Une provocation du BJP contre une manifestation d’agriculteurs indiens fait neuf morts

Quatre agriculteurs protestataires et un journaliste ont été tués dimanche dans l’État d’Uttar Pradesh (UP), dans le nord de l’Inde, après qu’un convoi de 4x4s les a délibérément percutés – dont l’un appartenait à un ministre du gouvernement BJP d’extrême droite de Narendra Modi.

Des ouvriers de Toyota et des agriculteurs du Karnataka organisent une procession commune à Bengaluru (Credit: WSWS)

Le conducteur de l’un des SUV et trois membres du BJP ont été tués lorsque des agriculteurs outrés par cette attaque les ont attaqués et battus à mort. Deux SUV ont également été incendiés.

L’altercation mortelle s’est produite près de Lakhimpur Kheri, sur la route Tikonia-Banbirpur, à environ 130 kilomètres de Lucknow, la capitale de l’État.

Selon les agriculteurs témoins de l’attaque, l’un des quatre agriculteurs a été abattu par le fils du ministre BJP Ajay Mishra, Ashish Mishra. Ce dernier affirme toutefois qu’il ne faisait pas partie du convoi.

Les agriculteurs tués – Gurwinder Singh, 19 ans, Lovepreet Singh, 20 ans, Daljeet Singh, 35 ans, et Nachattar Singh, 60 ans – faisaient partie d’une foule qui s’était rassemblée pour protester contre les lois agricoles pro-entreprises du BJP. Ajay Mishra, le député local, était une cible particulière de la protestation parce qu’il avait récemment fait des déclarations menaçantes visant l’agitation contre les lois de «réforme» agricole du BJP, qui dure maintenant depuis près d’un an.

Les 4x4 qui roulaient à vive allure ont également blessé 12 agriculteurs, et 50 autres ont subi des blessures, certaines graves, lorsque la police de l’Uttar Pradesh est intervenue avec sa sauvagerie habituelle.

L’attaque meurtrière de dimanche contre les agriculteurs a suscité un tollé dans toute l’Inde et la fureur dans le district de Lakhimpur Kheri. Le gouvernement de l’Uttar Pradesh (UP), dirigé par Yogi Adityanath, un proche allié de Modi, a mis le district sous le coup de la section 144 du code pénal indien, interdisant tout rassemblement de plus de quatre personnes. Il a également déployé des paramilitaires et, sans aucune annonce publique, a suspendu les services Internet et de téléphonie mobile de Lakhimpur Kheri. Les dirigeants de l’opposition ont tenté de se rendre dans la région pour parler aux agriculteurs, y compris Priyanka Gandhi du Parti du Congrès. Ils en ont été empêchés et furent placés en détention.

De telles tactiques – employées depuis longtemps par les gouvernements de l’Inde dans le Cachemire sous contrôle indien, que ce soit le Congrès ou le BJP qui les dirigent – sont de plus en plus utilisées pour supprimer l’opposition sociale dans toute l’Inde.

L’Association des journalistes de Lucknow a envoyé une lettre au gouvernement de l’UP pour demander une enquête judiciaire sur la mort du journaliste de la télévision locale, Raman Kashyap, et l’inculpation des responsables pour meurtre. Elle demande également une compensation financière pour sa famille. Les informations sont contradictoires quant à la façon dont Kashyap est mort. Selon certains témoignages, il a été battu à mort par des hommes de main du BJP pour avoir filmé les 4x4 en train de faucher délibérément les manifestants.

Selon les médias, le gouvernement BJP de l’Uttar Pradesh a annoncé une indemnisation de 4,5 millions de roupies (environ 61.000 dollars) pour les familles des agriculteurs décédés.

Les détails exacts de l’attaque ne sont pas clairs. Il ne fait cependant aucun doute qu’elle découle de l’atmosphère de plus en plus violente entretenue contre les agriculteurs protestataires par les gouvernements BJP, surtout de la part du gouvernement central et de celui de l’Uttar Pradesh, l’État le plus peuplé de l’Inde. Le ministre en chef Adityanath est un suprématiste hindou virulent qui bafoue régulièrement les droits démocratiques fondamentaux et déchaîne la violence d’État pour terroriser les opposants au gouvernement, les musulmans et les autres minorités.

Il a dénoncé les manifestations des agriculteurs, les qualifiant de «conspiration qui vise à déstabiliser le pays». Celles-ci ont galvanisé les agriculteurs face aux attaques du gouvernement, en particulier dans les États de l’Uttar Pradesh, de l’Haryana et du Pendjab, dans le nord de l’Inde et qui ont gagné la sympathie des travailleurs de toute l’Inde.

Dans un tweet, le ministre en chef de l’Uttar Pradesh a promis que les événements de dimanche feraient l’objet d’une «enquête approfondie et que l’implication d’éléments antisociaux… serait révélée». «Éléments antisociaux» est une expression qu’Adityanath et d’autres dirigeants du BJP utilisent souvent pour salir ceux qui s’opposent à leur programme pro-business et suprémaciste hindou.

Les proches des agriculteurs décédés et leurs partisans sont restés sur le site de l’attaque meurtrière de dimanche, avec les corps meurtris des victimes exposés, pendant une grande partie de la journée de lundi. Si le gouvernement de l’UP a mobilisé les forces de sécurité de l’État, il s’est finalement appuyé sur les dirigeants de la Bharatiya Kisan Union (BKU – Syndicat des paysans indiens) pour désamorcer la situation. Ceux-ci ont exhorté les agriculteurs à «maintenir la paix» et à ne pas descendre à Lakhimpur Kheri. Après avoir rencontré de hauts responsables de l’UP, le porte-parole du BKU, Rakesh Tikait, a convaincu les personnes présentes sur le lieu de l’attaque de se disperser. Il leur a dit qu’ils avaient remporté une grande «victoire», car des accusations de meurtre avaient été portées contre Ashish Mishra et le gouvernement de l’État avait accepté de nommer un juge d’État à la retraite pour enquêter sur les événements de dimanche.

Des accusations criminelles ont également été portées contre le ministre d'État Ajay Kumar Mishra. Ni Modi ni le ministre de l'intérieur Amit Shah n'ont fait de commentaires sur cette affaire, et encore moins demandé à Mishra de démissionner alors qu'il ait fait l'objet d'une enquête criminelle.

En septembre, Mishra a menacé les agriculteurs locaux lorsqu’ils ont déployé des drapeaux noirs lors d’une précédente apparition dans sa circonscription. «Réglez votre problème ou affrontez-moi», avait déclaré Mishra. «Je vous réglerai votre problème en quelques minutes». Se vantant de son passé de voyou, il a poursuivi. «Je ne suis pas seulement un ministre ou un MLA (membre de l’assemblée nationale) ou un député. Ceux qui m’ont connu avant que je devienne député sauront aussi que je ne recule jamais devant les défis».

Depuis fin novembre dernier, des dizaines de milliers d’agriculteurs campent aux abords de la capitale indienne, Delhi. Ils tentent de faire valoir leur revendication d’abrogation des trois lois agricoles pro-entreprises que le BJP a fait adopter à la hâte par le Parlement en septembre 2020. Le secteur agricole indien est en crise depuis au moins deux décennies, et de larges pans de la population rurale, tant les petits agriculteurs que les ouvriers agricoles, vivent dans une pauvreté extrême. Bien qu’environ la moitié du 1,39 milliard d’habitants du pays dépendent de l’agriculture pour leur subsistance, elle ne produit que 15 pour cent du PIB du pays, qui s’élève à 2,9 milliards de dollars.

La plus grande crainte du gouvernement est que l’agitation des agriculteurs s’entrecroise avec la colère populaire croissante suscitée par la gestion criminelle de la pandémie de COVID-19 par l’élite dirigeante indienne ; et qu’elle ne s’entrecroise avec une vague de luttes ouvrières contre les politiques pro-investisseurs du gouvernement BJP – austérité, privatisations, suppression des normes environnementales et du travail et promotion des emplois contractuels précaires.

L’attaque meurtrière de dimanche est révélatrice du fait que le gouvernement Modi et le BJP sont de plus en plus irrités et effrayés par l’opposition populaire croissante. À leur grand désarroi, ils ont échoué dans leurs tentatives d’épuiser les agriculteurs ou de provoquer une division significative dans leurs rangs en proposant des amendements symboliques aux trois projets de loi agricoles.

De plus en plus, Modi et son BJP cherchent à s’en sortir par la violence. Dans l’État de l’Haryana, l’un des foyers de l’agitation des agriculteurs, le gouvernement d’État du BJP, sous la direction du ministre en chef Manohar Lal Khattar, a ordonné à la police d’attaquer violemment une manifestation d’agriculteurs fin août. Un agriculteur de 55 ans, Sushil Kaja, est mort après avoir été sauvagement battu par la police et de nombreux agriculteurs ont été blessés.

Dans un récent discours vidéo adressé aux membres du BJP, Khattar les a exhortés à former des escadrons d’hommes de main armés de lathis (matraques en bois) et à parcourir l’État pour tabasser les agriculteurs qui manifestent. Il aurait déclaré: «Dans chaque district, en particulier dans les districts du nord et du nord-ouest, nous devrons constituer des groupes de 500 à 700 volontaires et ensuite les envoyer contre les agriculteurs.» Dans la vidéo, on entend le public des membres du BJP rire de cet appel ouvert à la violence.

Dès le départ, le gouvernement central du BJP et les gouvernements de l’UP et de l’Haryana ont cherché à réprimer l’agitation des agriculteurs. Ils ont réussi à empêcher les agriculteurs d’entrer à Delhi au début de leur agitation en novembre dernier. Mais, ils n’ont pas pu empêcher des centaines de milliers de personnes de se rendre aux abords de la ville. Alors que la manifestation s’étendait sur plusieurs semaines et devenait le point de ralliement d’une opposition populaire plus large, le gouvernement BJP était visiblement en crise. Fidèles à leurs instincts autoritaires, Modi et le ministre de l’Intérieur, Shah, ont préparé le terrain pour disperser violemment les agriculteurs protestataires, mobilisant des dizaines de milliers de forces de sécurité et organisant une campagne de propagande pour les dénoncer comme «anti-nationaux».

La Cour suprême a sanctionné une action antidémocratique et communautariste du gouvernement BJP après l’autre. Cependant, en raison de la crainte de larges sections de la classe dirigeante qu’une répression violente ne se retourne contre elle et serve à galvaniser la classe ouvrière pour qu’elle intervienne dans la crise politique croissante, la Cour a hésité à donner son feu vert aux plans du BJP, qui vise à supprimer les manifestations des agriculteurs en les déclarant «illégales». Plus tard, elle a cherché à fournir au gouvernement un mécanisme pour désamorcer la situation, en décidant que l’application des trois lois agricoles devait être suspendue pendant que les agriculteurs et le gouvernement négocieraient.

Mais à l’instar du BJP, et reflétant clairement la pression croissante de la grande entreprise pour une mise en œuvre plus rapide de ses politiques favorables aux investisseurs, l’attitude de la Cour suprême envers les agriculteurs se durcit. Lorsque les leaders de la protestation agricole ont récemment demandé à la Cour l’autorisation d’entrer dans la capitale pour organiser un rassemblement, un panel de ses juges a dénoncé l’agitation des agriculteurs. «Vous avez étranglé Delhi», a déclaré la Cour, «en organisant des sit-in sur les autoroutes… vous avez même bloqué les mouvements des forces armées et les avez raillés. Maintenant, vous voulez entrer dans la ville et créer le chaos?»

Lundi, quelques heures seulement après la violente provocation du BJP contre les agriculteurs de Lakhimpur Kheri, un autre tribunal de la Cour suprême a ouvertement remis en question la légitimité de leur agitation. Il a réprimandé les agriculteurs pour avoir organisé des manifestations alors que les lois agricoles étaient suspendues et pour avoir protesté tout en contestant la constitutionnalité des lois devant les tribunaux. «Lorsque les agriculteurs contestent les lois devant les tribunaux, pourquoi manifester dans la rue?» ont demandé les juges. De façon inquiétante, la plus haute cour de l’Inde a annoncé qu’elle se prononcerait le 20 octobre sur l’existence d’un droit «absolu» de manifester. En même temps, le tribunal a annoncé son intention de fournir au gouvernement une feuille de vigne juridique pour utiliser la violence d’État afin de mettre fin à l’agitation des agriculteurs.

(Article paru d’abord en anglais le 5 octobre 2021)

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