Le Congrès évite la fermeture de l'État fédéral, mais le plan budgétaire de Biden risque de s'effondrer

Le Congrès américain a adopté jeudi une résolution accordant deux mois d’autorisation de dépenses supplémentaires au gouvernement fédéral et évitant la fermeture de nombreux départements fédéraux à une minute après minuit vendredi matin. Le projet de loi avait été transmis à la Maison-Blanche pour signature par le président Biden jeudi soir.

Le jeudi 30 septembre 2021, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi (démocrate, Californie), s’apprête à signer au Capitole, à Washington, le projet de loi de financement temporaire qui permettra d’éviter la fermeture du gouvernement. (AP Photo/J. Scott Applewhite)

Le Sénat a adopté le projet de loi par une marge de 65-35, 15 républicains, dont le chef de la minorité Mitch McConnell et le whip de la minorité John Cornyn, se joignant aux 50 démocrates. La Chambre des représentants a adopté le projet de loi quelques heures plus tard par une marge de 254-175, 34 républicains se joignant aux 220 démocrates. Aucun membre de la direction républicaine de la Chambre n’a voté pour le projet de loi.

Le projet de loi autorise, jusqu’au 3 décembre, la majorité des ministères fédéraux à dépenser des fonds «discrétionnaires», c’est-à-dire des fonds alloués chaque année par le Congrès. L’argent dont le Trésor se trouve tenu par la loi de dépenser, comme les prestations de sécurité sociale et d’assurance-maladie, n’auraient pas été réduites avec un arrêt des activités fédérales. Un tel arrêt n’aurait pas touché non plus le Pentagone ni d’autres agences faisant partie de l’appareil militaire ou de renseignement.

Néanmoins, une fermeture aurait mis au chômage technique près d’un million de travailleurs, fermé la plupart des bureaux fédéraux et interrompu le fonctionnement quotidien d’agences telles que l’OSHA et le ministère de l’Agriculture. Le gouvernement Biden s’est démené pour trouver une autorité légale et des raccourcis budgétaires afin d’éviter que la fermeture du gouvernement ne touche des agences telles que les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) et l’Administration des denrées alimentaires et des médicaments (Food and Drug Administration – FDA), qui jouent un rôle central dans la pandémie de COVID-19.

La résolution prévoit également 26,8 milliards de dollars d’aide aux victimes d’ouragans, de feux de forêt et d’autres catastrophes naturelles, ainsi que 6,3 milliards de dollars de fonds d’urgence pour la réinstallation des réfugiés afghans. Un amendement soutenu par les républicains du Sénat, qui visait à fixer des limites strictes à l’aide aux réfugiés afghans, a été rejeté juste avant le vote final.

Bien qu’un arrêt des activités fédérales ait été évité de justesse, ce quasi-échec indique la situation délicate dans laquelle se trouve le gouvernement Biden face à l’opposition intransigeante des républicains du Congrès et d’une poignée de démocrates de droite qui détiennent l’équilibre du pouvoir dans une Chambre et un Sénat très divisés.

La résolution a été dépouillée de l’une de ses principales dispositions, à savoir le relèvement du plafond de la dette fédérale de son niveau actuel de vingt et un mille milliards de dollars, après que les républicains du Sénat ont fait de l’obstruction lundi. Plutôt que de renverser la règle de l’obstruction, une disposition antidémocratique qui exige 60 voix pour adopter une loi, le chef de la majorité du Sénat, Charles Schumer, a accepté la défaite et a supprimé la disposition relative au plafond de la dette, bien que la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, ait envoyé mardi une lettre au Congrès mettant en garde contre les conséquences catastrophiques d’un défaut de paiement de la dette du gouvernement fédéral, qui, selon elle, aurait lieu d’ici le 18 octobre.

Lors de son témoignage devant une commission de la Chambre des représentants jeudi, Yellen a lancé un appel en faveur d’une loi qui éliminerait entièrement le plafond de la dette, soulignant que le Congrès adopte des lois qui prescrivent ce qui peut être dépensé et combien de recettes peuvent être collectées, ne laissant au Trésor d’autre choix que d’emprunter la différence. Cela rendait le dépassement du plafond de la dette inévitable, a-t-elle dit.

Après l’adoption de la résolution par la Chambre, la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, a déclaré qu’elle avait toujours l’intention de soumettre au vote, jeudi soir, un projet de loi sur les infrastructures d’un montant de mille deux cents milliards de dollars, mais rien n’indique qu’elle ait pu réunir les 218 voix nécessaires à son adoption.

Au moins 40 démocrates «progressistes» ont menacé de voter contre le projet de loi sur l’infrastructure s’il n’y avait pas l’assurance que le Sénat adopterait une loi complémentaire pour accorder trois mille cinq cents milliards de dollars sur 10 ans pour les programmes sociaux et l’Aide aux familles, tandis qu’à peine une douzaine de républicains étaient censés s’opposer à leur direction et voter pour le projet de loi sur l’infrastructure.

La défaite du projet de loi sur l’infrastructure signifierait l’effondrement de la stratégie politique que Biden a poursuivie depuis son entrée en fonction en janvier: faire concession après concession aux républicains dans le but d’obtenir un soutien bipartite pour ses politiques. Le projet de loi sur les infrastructures a été le point d’orgue de cette politique, approuvé par le Sénat en août par un vote de 69 à 30, 19 républicains, dont le chef de la minorité républicaine Mitch McConnell, s’étant joints aux 50 démocrates.

Les dépenses sociales souhaitées par le House Progressive Caucus et leurs alliés au Sénat, comme Bernie Sanders, comprendraient la pérennisation du crédit d’impôt pour enfants, qui a été accordé chaque année dans les différents projets de loi de dépenses d’urgence pour le coronavirus. Il y aurait également des prestations additionnelles à Medicare pour couvrir les examens de la vue et de l’ouïe ainsi les soins dentaires, élargir l’éligibilité à Medicaid, étendre le programme «Head Start» (démarrer avec une longueur d’avance) à un programme universel pour les enfants de trois et quatre ans, et augmenter les montants limités prévus pour les étudiants des collèges communautaires, les mères qui travaillent et les personnes âgées qui ont besoin de services de soins à domicile afin d’éviter de déménager dans des maisons de retraite.

La facture totale de ces améliorations de la politique sociale s’élèverait à 3500 milliards de dollars sur dix ans, soit moins de la moitié du budget du Pentagone sur la même période et à peu près le même montant que les intérêts de la dette du gouvernement fédéral. À 350 milliards de dollars par an, cette somme est bien inférieure à l’augmentation de la richesse dont ont bénéficié les milliardaires américains au cours de la première année de la pandémie, soit 1800 milliards de dollars. Les profiteurs de la pandémie pourraient payer la moitié du coût total de la loi sur 10 ans rien qu’avec l’augmentation de leur richesse depuis l’explosion de la pandémie en mars 2020.

Les dépenses sociales doivent être adoptées par le Sénat selon une procédure connue sous le nom de «réconciliation budgétaire», qui permet à la majorité de faire passer un seul projet de loi chaque année par un vote à la majorité simple sans avoir à faire face à une obstruction. Étant donné que les démocrates disposent de 50 sièges et du vote décisif de la vice-présidente Kamala Harris, et qu’ils sont confrontés à l’opposition de 50 républicains, chaque démocrate doit soutenir le projet de loi de réconciliation pour garantir son adoption.

Deux démocrates de droite, Joe Manchin (Virginie-Occidentale) et Kyrsten Sinema (Arizona), ont empêché l’adoption du projet de loi en s’opposant à la fois au total des dépenses et aux augmentations d’impôts sur les riches qui constituent son principal mécanisme de financement. Mercredi soir, Manchin a dénoncé le chiffre de 3500 milliards de dollars comme une «folie financière». Puis, jeudi, il a déclaré: «Je n’ai jamais été un libéral, de quelque manière que ce soit.»

Manchin a déclaré qu’il ne pourrait pas soutenir un niveau de dépenses supérieur à 1500 milliards de dollars, soit moins de la moitié du total demandé par l’administration Biden. Fait remarquable, il a ajouté qu’il avait communiqué cette position au leader de la majorité au Sénat, Schumer, qui l’a sans doute dit à la Maison-Blanche, plus tôt cet été. Le bureau de Kyrsten Sinema a publié une déclaration similaire, confirmant qu’elle aussi avait donné une déclaration d’opposition détaillée à Schumer et Biden il y a plus de deux mois, «y compris les chiffres en dollars».

Ces révélations démontrent le cynisme total de l’ensemble de la direction démocrate. Ils ont proclamé leur détermination à faire passer une loi de 3500 milliards de dollars, et ont utilisé Bernie Sanders, désormais président de la commission du budget du Sénat, et divers «progressistes» de la Chambre pour donner un visage «de gauche» aux manœuvres de Biden, Schumer et Pelosi. Et pendant tout ce temps, ils étaient bien conscients que Manchin et Sinema torpilleraient le projet de loi.

De plus, lorsque Pelosi a conclu un accord avec le House Progressive Caucus pour programmer un vote sur le projet de loi bipartisan sur les infrastructures «en tandem» avec le projet de loi de réconciliation, elle savait sans doute déjà que les deux sénateurs de droite bloqueraient le projet de loi de réconciliation et que la promesse ne serait pas tenue.

Que le projet de loi sur l’infrastructure soit finalement adopté ou non, le projet de loi de réconciliation, beaucoup plus important, est quasiment mort. Les «progressistes» du parti démocrate joueront, une fois de plus, le rôle qu’on leur a assigné tandis que Pelosi & Cie exprimeront leurs regrets. C’est le processus qui est en cours.

(Article paru en anglais le 1er octobre 2021)

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