Conférence du Parti travailliste: les partisans de Blair se déchaînent grâce à Corbyn

Chasse aux sorcières, police armée partout, hymnes à la gloire de Tony Blair, rhétorique de la Loi et de l’Ordre et militarisme. Telle était la conférence du Parti travailliste de cette année.

C’était une direction en guerre contre ses propres membres, alors qu’elle se dirige vers la droite et s’en prend impitoyablement à toute opposition.

Le leader du Parti travailliste britannique, Sir Keir Starmer, prononce son discours d’ouverture lors de la conférence annuelle du parti à Brighton, en Angleterre, mercredi 29 septembre 2021 (AP Photo/Alastair Grant).

Le leader du Parti travailliste, Sir Keir Starmer, avait pour instruction de la part de la grande entreprise et de leurs médias de prouver que tant le fantôme de son prédécesseur Jeremy Corbyn qu’une quelconque suggestion de virage à gauche étaient enfin exorcisés. Il n’a pas déçu ses maîtres.

La conférence a commencé par des changements dans le règlement du parti afin d’éviter qu’un candidat de gauche puisse jamais se présenter à un vote de leadership.

Les réformes de Starmer signifient que toute personne souhaitant se présenter à la direction du parti doit d’abord obtenir le soutien de 20 pour cent des députés travaillistes, au lieu des 10 pour cent actuels. Ce veto des parlementaires n’était guère nécessaire vu l’absence en nombre significatif de députés étant, même nominalement, «de gauche» – Corbyn n’avait pu se présenter au scrutin en 2015 que parce que certains députés travaillistes avaient jugé bon de mettre une gauche symbolique dans la course pour remplacer Ed Miliband. Mais il s’agissait manifestement de verrouiller une porte déjà fermée. La motion a été adoptée contre une opposition majoritaire des membres grâce au vote en bloc du syndicat Unison, le plus grand de Grande-Bretagne, avec 53,7 pour cent de votes favorables en tout.

Ce jour-là, le ministre de la Sécurité ‘fantôme’, Conor McGinn, a déclaré que les personnes ayant rejoint le parti pour soutenir la poussée à gauche nominale de Corbyn – 300.000 personnes, soit la majorité écrasante des membres du parti – avaient été «mal orientées, ou induites en erreur» par d’autres, même si certaines n’étaient «pas irrécupérables».

Le processus de désélection des députés travaillistes a également été rendu plus difficile, et le droit de voter aux élections pour le leadership a été refusé aux «supporters enregistrés».

On a aussi fait des changements au processus disciplinaire du Parti travailliste dans le but déclaré d’accélérer la chasse aux sorcières contre les membres sous de fausses accusations d’antisémitisme, pour s’être opposés à la répression des Palestiniens par Israël. Des sources travaillistes ont déclaré au Times que «la défense du parti contre les actions en justice liées à l’antisémitisme» avait coûté environ 2 millions de livres sterling, «avec un million de livres sterling supplémentaires dépensées pour répondre à un arriéré de plaintes».

Le lendemain, la conférence a adopté à une écrasante majorité une motion qui appelle à des sanctions contre Israël, rapidement désavouée par la secrétaire d’État fantôme aux Affaires étrangères, Lisa Nandy. Elle a clairement indiqué que cette position ne deviendrait jamais la politique du parti. Il en est allé de même pour la motion d’urgence décrivant la formation du pacte militaire AUKUS avec les États-Unis et l’Australie comme une «décision dangereuse qui allait compromettre la paix mondiale», adoptée à 70,35 pour cent (contre 29,65). Même sort pour les scrutins en faveur d’une propriété publique des entreprises énergétiques, d’un salaire minimum horaire de 15 livres ou de tout ce qui contredisait l’agenda pro-business et pro-impérialiste du Labour.

La retransmission en direct du débat sur la Palestine à la conférence a été coupée. Ce jour-là, Louise Ellman, l’éminente sioniste ayant quitté son poste de députée en 2019 pour activer la chasse aux sorcières contre l’antisémitisme, a annoncé qu’elle était revenue après le vote de dimanche pour vla mise en place d’un processus indépendant de traitement des plaintes pour racisme.

Ellman, qui a affirmé que l’antisémitisme était devenu «courant dominant» au Parti travailliste sous Corbyn, a fait l’éloge de Starmer comme quelqu’un en qui «les Juifs de Grande-Bretagne peuvent avoir confiance.» Le chef de la Fédération de la police, John Apter, s’est joint à elle pour assister à la conférence.

En revanche, au moins 20 délégués ont été exclus pour appartenance présumée à des groupes récemment proscrits, Socialist Appeal, Labour in Exile Network, Labour Against the Witchhunt (Travaillistes contre la chasse aux sorcières) et Resist. Les exclusions ont également conduit à la désaffiliation du Labour du petit syndicat Bakers, Food and Allied Workers Union, qui compte 17.000 membres. Son président, Ian Hodson, a été exclu du parti pour liens présumés avec des groupes proscrits, visé aussi par des accusations bidon d’antisémitisme pour avoir souligné que le Mouvement travailliste juif sioniste collaborait avec l’ambassade d’Israël pour saper le leadership de Corbyn.

Suite à la conférence, les travaillistes ont annoncé que certains de ceux qui avaient chahuté Starmer pendant son discours risquaient également la suspension. Sa risible performance apportait une conclusion appropriée à la débâcle de cette conférence.

Pendant qu’il parlait, des policiers armés s’étaient positionnés dans les allées de la conférence de façon à intimider. Des parties de la salle ont été fermées et des visiteurs supplémentaires amenés par bus pour donner l’illusion d’un soutien populaire.

Starmer a commencé par souhaiter «bienvenue à la maison» à Ellman. Puis il se lança dans ses habituelles homélies banales expliquant comment ses «humbles» débuts dans la classe ouvrière avaient en quelque sorte contribué à façonner sa politique de droite. Il promit sans ambiguïté que le Parti travailliste était «de retour aux affaires» en tant que parti potentiel de gouvernement pour la classe dirigeante britannique.

Ciblant Corbyn, il a déclaré: «Aux électeurs qui pensaient que nous n’étions pas patriotiques ou irresponsables ou que nous les méprisions, je dis ces mots simples mais forts. Nous n’irons jamais, sous ma direction, à une élection avec un manifeste qui n’est pas un plan sérieux de gouvernement».

Les travaillistes avaient «mis de l’ordre dans leur maison cette semaine», a-t-il ajouté, avant de souligner que ses références étaient «le grand honneur de devenir le procureur général de ce pays, à la tête d’une grande organisation: le Crown Prosecution Service. Trois mots très importants».

Starmer ne supporterait ni les «2 millions d’incidents de comportement anti-social cette année» ni les crimes au couteau, les crimes non résolus et la perte de 8.000 agents de police sous les conservateurs.

Ses plans nébuleux pour le National Health Service n’étaient qu’un préambule à sa promesse de travailler avec les industries pharmaceutiques, des matériaux, de la défense, de l’ingénierie chimique, des biens de consommation, de la technologie environnementale, des transports et de la biotechnologie dans le cadre du «programme travailliste “Acheter, fabriquer, vendre en Grande-Bretagne”… les bonnes entreprises et les bons gouvernements sont des partenaires».

Toutes les dépenses publiques allaient être «contrôlées par un Bureau de la valeur de l’argent… Il n’y aura pas de promesses que nous ne pourrons tenir ou d’engagements que nous ne pourrons pas payer». Pour faire bonne mesure, le programme travailliste de «nivellement par le haut» serait calqué sur le bilan de Tony Blair. «Vous voulez du nivellement par le haut? C’est ça le nivellement par le haut.»

«Dans ce parti, nous sommes des patriotes», a déclaré Starmer.» En ce qui concernait «nos militaires», il a déclaré «le Parti travailliste est le parti de l’OTAN» et ferait « ce qu’il faut pour les citoyens de la Grande-Bretagne qui servent dans nos forces armées».

La réponse des blairistes à la conférence fut l’extase.

L’ancienne députée sioniste Ruth Smeeth a déclaré, sous une ovation des secteurs attendus: «Aujourd’hui, nous devons envoyer un message aux vils racistes et aux brutes qui ont pensé que notre parti pouvait devenir un lieu de haine des juifs».

Le secrétaire fantôme à la Défense, John Healey, a déclaré: «Ce sont les travaillistes qui ont créé l’OTAN et la dissuasion nucléaire. Avec le Parti travailliste et Keir Starmer, le pays obtiendra le leadership nécessaire pour forger un nouveau et puissant rôle pour la Grande-Bretagne dans le monde. Nous insisterons sur le fait que le Royaume-Uni doit dire aux États-Unis qu’ils sont notre allié le plus essentiel, pour renforcer le leadership de la Grande-Bretagne au sein de l’OTAN».

Dans le journal «i», Ian Dunt se réjouit: «C'était une attaque en règle contre le corbynisme: un engagement à lutter contre la criminalité, à célébrer le patriotisme, à donner la priorité à la défense et à adopter le bilan du New Labour. Toutes les choses qui avaient éloigné les électeurs du Labour ont été abordées tour à tour. C'était comme si nous assistions à l'enterrement du corbynisme».

Mais pour quiconque vivant en dehors de la bulle politique où opèrent les travaillistes, informés uniquement par l’opinion de ceux qui pensent comme eux et par des médias droitiers, il est de plus en plus évident que c’est le Parti travailliste qui est enterré, et pas seulement le «corbynisme».

Le député Wes Streeting, présenté dans certains milieux comme un futur chef du parti, s’est vanté de mener le combat à «gauche». Mais la «victoire» des blairites n’a été rendue possible que par le refus délibéré des corbynistes de les combattre en quoi que ce soit. Capitulant sur chaque question politique, y compris l’adhésion à l’OTAN, le Trident et la guerre contre la Syrie, Corbyn et ses alliés se sont opposés à tous les efforts visant à chasser les blairistes et ont permis que leurs propres partisans soient chassés à leur place.

Sans la feuille de vigne apportée par Corbyn, le décor est planté pour une confrontation directe entre la bureaucratie travailliste et syndicale et la classe ouvrière, dont celle-là ne se remettra jamais.

Corbyn, qui s’est vu retirer le ‘fouet’ travailliste par Starmer, était bien sûr toujours occupé à faire la tournée des réunions en marge de la conférence, comme celle de « Momentum’s The World Transformed », où il a été rejoint par une partie de sa coterie et ses fans les moins critiques parmi les tendances de la pseudo-gauche. Mais il n’avait rien à dire. Dans un article d’opinion paru le 28 septembre dans le journal «i», il a décrit la conférence du parti comme «un moment où notre mouvement doit se rassembler». Sa seule référence oblique à Starmer et Cie a été d’écrire: «Jusqu’à présent, cette semaine, les dirigeants du Parti travailliste ont montré qu’ils voulaient soutenir, et non défier, cette richesse et ce pouvoir».

L’allié le plus éminent de Corbyn, l’ancien chancelier fantôme John McDonnell, a marqué le début de la conférence par un conseil à Starmer dans le Guardian.

Célébrant sa détermination et celle de Corbyn à ne pas faire de vagues, il a rappelé: «Lorsque Jeremy Corbyn et moi-même nous sommes retirés des postes de direction du Parti travailliste, nous avons convenu que Keir Starmer ne devait pas être traité comme nous l’avons été par certains députés travaillistes, faisant tout ce qu’ils pouvaient pour nous saper». Il a conseillé à Starmer de ne pas «s’aventurer à attiser les conflits internes» alors qu’il «devrait présenter les arguments en faveur d’un changement radical» à la tête d’un parti uni.

Rien de ce que fait Starmer ne remettra en question la loyauté servile de Corbyn et compagnie envers la bureaucratie travailliste et syndicale, dont ils font partie intégrante. C'était la leçon centrale des cinq années de Corbyn à la tête du parti, qui ont réfuté de manière décisive les affirmations des groupes de la pseudo-gauche qu’il pouvait mener une transformation progressiste de ce parti.

La destruction de ce mensonge a obligé le le Socialist Party (SP) et le Socialist Workers Party (SWP) à changer d’approche rhétorique.

Le Socialist Party (SP) est revenu à sa position d’avant Corbyn, qui consistait à appeler les syndicats à «se battre pour un nouveau parti des travailleurs», tout en décrivant le «corbynisme» comme une «menace» pour les «défenseurs du capitalisme». Il continue à travailler avec la direction du «syndicat ferroviaire RMT et d’autres membres de la Coalition syndicaliste et socialiste pour prendre des mesures dans ce sens» – de petites mesures qui ne parviendront jamais à la destination déclarée du SP.

Le Socialist Worker du SWP commenta: «La question pour la gauche travailliste est de savoir si c’est un parti dans lequel elle veut rester». En novembre dernier, Charlie Kimber écrivait: «Nous avons besoin d’un parti qui donne la priorité à la lutte et qui considère que les rues et les lieux de travail sont plus importants que les élections», mais ne parlait que de participation à divers mouvements de protestation comme base pour construire «une politique fondée sur la lutte et le socialisme révolutionnaire pour changer l’ensemble du système».

Leur changement rhétorique a toutefois une signification plus large. L’adoption de Corbyn par la pseudo-gauche était une tentative désespérée de renforcer l’emprise de la bureaucratie travailliste et syndicale sur la classe ouvrière. Il faisait partie d’une série de figures similaires présentées sans relâche comme représentant d’une alternative de «gauche large» à la construction d’une véritable direction socialiste dans la classe ouvrière.

Kimber présente maintenant cela comme le catalogue de désastres que cela s’est avéré être.

«C’était certainement extraordinaire lorsque Corbyn, si récemment leader, a été expulsé», écrit-il. «La plupart de la gauche travailliste va maintenant rester dans le parti et faire pression pour la réintégration de Corbyn», mais il y avait «quelques discussions sur une rupture du Parti travailliste, peut-être basée sur certains conseillers municipaux et responsables syndicaux.» Si «ces propos doivent se transformer en réalité», selon Kimber, «ce ne sera pas une solution de mettre en place un Parti travailliste 2.0, le même animal dans des vêtements différents».

Podemos, formé en Espagne en 2014, avait «connu un énorme succès» mais siégeait « maintenant dans un gouvernement avec le parti social-démocrate de droite PSOE» administrant «une stratégie désastreuse de coronavirus où les profits passent avant les gens.» En Grèce, Alexis Tsipras de Syriza avait mis en œuvre «un cycle d’austérité pire que ceux imposés par ses prédécesseurs de droite».

«Aux États-Unis, beaucoup d’espoirs ont été placés en Bernie Sanders. Mais, en travaillant à l’intérieur du Parti démocrate, il a fini par servir de façade au néo-libéral Joe Biden.»

On ne croirait jamais que le SWP et d’autres ont renforcé la crédibilité politique de chacun de ces faillis politiques. Ils prennent tardivement leurs distances avec Corbyn, Tsipras, Sanders et leurs semblables parce que de nombreux travailleurs et jeunes ont déjà conclu qu’ils ne valaient rien.

Aujourd’hui, leurs rêveries sur d’éventuelles scissions de «gauche» du Parti travailliste ne font que désarmer la classe ouvrière face aux dangers auxquels elle est confrontée du fait d’une alliance de fait entre le gouvernement conservateur et le Parti travailliste de Starmer. Une alliance qui met en œuvre une politique pandémique d’infection, de maladie et de mort de masse délibérée, et d’intensification des tensions avec la Chine et la Russie.

Le Parti de l’égalité socialiste (SEP) a été le seul à s’opposer systématiquement à la tentative concertée de subordonner la classe ouvrière à Corbyn et aux autres défenseurs «de gauche» du capitalisme. Nous avons avancé une critique basée sur une compréhension historiquement fondée du travaillisme social-démocrate, du stalinisme et des groupes de la pseudo-gauche qui servent de dernière ligne de défense pour une domination de la classe ouvrière par la bureaucratie travailliste et syndicale. Il est essentiel que ce bilan, documenté sur le «World Socialist Web Site», soit soigneusement étudié, assimilé et mis en pratique à travers la construction du SEP comme la direction véritablement révolutionnaire, socialiste et internationaliste dont les travailleurs ont besoin.

(Article paru d’abord en anglais le 2 octobre 2021)

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