Des démocrates de droite imposent des coupes dans la politique sociale de Biden

Le gouvernement Biden a répondu à la pression d’une minorité droitière parmi les démocrates de la Chambre et du Sénat en réduisant presque de moitié l’augmentation des dépenses sociales proposée.

Biden a annoncé la nouvelle lors d’une réunion à huis clos du groupe parlementaire démocrate de la Chambre des représentants, vendredi après-midi. Il a déclaré que le coût global du projet de loi de réconciliation passerait des 3.500 milliards de dollars proposés par la Maison-Blanche, à un montant compris entre 1.900 et 2.300 milliards de dollars. Cela était bien plus proche du plafond de 1.500 milliards de dollars défendu par le sénateur démocrate de Virginie-Occidentale Joe Manchin.

Manchin et la sénatrice démocrate de l’Arizona, Kyrsten Sinema, se sont opposés à l’adoption de la loi sur les dépenses sociales par le biais de la procédure de réconciliation, qui permet aux démocrates de contourner l’obstruction des républicains dans un Sénat très divisé. Cette procédure ne peut être utilisée que pour un projet de loi sur les dépenses, et une seule fois par année fiscale.

La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi (D-Calif.), marche au au Capitole àà Washington, le mercredi 29 septembre 2021. (AP Photo/J. Scott Applewhite)

Le House Progressive Caucus, qui comprend près de la moitié des 220 démocrates de la Chambre des représentants, a bloqué l’adoption du projet de loi bipartite sur les infrastructures, approuvé en août par le Sénat, jusqu’à ce que les deux démocrates de droite du Sénat parviennent à un accord avec la Maison-Blanche sur l‘ensemble des mesures de réconciliation.

Leur opposition a contraint la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, à repousser au 1er octobre, puis au 31 octobre, le vote prévu le 27 septembre sur le projet de loi sur les infrastructures, convenu avec une autre petite faction de démocrates de droite de la Chambre, une décision qu’elle a annoncée samedi dans une lettre rendue publique le même jour.

Biden s’est rendu en personne au Capitole, sa première visite depuis son discours télévisé national d’avril dernier, pour discuter de l’impasse avec le groupe parlementaire démocrate. Il a apporté quelque chose aux deux fractions: une concession de façade sur la procédure pour les «progressistes» et une victoire quasi totale sur le fond pour la droite.

Biden a approuvé le report du vote sur l’infrastructure par Pelosi, malgré la grogne de certains membres de droite de la Chambre. Il a expliqué qu’il était nécessaire de trouver un accord avec Manchin et Sinema sur le projet de loi de réconciliation afin que les deux textes de loi puissent être adoptés «en tandem». Mais il a fait beaucoup plus de concessions à Manchin sur le fond, en lui donnant un droit de veto effectif sur le chiffre maximal des dépenses.

Cette capitulation devant une petite minorité — deux démocrates sur 50 au Sénat, huit sur 220 à la Chambre — ne peut s’expliquer par l’arithmétique parlementaire dans un Congrès étroitement divisé. Le pouvoir de Manchin, Sinema et de leurs homologues de la Chambre s’explique par le fait qu’ils ont exprimé très clairement les exigences de la grande entreprise américaine. Notamment en s‘opposant aux augmentations d’impôts sur les riches et les grandes entreprises, ainsi qu’à toute extension significative du filet de sécurité sociale.

La décision de la Maison-Blanche d’accepter un chiffre beaucoup plus bas pour le projet de loi sur les dépenses sociales lance maintenant une compétition de type ‘Hunger Games’ entre les différents programmes sociaux qui faisaient partie du projet de loi de réconciliation: rendre permanent le crédit d’impôt pour les enfants; ajouter les soins de la vue, de l’ouïe et des dents à Medicare; étendre Medicaid dans les États où les gouverneurs républicains l’ont bloqué; fournir des soins de santé à domicile rémunérés pour les personnes âgées; étendre la loi «Head Start» par le biais d’une pré-maternelle universelle pour les enfants de trois et quatre ans; une semaine de congé familial et médical payé; lancer une politique de gratuité des frais de scolarité pour les collèges communautaires; et des dépenses pour un certain nombre de programmes de lutte contre le changement climatique.

La Maison-Blanche et les démocrates du Congrès débattent actuellement de la question de savoir si on doit financer intégralement certains de ces programmes et en supprimer d’autres, ou financer certains des programmes pendant une période inférieure aux dix années complètes prévues dans le projet de loi initial, ou encore combiner ces deux méthodes. Manchin a proposé de mettre certains programmes sous condition de ressources, bien qu’on ne l’envisage pas actuellement.

«L’ensemble du rétrécissement du gâteau oppose les bénéficiaires de Medicare aux familles pauvres, aux travailleurs à domicile et aux victimes du changement climatique», a déclaré Faiz Shakir, ancien directeur de campagne de Bernie Sanders, au Washington Post. «Cela oblige la classe ouvrière américaine à se battre pour les miettes».

L'ancien patron de Shakir s'est toutefois montré enthousiaste pour l'intervention de Biden et l'a louée aux cieux lors de plusieurs apparitions dans les émissions d'interview télévisées dominicales. Interviewé dans l'émission 'Meet the Press' sur NBC en sa qualité de président de la Commission du budgétaire du Sénat, le sénateur Sanders a déclaré qu'il ne pensait pas que Biden avait donné un chiffre précis dans ses remarques aux démocrates de la Chambre.

«Ce qu’il a dit, c’est qu’on devait faire des concessions des deux côtés», a déclaré Sanders. «Je ne suis pas sûre qu’il ait avancé un chiffre précis. Mais ce que le président a également dit, et ce que nous disons tous, c’est que le moment est peut-être venu pour nous de tenir tête aux puissants intérêts spéciaux qui dépensent actuellement des centaines de millions de dollars pour nous empêcher de faire ce que le peuple américain veut.»

Lors de l’émission «Cette semaine» sur ABC, Sanders a déclaré: «Trois mille cinq cent milliards de dollars devraient être un minimum, mais j’accepte qu’il y ait des concessions à faire». Il a ensuite rendu un hommage extraordinaire à la direction démocrate, dirigée par Biden: «Nous ne nous attaquons pas seulement aux sénateurs Manchin ou Sinema, ou ne nous occupons pas seulement d’eux. Nous nous attaquons à l’ensemble de la classe dirigeante de ce pays. À l’heure actuelle, les compagnies pharmaceutiques, les compagnies d’assurance santé, l’industrie des combustibles fossiles dépensent des centaines et des centaines de millions de dollars pour nous empêcher de faire ce que le peuple américain veut. Et c’est vraiment un test pour savoir si la démocratie américaine peut fonctionner ou non».

On pourrait croire que le drapeau rouge flotte sur la Maison-Blanche! Joe Biden a été sénateur à six mandats qui a protégé les intérêts de l’industrie des cartes de crédit et des sociétés-écrans ayant leur siège dans le Delaware, tandis que le leader démocrate du Sénat, Chuck Schumer, est connu depuis longtemps comme le «sénateur de Wall Street» pour ses liens étroits avec la bourse et les grandes banques. Affirmer qu’ils «s’attaquent à l’ensemble de la classe dirigeante», c’est mentir sans scrupule ni remords.

L’ancien co-président de la campagne électorale de Sanders, le député Ro Khanna de Californie, s’est montré tout aussi enthousiaste à l’égard de Biden. Lors de son passage sur Fox News Sunday, il a déclaré qu’il comptait sur la Maison-Blanche pour déterminer quelles propositions de politique sociale survivraient à une réduction de trois mille cinq cent milliards de dollars à 2 mille milliards de dollars, voire moins. «En fin de compte, le président est un honnête courtier», a-t-il déclaré. «Il va réunir toutes les parties prenantes. Et je fais confiance à son jugement pour obtenir un compromis».

Lorsqu’on lui a demandé si le fait de bloquer le projet de loi sur l’infrastructure constituait une opposition à la Maison-Blanche, il a répondu: «Je n’aurais pas contredit la vision du président. Ce que j’ai dit — et ce que la plupart des progressistes ont dit — c’est que nous voulons faire ce que le président veut».

La démonstration la plus abjecte est peut-être est venue de la représentante Alexandria Ocasio-Cortez, membre des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA). Elle a déclaré à CBS que les démocrates commençaient déjà à faire le tri pour mettre en œuvre les réductions des dépenses sociales proposées nécessaires pour répondre aux demandes des sénateurs Manchin et Sinema. «Je pense qu’il est malheureux que nous devions faire des compromis avec nous-mêmes pour un programme ambitieux pour les travailleurs», a-t-elle déclaré. Puis, elle a exhorté les gens à «tendre la main à leurs élus pour leur faire savoir quels programmes ils voulaient voir être maintenus de façon sûre».

Interrogée sur sa déclaration de l’année dernière selon laquelle, dans n’importe quel autre pays, elle et Biden seraient dans des partis différents, elle a répondu: «Je pense que le président Biden a été un partenaire de bonne foi pour l’ensemble du Parti démocrate. En fait c‘est un modéré et nous ne sommes pas d’accord sur certaines questions. Mais il tend la main et essaie de comprendre notre point de vue, et c’est pourquoi je me bats pour son programme avec la loi “Reconstruire en mieux”».

Le mépris avec lequel les vrais pouvoirs du Parti démocrate considèrent leurs collègues de gauche a été exprimé dans un autre commentaire sur «Rencontre la presse», par Jeh Johnson, ancien secrétaire du Département de la sécurité intérieure dans le gouvernement Obama, l’exécuteur des déportations massives et des politiques de contre-terrorisme.

L’animateur Chuck Todd l’a interrogé à propos du titre sur la crise du Parti démocrate dans l’édition dominicale du New York Times, «Biden se rallie à la gauche, laissant planer le doute sur son programme». Johnson a rejeté l’affirmation du journal que Biden se rangeait du côté des progressistes. «N’oublions pas que le projet de loi que les progressistes réclament est celui de Biden», a-t-il déclaré. «C’est son programme national».

Et Johnson a poursuivi: «Ce n’est pas comme s’il s’agissait d’un projet de loi socialiste exalté d’extrême gauche. Il s’agit du programme national “Reconstruire en mieux” de Joe Biden. Et les progressistes sont ses porteurs d‘eau au Capitole et semblent le faire plutôt efficacement en ce moment».

Des porteurs d‘eau pour Biden et le Parti démocrate : une épitaphe politique appropriée pour Sanders, Ocasio-Cortez et leurs cheerleaders de la DSA et de la pseudo-gauche.

(Article paru d’abord en anglais le 4 octobre 2021)

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