Des dizaines de milliers de travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick votent pour la grève

Plus de 22.000 travailleurs du secteur public provincial du Nouveau-Brunswick affiliés au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) ont voté massivement en faveur de la grève. Employés dans les secteurs des soins de santé, de l’éducation, des services sociaux, des transports et autres, les travailleurs du gouvernement du Nouveau-Brunswick sont sans contrat depuis deux à quatre ans.

Il y a un vaste soutien et beaucoup de sympathie du public à l’égard des travailleurs faiblement rémunérés du secteur public du Nouveau-Brunswick. Treize marches en appui aux travailleurs de première ligne ont été organisées partout au Nouveau-Brunswick le 28 août. (Susan O’Donnell, NB Media Co-op)

Les totaux des votes des huit sections locales du SCFP qui ont publié leurs résultats jusqu’à présent montrent un soutien massif de la base pour la prise de moyens de pression. La dernière à publier ses résultats, la section locale 1252 du SCFP, a déclaré que ses 11.000 travailleurs de la santé et plus avaient voté à 94 % en faveur de la grève. Les deux autres sections locales du SCFP, qui représentent quelque 1.800 travailleurs dans les secteurs des métiers et de l’éducation, devraient publier les résultats de leur vote de grève plus tard cette semaine.

Le mouvement de grève parmi les travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick s’inscrit dans une vague de luttes à travers le Canada et à l’échelle internationale contre l’assaut que les grandes entreprises et les gouvernements de tous bords lancent depuis des décennies contre les salaires, les droits sociaux et les services publics des travailleurs. Cet assaut n’a fait que s’intensifier pendant la pandémie de la COVID-19.

Les problèmes communs aux travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick sont les salaires et les conditions de travail misérables. La province compte en effet les salaires médians les plus bas et les travailleurs du secteur public les plus mal payés au Canada. Des années de «restrictions» salariales – en fait des réductions de salaire pures et simples – ont forcé de nombreux employés du secteur public à accepter un deuxième emploi ou à quitter leur emploi et la province tout simplement. Le Nouveau-Brunswick est la province la plus pauvre du Canada, avec des taux de pauvreté infantile et d’insécurité alimentaire parmi les plus élevés du pays.

Les négociations contractuelles avec le gouvernement conservateur de la province ont échoué au début du mois de septembre, lorsque le premier ministre Blaine Higgs a rejeté avec arrogance la demande du SCFP d’un modeste «rattrapage salarial» – des augmentations salariales annuelles de 5 % pendant quatre ans – en la qualifiant de «non réaliste». L’offre la plus récente de son gouvernement d’un contrat de six ans contenant des augmentations salariales de 1,25 % par an pendant quatre ans, puis de 2 % les cinquième et sixième années est loin de correspondre au taux d’inflation du Canada qui, en août, s’élevait à 4,1 % annuellement, son niveau le plus élevé en près de deux décennies. La maigre offre salariale du gouvernement s’accompagne de reculs supplémentaires. Parmi ceux-ci, la conversion des régimes de retraite des travailleurs au système réactionnaire du «modèle à risque partagé» que Higgs a introduit pour de nombreux employés provinciaux en 2013-2014, lorsqu’il était ministre des Finances du Nouveau-Brunswick. Dans le cadre de ce modèle, les travailleurs sont obligés de verser des cotisations plus importantes à leur régime de retraite et doivent en assumer le coût sous la forme de prestations plus faibles si les investissements dans les régimes de retraite tournent au vinaigre.

Comme ses homologues politiques d’ailleurs, Higgs supervise une politique criminelle d’infection et de mort massives pendant la pandémie. Son gouvernement a systématiquement refusé d’imposer des restrictions à l’activité économique pouvant affecter le portefeuille des riches, quel qu’en soit le coût en vies humaines.

En février, alors que la troisième vague de la pandémie était sur le point de déferler sur le pays, Higgs a clairement indiqué que les intérêts des sociétés continueraient d’être privilégiés par rapport aux mesures de santé publique les plus élémentaires. Lors de son discours annuel sur l’état de la province, il a déclaré: «Qui aurait cru qu’en pleine pandémie mondiale, je parlerais de plus de 200 millions de dollars en nouveaux projets d’investissements privés?»

Puis, à la fin du mois de juillet, ignorant les avertissements des experts en maladies infectieuses, son gouvernement a abandonné prématurément toutes ses restrictions relatives à la COVID-1: la première province des Maritimes à le faire. Il a fait la promotion de l’affirmation manifestement fausse selon laquelle la réouverture anticipée de la province de l’Alberta dans l’Ouest était un succès. En fait, l’Alberta compte maintenant quatre fois plus de cas par habitant que le reste du Canada, son système de soins de santé est au bord de l’effondrement et le triage, c’est-à-dire le processus consistant à refuser les soins aux patients atteints de la COVID-19 qui ont le moins de chances de survivre, a commencé.

Depuis la levée de toutes les restrictions, le Nouveau-Brunswick a connu une recrudescence des infections dues au variant Delta, hautement infectieux. Au cours des deux derniers mois seulement, le nombre total d’infections dans la province a augmenté de 75 % pour l’ensemble de la pandémie. Samedi, les autorités sanitaires ont fait état de 140 nouvelles infections et de 764 cas actifs pour une seule journée, ainsi que de quatre nouveaux décès, dont celui d’un pompier de 39 ans.

Au beau milieu de cette quatrième vague de la pandémie, au moins 854 postes d’infirmières restent vacants dans la province, et certains hôpitaux connaissent une pénurie de personnel infirmier de 50 %, ce qui oblige certaines salles d’urgence à fermer temporairement. Pendant ce temps, une explosion des cas et des niveaux de dotation négligemment bas dans les maisons de soins infirmiers de la province ont forcé un responsable syndical à proclamer de façon rhétorique un «état de crise».

La situation est si grave que la province a été contrainte, le 24 septembre, de réimposer l’état d’urgence. Le gouvernement a rétabli quelques demi-mesures symboliques, comme l’obligation de porter un masque dans les lieux publics intérieurs, et a admis qu’il avait eu tort de lever toutes les ordonnances de protection sanitaire à la fin du mois de juillet, mais les écoles et les entreprises non essentielles restent ouvertes.

Alors que les travailleurs sont confrontés à cette catastrophe sociale tous azimuts, les milliardaires les plus riches de la province se sont encore enrichis. Entre avril et octobre de cette année, la fortune de James Irving, propriétaire du conglomérat JD Irving, a augmenté de 35 %, passant de 6 à 8,1 milliards de dollars, tandis que celle d’Arthur Irving, propriétaire d’Irving Oil, est passée de 3,3 à 4,4 milliards de dollars.

Le vote de grève des travailleurs du secteur public du SCFP au Nouveau-Brunswick fait suite à une vague de luttes militantes des travailleurs dans la province et dans tout le pays, notamment des grèves qui ont duré plusieurs mois, telles celles des mineurs de Vale à Sudbury, en Ontario, des travailleurs des alumineries de Rio Tinto à Kitimat, en Colombie-Britannique, et des travailleurs des abattoirs d’Olymel à Vallée-Jonction, au Québec.

En août, 6.000 infirmières praticiennes ont rejeté un accord chargé de reculs négocié par le Syndicat des infirmières du Nouveau-Brunswick et le gouvernement provincial. Ce vote était en rébellion contre le syndicat, ce dernier ayant salué l’accord de principe conclu en juillet comme «un pas dans la bonne direction». Bien qu’il ait décrit le vote de rejet comme «écrasant», le syndicat a refusé de divulguer le pourcentage des votes. Le 17 septembre, les infirmières ont organisé des rassemblements dans toute la province pour protester contre leurs conditions de travail exténuantes et la détérioration de la qualité des soins qu’elles peuvent fournir, en raison du stress, de l’épuisement, des pénuries de personnel et des ressources limitées.

Les syndicats font de leur mieux pour contenir et étouffer l’opposition des travailleurs aux bas salaires, aux services publics délabrés et à la priorité accordée par le gouvernement aux profits plutôt qu’aux vies pendant la pandémie. Si les travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick ont travaillé pendant des années sans contrat, c’est parce que le SCFP a cherché désespérément à empêcher un affrontement avec le gouvernement Higgs et sa campagne d’austérité et à maintenir les travailleurs enchaînés dans le système de relations de travail clairement biaisé pro-employeur.

Bien que Higgs ait annoncé sans ambages en décembre dernier que le gel des salaires que son gouvernement avait imposé aux travailleurs non syndiqués du secteur public servirait de modèle pour les nouveaux contrats avec le SCFP, le syndicat a attendu plus de huit mois avant même de convoquer des votes de grève. Il n’a pas non plus émis d’avertissement ni ne s’est préparé à résister aux «plans d’urgence» de la province en cas de grève, c’est-à-dire à son intention d’utiliser une loi spéciale de retour au travail pour criminaliser les actions des travailleurs.

Même maintenant, après que les membres aient voté de façon si décisive en faveur de la grève, le SCFP a fait savoir qu’il avait l’intention de tenir les travailleurs en laisse en limitant toute action syndicale à une campagne de «grève du zèle» ou tout au plus à des grèves tournantes. Son objectif est de gagner du temps pour se concerter avec la province sur la façon d’imposer un autre contrat au rabais.

Lorsqu’on lui a demandé ce que le syndicat prévoyait faire lorsque tous les votes de grève seraient confirmés, le président du SCFP Nouveau-Brunswick, Stephen Drost, a déclaré que les mesures d’intervention «commencent généralement par une grève du zèle. Ensuite, nous examinerons les faiblesses et les vulnérabilités de la province, de sorte qu’il pourrait y avoir différentes parties de la province (où) des mesures d’intervention seront prises».

Autrement dit, le syndicat n’a pas l’intention d’organiser une grève unifiée des 22.000 travailleurs, et encore moins de faire d’une grève des travailleurs du secteur public provincial le fer de lance d’une mobilisation plus vaste de la classe ouvrière pour défendre les services publics et faire échec au programme d’austérité des grandes entreprises et de leurs laquais politiques. Le syndicat a plutôt l’intention de continuer à faire traîner le conflit, en épuisant le militantisme des travailleurs par des grèves tournantes impuissantes et des appels futiles à Higgs pour qu’il «voie clair», alors même que le gouvernement se prépare à la confrontation, y compris, si nécessaire, en interdisant tout moyen de pression au travail.

La détermination de Drost et de la bureaucratie du SCFP à démobiliser les travailleurs du secteur public est conforme au rôle que le «plus grand syndicat du Canada» et ses homologues du secteur privé jouent depuis des décennies. En 2019, l’unité d’éducation du SCFP Ontario a conclu un accord de dernière minute avec le gouvernement progressiste-conservateur de la province qui comprenait des dizaines de millions de dollars de compressions et a torpillé l’opposition à la volonté du gouvernement d’imposer des réductions salariales en termes réels à 1 million de travailleurs du secteur public de l’Ontario en vertu de son projet de loi 124. Au Québec, le SCFP et le reste de la bureaucratie syndicale ont passé une grande partie de 2020 et 2021 à saboter systématiquement les luttes de plus d’un demi-million de travailleurs du secteur public contre les demandes de François Legault et de son gouvernement populiste de droite de la CAQ pour de nouveaux contrats au rabais.

Le rôle pourri des syndicats dans la crise sociale qui s’amplifie souligne une fois de plus l’urgente nécessité pour les travailleurs de prendre en main leurs luttes. Les services publics essentiels et les moyens de subsistance des travailleurs ne peuvent être défendus et améliorés qu’en mobilisant le pouvoir social de la classe ouvrière dans une lutte politique défiant non seulement le gouvernement Higgs au Nouveau-Brunswick, mais aussi l’élite dirigeante de tout le pays et tous ses représentants politiques, y compris le gouvernement libéral fédéral, qui n’est pas moins dévoué à imposer le programme d’austérité des grandes entreprises consistant à accroître l’exploitation des travailleurs au pays et l’agression impérialiste à l’étranger.

(Article paru en anglais le 5 octobre 2021)

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