurs touchés; d’exiger le financement complet de l’enseignement à distance, jusqu’à ce que la pandémie soit contenue.

(Article paru d’abord en anglais le 16 août 2021)

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