Colombie-Britannique: Unifor refuse de fournir aux grévistes de Kitimat des détails sur ses négociations avec Rio Tinto

La grève sans concession des 900 travailleurs de l’usine d’aluminium et centrale électrique de Rio Tinto Alcan à Kitimat, dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique, risque fort d’être trahie. Bien qu’il n’y ait pas eu de négociations officielles depuis le début de la grève le 25 juillet, des représentants d’Unifor ont rencontré des représentants de Rio Tinto à Kitimat le 12 août afin d’élaborer un plan pour relancer les pourparlers. Mercredi, la société a révélé qu’une autre réunion aurait lieu à Vancouver au début de la semaine prochaine.

Travailleurs en grève de Rio Tinto Alcan (Photo: Unifor Kitimat)

Les grévistes, membres de la section locale 2301 d’Unifor, n’ont reçu aucune information du syndicat sur ces réunions inhabituelles. Au contraire, le communiqué de l’entreprise envoyé à tous les employés pour annoncer la réunion de la semaine prochaine à Vancouver indiquait explicitement que les deux parties avaient convenu de garder le contenu des discussions «confidentiel». Il n’y a guère de doute sur ce que cela signifie: Rio Tinto et les représentants syndicaux sont de connivence pour concocter un accord pourri afin de mettre fin à la grève dans des conditions favorables à l’entreprise.

Les grévistes s’opposent à des reculs qui comprennent la réduction de l’admissibilité aux prestations pour les travailleurs temporaires de l’usine d’électrolyse et de la centrale hydroélectrique, ainsi que la réduction des prestations pour les retraités actuels et tous les futurs retraités et leurs survivants.

Les travailleurs sur le piquet de grève ont indiqué qu’ils étaient déterminés à annuler une série de reculs approuvés par le syndicat et imposés dans les conventions collectives précédentes, et à défendre la protection de l’emploi et les droits à la retraite. La totalité de la main-d’œuvre syndiquée a voté pour la grève.

Les travailleurs sont également déterminés à mettre un terme à la volonté de l’employeur de réduire les conditions de travail en violant systématiquement le contrat – une pratique qui a donné lieu à quelque 300 griefs en suspens. Bon nombre de ces griefs concernent le recours croissant de l’entreprise à la main-d’œuvre contractuelle temporaire, son refus d’accorder des avantages aux intérimaires en manipulant leurs heures de travail, et son refus d’accorder aux travailleurs embauchés depuis 2019 des pensions à prestations définies.

L’exploitation impitoyable de ses travailleurs par l’entreprise se déroule à l’échelle mondiale et lui a permis d’amasser de vastes richesses pour ses dirigeants et ses super-riches actionnaires. Le conglomérat basé en Australie est la troisième plus grande société minière au monde, avec des intérêts de premier plan dans le minerai de fer, le cuivre, l’aluminium, le lithium et d’autres minéraux. Après un bénéfice net impressionnant de 9,8 milliards USD en 2020, la société vient de déclarer ses bénéfices semestriels les plus élevés de son histoire, avec 12,2 milliards USD de bénéfices pour les six premiers mois de 2021. Rio Tinto a réagi en annonçant à la fin du mois dernier le versement d’un dividende exceptionnel à ses actionnaires. La société récompensera les investisseurs avec 9,1 milliards de dollars à 7,60 dollars par action, ce qui fait plus que tripler les versements précédents. Les analystes de l’industrie prévoient que de telles aubaines se poursuivront tout au long de la décennie, car les prix des métaux resteront élevés.

Unifor, qui se vante sans cesse d’être «le plus grand syndicat du secteur privé au Canada», n’a pratiquement rien fait pour informer ses plus de 300.000 membres de la grève de Kitimat, et encore moins pour les mobiliser, ainsi que la classe ouvrière dans son ensemble, en faveur de la lutte des travailleurs de la fonderie contre la multinationale minière. Il ne s’agit pas d’un oubli, mais du produit direct du programme nationaliste et propatronat du syndicat, qui donne la priorité aux relations des bureaucrates avec les dirigeants des grandes entreprises et l’État capitaliste sur les intérêts des travailleurs qu’Unifor prétend représenter. Alors que les grévistes de Kitimat sont isolés sur le piquet de grève avec une indemnité de grève misérable de 400 CAD par semaine, Unifor et ses alliés dépensent des millions de dollars dans une campagne publicitaire nationale intitulée «N’importe qui sauf les conservateurs» qui vise à promouvoir la réélection du gouvernement libéral proguerre et proaustérité du premier ministre Justin Trudeau. Pour sa part, Trudeau s’est maintes fois vanté des relations étroites de son gouvernement avec ses «partenaires» d’Unifor.

Au cours des négociations de l’année dernière dans le secteur de l’automobile, le président d’Unifor, Jerry Dias, s’est vanté de l’approbation par le syndicat de la poursuite de l’expansion de la main-d’œuvre temporaire à bas salaire dans les usines des Trois de Detroit et de l’enracinement du système de salaires à plusieurs niveaux tant détesté, proclamant que les accords chargés de reculs que le syndicat a conclus avec Ford, GM et Fiat-Chrysler feraient du Canada un endroit «compétitif» pour les investissements.

Unifor a déjà fait savoir qu’il était prêt à céder des éléments clés des revendications des travailleurs à Rio Tinto. Alors que l’on s’acheminait vers une grève le 24 juillet, la direction de l’entreprise a fait savoir qu’elle était prête à «mettre en hibernation» la majorité des cuves de fusion de l’usine plutôt que de poursuivre les négociations jusqu’à la date limite. Dans un bulletin syndical destiné aux grévistes, on peut lire que «la société a été très ferme sur l’une de ses demandes, ce qui représentait une concession majeure pour nos membres... En fin de compte, compte tenu de l’enjeu, nous avons provisoirement accepté la concession qu’elle proposait, ce qui permettrait le retour de nos membres».

De façon scandaleuse, Unifor n’a jamais informé ses membres de ce qu’était précisément cette «concession majeure». Mais de toute évidence, ce n’était pas suffisant pour Rio Tinto. La société a exigé l’arrêt des négociations, ordonné l’hibernation de près de 75 % des cuves et insisté sur le fait que d’autres reculs qu’elle demande étaient toujours sur la table. Dans une déclaration publiée avant la réunion du 12 août, Rio Tinto a déclaré avec arrogance qu’elle avait suspendu les négociations parce que le syndicat avait formulé «trop» de demandes, rendant impossible la conclusion d’une convention collective «comparable à celles que l’on trouve dans nos autres entreprises au Canada ou chez nos concurrents».

Le bilan mondial de Rio Tinto en matière de réduction des coûts est notoire. Après l’achat d’Alcan en 2007, Rio Tinto (Alcan) a immédiatement réduit sa production d’aluminium de 6 % et a fermé l’usine d’électrolyse de Beauharnois au Québec en 2009, supprimant 220 emplois. En annonçant la stratégie actuelle de l’entreprise à Kitimat, Dick Evans, alors directeur général, a déclaré: «Notre objectif est d’aligner la production sur la demande des clients et de réduire nos coûts d’exploitation autant que possible.»

Si les grévistes de Kitimat veulent l’emporter, ils doivent répondre à la campagne agressive de réduction des coûts de Rio Tinto par une stratégie internationale qui leur est propre. Les conditions sont propices à la construction d’un mouvement de masse de la classe ouvrière pour lutter contre les réductions de salaire, les contrats temporaires, la réduction des avantages sociaux et les profits des sociétés. Des milliers de travailleurs au Canada, aux États-Unis et dans d’autres pays sont engagés dans des grèves et des actions militantes pour l’emploi. Dans le nord-est du Québec, 2500 travailleurs affiliés aux Métallos ont récemment fait grève pendant près d’un mois contre le géant mondial de l’acier ArcelorMittal. Les travailleurs de la mine, de l’usine et de la fonderie de Vale à Sudbury, en Ontario, ont fait grève pendant 64 jours avant que le Syndicat des Métallos ne mette rapidement fin au conflit, au début de ce mois, aux conditions de la direction. Les travailleurs de l’aérospatiale de De Havilland à Toronto, également représentés par Unifor, poursuivent leur grève contre les reculs et les pertes d’emploi massives potentielles. La tâche essentielle est d’unifier toutes ces luttes avec celles des travailleurs aux États-Unis, au Mexique et à l’échelle internationale, dans le cadre d’une contre-offensive de la classe ouvrière visant à garantir des emplois sûrs et bien rémunérés pour tous.

Pour les grévistes de Kitimat, la première étape de cette lutte consiste à dresser un bilan du rôle réactionnaire des syndicats propatronat. Au cours des quatre dernières décennies, ils ont répudié toute association avec la lutte militante de la classe ouvrière, et au Canada, comme partout dans le monde, ils ont servi de plus en plus ouvertement de partenaires juniors du patronat.

Les travailleurs de la base doivent prendre les choses en main. Si Unifor garde la direction de la grève, il devient de plus en plus clair qu’il organisera une trahison abjecte, que ce soit dans la foulée de la réunion de Vancouver de la semaine prochaine ou après une autre série de négociations à huis clos. Compte tenu des bénéfices exceptionnels de Rio Tinto, l’entreprise pourrait décider de faire quelques gestes symboliques en faveur d’Unifor, permettant ainsi au syndicat de présenter un futur accord comme une «victoire». C’est ce qu’ont vécu les mineurs en grève de Sudbury, où le géant minier Vale a retiré sa demande de mettre fin aux prestations de soins de santé des retraités, mais a conclu un accord avec les Métallos qui conserve toutes les concessions accordées au cours des trois dernières décennies. Ces concessions comprennent le recours généralisé à la main-d’œuvre temporaire et l’institutionnalisation d’un système salarial à plusieurs niveaux.

Pour éviter que leur lutte ne soit trahie, les grévistes de Kitimat ont besoin de toute urgence de leur propre organisation de combat. Les grévistes doivent immédiatement former un comité de grève de la base, dirigé par les travailleurs les plus fiables et les plus militants, capable d’agir indépendamment d’Unifor, de s’opposer à toute concession et de mener la lutte pour obtenir le soutien des travailleurs de Rio Tinto et des autres travailleurs au Canada et à l’étranger.

(Article paru en anglais le 20 août 2021)

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