La débâcle en Afghanistan suscite d'amères récriminations de l'armée britannique, des conservateurs et des travaillistes

Le retrait des États-Unis d’Afghanistan a suscité une vague d’indignation chauvine de la part d’éminentes personnalités militaires et de ministres conservateurs, le parti travailliste, dans l’opposition, se joint à ce chœur.

La valeur de la relation entre la Grande-Bretagne et les États-Unis a été ouvertement remise en question ; d’autres ont pris une pose churchillienne et ont lancé des appels maussades à une intervention militaire indépendante ou à d’éventuelles alliances avec des puissances européennes pour contrer la dépendance vis-à-vis de Washington.

Le Times a publié un article du député conservateur Tom Tugendhat, ancien officier de l’Armée territoriale et actuel président de la commission parlementaire des Affaires étrangères. Il écrit que le Royaume-Uni se trouve face à son plus grand désastre à l’étranger depuis la crise de Suez en 1956, lorsque le Royaume-Uni n’avait pas réussi à reprendre le contrôle du canal en raison de l’opposition des États-Unis. Cette crise avait ouvert la voie à la fin de l’Empire britannique. Il a averti que la Grande-Bretagne était désormais «impuissante» face à la politique de retrait des États-Unis, et que les coupes dans les forces armées devaient cesser si l’on voulait inverser cette situation.

Ben Wallace, secrétaire d’État à la défense et lui aussi ex-officier de l’armée britannique, a déclaré aux médias que Londres était si horrifié par la décision de Washington de se retirer complètement d’Afghanistan qu’il avait essayé d’obtenir le soutien des autres alliés de l’OTAN pour maintenir une sorte de force de stabilisation sans les États-Unis. Lorsqu’on lui a demandé s’il était inquiet que la résurgence des talibans en Afghanistan puisse conduire à des attaques terroristes au Royaume-Uni à l’avenir, il a répondu: «Bien sûr que je suis inquiet, c’est pourquoi j’ai dit que je pensais que ce n’était pas le bon moment ou la bonne décision à prendre parce que, bien sûr, Al-Qaïda reviendra probablement», mais «Lorsque les États-Unis, en tant que nation-cadre, ont pris cette décision, la façon dont nous étions tous configurés, la façon dont nous étions entrés, signifiait que nous devions partir aussi».

Tobias Ellwood, président de la commission Défense au Parlement, a écrit dans le Mail on Sunday que le Royaume-Uni effectuait un «retrait minable» et qu’il devait, avec ses alliés, conserver une force d’assistance de 5.000 soldats pour apporter un soutien terrestre, aérien et de renseignement à l’armée afghane dans sa lutte contre les talibans, sous peine de céder un «espace stratégiquement crucial à une Chine expansionniste».

Gavin Barwell, l’ancien chef de cabinet de l’ex-première ministre Theresa May, a déclaré qu’il était «temps de se réveiller et de sentir le café» et de comprendre que les démocrates et les républicains ne croyaient plus que «les États-Unis dussent être le gendarme du monde… La leçon pour les Européens est claire. Quel que soit le président, il est peu probable que les États-Unis offrent le même soutien qu’auparavant dans les régions du monde où leurs intérêts vitaux ne sont pas en jeu. Les Européens vont devoir développer la capacité d’intervenir sans le soutien des États-Unis. Cela ne sera pas bon marché. Et l’Union européenne et la Grande-Bretagne vont devoir trouver un moyen de coopérer sur ce point, car nous sommes confrontés aux mêmes menaces.»

D’anciennes personnalités militaires de premier plan ont également reproché aux États-Unis d’avoir poussé le Royaume-Uni dans une débâcle militaire. Richard Dannatt, l’ancien chef de l’armée britannique, s’est exprimé samedi avant que les talibans ne prennent le contrôle de Kaboul et a déclaré qu’il partageait la colère de nombreux vétérans ayant servi en Afghanistan sur la façon dont le pays était abandonné. Le général Sir Richard Barrons, qui dirigeait le commandement des forces conjointes britanniques, a déclaré à la BBC: «Le retrait actuel est une erreur stratégique. Je ne crois pas que ce soit dans notre propre intérêt». Il envoyait un «message vraiment malheureux» aux alliés en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient, qui dit «nous n’avons pas le cran d’aller jusqu’au bout des choses…».

Le leader travailliste Sir Keir Starmer a tenu le même langage, accusant le gouvernement Biden d’être responsable de la prise de contrôle rapide du pays par les talibans. Il a souhaité que «notre gouvernement prenne les devants et dirige la situation, en demandant une réunion urgente de l’OTAN et une réunion urgente du Conseil de sécurité des Nations unies». Il a ajouté: «Nous avons des obligations envers l’Afghanistan, nous avons fait des promesses à l’Afghanistan et nous ne pouvons pas nous retirer… et ruiner l’héritage des 20 dernières années».

La ministre ‘fantôme’ des Affaires étrangères, Lisa Nandy, a déclaré à la BBC: «L’une des retombées de la décision des États-Unis de se retirer et de se retirer très rapidement, puis de celle du Royaume-Uni, est que cela a envoyé un message aux talibans, à savoir qu’ils pouvaient se promener dans tout l’Afghanistan, avec une liberté relative et très peu de conséquences».

Face à cette explosion de rhétorique militariste le premier ministre Boris Johnson a pu se poser en voix de la raison avant la session rappelée du Parlement sur l’Afghanistan aujourd’hui. «La critique est parfaitement raisonnable sur le fait que nous n’avons pas vu cela venir», a-t-il déclaré sur BBC Radio 4. «Mais à moins que quelqu’un explique combien de troupes britanniques supplémentaires nous devrions envoyer, en l’absence de l’engagement américain, je pense que nous devons nous concentrer sur l’effort d’évacuation et sur la façon dont nous utilisons maintenant tous les leviers à notre disposition, avec tout le réalisme nécessaire, pour essayer de modérer l’influence et l’impact du régime à venir.» Il a appelé à une offensive diplomatique pour s’assurer qu’aucun pays ne reconnaisse les talibans, ce que les voisins de l’Afghanistan, la Chine, la Russie, le Pakistan et la Turquie, semblent tous prêts à faire.

Boris Johnson annonçant les nouvelles mesures au Parlement lundi (crédit: Parlement britannique/Jessica Taylor)

Les virulentes querelles intestines au sein des grands partis et entre eux donnent la mesure de la crise que traverse l’impérialisme britannique. L’échec de l’invasion et de l’occupation de l’Afghanistan par les États-Unis est un désastre total pour une élite politique, économique et financière qui s’est appuyée sur sa «relation spéciale» avec les États-Unis afin de faire valoir ses propres intérêts impérialistes sur la scène mondiale. C’est pour renforcer cette alliance réactionnaire et soutenir les intérêts prédateurs de ses propres grandes sociétés que le premier ministre travailliste Tony Blair avait rejoint la «guerre contre le terrorisme» menée par les États-Unis et déployé 55.000 troupes de combat en Afghanistan entre 2001 et 2014.

Cette guerre criminelle a coûté la vie à 457 membres de l’armée britannique, stationnés dans la province méridionale de Helmand où les affrontements armés étaient fréquents. Plus de 2.600 soldats et aviateurs ont été blessés, tandis que 5.000 autres souffrent de traumatismes psychiques.

En plus des combattants, les troupes britanniques auraient tué au moins 500 civils et ont contribué directement à la dévastation du pays. Selon le livre «Investment in Blood» de Frank Ledwidge, publié en 2013, la guerre d’Afghanistan a coûté au moins 37 milliards de livres sterling à la Grande-Bretagne – soit près du double du chiffre officiel.

Face à la menace d’une explosion de colère parmi les travailleurs sur la fin amère d’une guerre profondément impopulaire, il revient une fois de plus à Jeremy Corbyn et à la «gauche» travailliste d’essayer de calmer les choses.

L’ancien président de la coalition «Arrêter la guerre» a publié hier son premier et unique tweet anodin, acceptant le récit selon lequel les deux décennies de guerre visaient à «assurer la sécurité du peuple afghan et à empêcher la propagation du terrorisme», mais avait échoué.

Il a ajouté: «La guerre contre le terrorisme et l’utilisation irréfléchie de la force par ses architectes pour régler des problèmes politiques complexes ont eu des coûts humains profonds, innombrables et inacceptables», tout en omettant avec tact de mentionner que l’un de ces architectes, comme de la guerre illégale contre l’Irak qui a suivi, était son prédécesseur à la tête du parti travailliste, Blair.

Lorsqu’il rejoindra les partisans de Blair dans le débat parlementaire d’aujourd’hui, le message de Corbyn consistera à appeler «le Royaume-Uni à jouer son rôle dans un effort diplomatique robuste qui engage les puissances régionales à assurer la stabilité» – une position indiscernable de celle qui sera avancée par Johnson.

(Article paru d’abord en anglais le 18 août 2021)

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