La crise d’Evergrande en Chine a de profondes implications

La crise touchant le promoteur immobilier chinois criblé de dettes Evergrande a disparu des «gros titres» – du moins pour le moment – mais ses implications pour l’économie chinoise apparaissent plus clairement.

Des hommes sur des motos électriques attendent des passagers près du siège d’Evergrande, au centre, à Shenzhen, en Chine, le vendredi 24 septembre 2021. Cherchant à dissiper les craintes de turbulences financières, certaines banques chinoises divulguent ce que le promoteur immobilier leur doit. Celui-ci se débat avec 310 milliards de dollars de dettes. Les banques affirment qu’elles peuvent faire face à un défaut de paiement potentiel. (AP Photo/Ng Han Guan)

La crise d’Evergrande a été déclenchée par la décision du gouvernement chinois, en août, de renforcer la réglementation sur l’accès au crédit – les «trois lignes rouges» – par crainte que l’accumulation de dettes, en particulier dans le secteur immobilier, ne crée les conditions d’une turbulence financière majeure.

Evergrande a été durement touché. L’afflux d’argent nécessaire au financement de son modèle économique s’est tari parce que loin de satisfaire aux nouvelles exigences. Mais les problèmes auxquels est confronté Evergrande, qui n’a pu honorer les paiements d’intérêts sur les prêts libellés en dollars, touchent l’ensemble du secteur immobilier.

Cette semaine, Bloomberg a publié une liste de 10 sociétés immobilières, à l’exclusion d’Evergrande et d’autres sociétés en défaut de paiement, qui font désormais face à des problèmes majeurs.

La première de la liste était Fantasia Holdings, basée à Shenzhen, qui opère dans toute la Chine, notamment dans la province du Guangdong et à Shanghai. Lundi, l’agence de notation Moody’s a encore abaissé la note de cette entreprise, invoquant «des risques de refinancement accrus en raison d’un accès plus difficile au financement et d’un montant important de dettes qui arrivent à échéance».

Une obligation en dollars arrivant à échéance en 2024 émise par cette société est tombée à 31 cents sur le dollar, contre 98 cents lors de son émission en mars. Le cours de son action sur le marché boursier de Hong Kong a plongé de 58 pour cent cette année et elle détient des liquidités et des équivalents de liquidités de 4,2 milliards de dollars par rapport à un passif de 12,9 milliards de dollars.

D’autres sociétés ont montré des tendances similaires, tout en n’étant pas aussi extrêmes.

Un exemple typique était China South City Holdings, basée à Hong Kong et ayant des projets à Shenzhen et Nanchang. S&P Global a revu ses perspectives pour la société à la baisse ce mois-ci, indiquant qu’elle pourrait avoir à «épuiser ses réserves de liquidités pour faire face à d’importantes échéances à l’étranger» et qu’elle «pourrait ne pas être en mesure de se refinancer à des coûts raisonnables». Une obligation 2023 qui valait 93 cents sur le dollar lors de son émission en mars est tombée à 61 cents et le cours de l’action de la société a chuté de 43 pour cent cette année. Et la liste est longue.

La crise du marché immobilier a des répercussions considérables sur l’ensemble de l’économie chinoise en raison du rôle joué par le développement immobilier et les ventes de terrains pour alimenter la croissance économique.

Un article paru cette semaine dans The Economist donne quelques faits et chiffres sur l’importance de cette crise et souligne que les turbulences pourraient tout mettre en péril « depuis les finances des gouvernements locaux et des ménages jusqu’au modèle de croissance du pays».

L’investissement immobilier résidentiel représente 15 pour cent du produit intérieur brut (PIB) chinois. Mais selon les calculs des économistes Kenneth Rogoff (université de Harvard) et Yuanchen Yang (université de Tsinghua), si l’on ajoute la construction et les industries connexes, le développement immobilier représente 29 pour cent du PIB.

Ils font remonter les origines de la crise aux changements apportés par le gouvernement chinois en 1994. Le gouvernement central avait alors remanié le système fiscal et les municipalités avaient perdu une grande partie de leurs revenus. On leur avait également interdit de contracter directement des dettes, alors qu’elles étaient chargées d’atteindre des objectifs de croissance élevés, dépassant parfois 10 pour cent par an.

Rogoff et Yang expliquent que «la vente de terrains est devenue l’une des rares choses que les responsables municipaux pouvaient faire pour générer des revenus, qui financeraient à leur tour les routes et autres travaux publics. Ils pouvaient également créer des sociétés qui pouvaient emprunter auprès des banques et lever des dettes auprès d’autres sources».

«Cet arrangement», poursuit l’article, «signifiait que la croissance économique était étroitement liée à l’essor de l’immobilier», les dirigeants chinois se félicitant de ce processus «pendant la majeure partie des 30 dernières années.»

Selon l’article, entre 1999 et 2007, la quantité de terres rurales transférées à un usage urbain a augmenté à un taux annuel moyen de près de 23 pour cent et les ventes de terres publiques ont augmenté en moyenne de 31 pour cent par an.

En 2008, l’économie chinoise a subi un coup dur avec la perte de quelque 23 millions d’emplois au début de la crise financière mondiale. Craignant l’éruption des luttes sociales de la classe ouvrière, le gouvernement chinois a pris d’importantes mesures de relance, pour un montant de 586 milliards de dollars. Ces mesures étaient en grande partie sous forme de prêts et de fonds bancaires parallèles pour les promoteurs immobiliers. En conséquence, en 2010, les ventes de terrains représentaient plus de 70 pour cent des recettes municipales.

Au cours des dernières années, les autorités chinoises ont tenté de freiner la croissance de la dette, craignant ses conséquences sur la stabilité du système financier. Les sources de financement antérieures étant de plus en plus restreintes. Les sociétés de promotion immobilière sont devenues de plus en plus dépendantes des revenus des préventes, les acheteurs payant leurs appartements, parfois dans leur intégralité, des mois, voire des années avant l’achèvement des travaux.

Selon les calculs de la banque française Natixis, cités dans l’article, «entre 2015 et juillet 2021, la part des fonds de prévente comme source de financement des promoteurs est passée de 39 pour cent à 54 pour cent.» Dans le cas d’Evergrande, des milliers d’acheteurs ont déboursé d’importantes sommes d’argent pour découvrir que l’appartement qu’ils avaient acheté pourrait ne pas être achevé – une situation qui a entraîné des manifestations devant les bureaux d’Evergrande.

D’autres commentaires sur la crise d’Evergrande ont souligné ses implications pour l’économie dans son ensemble. Un article récent du Financial Times l’a décrite comme la fin du modèle «construire, construire, construire» de la Chine et a signalé qu’il y avait suffisamment de propriétés vides en Chine pour loger plus de 90 millions de personnes.

En raison de leur lien étroit avec le marché de l’immobilier, une crise financière se profile pour les autorités gouvernementales locales.

Cette semaine, Bloomberg a rapporté que, selon les économistes de Goldman Sachs, la dette cachée des collectivités locales avait atteint un montant équivalent à plus de la moitié du PIB de la Chine.

L’article indique que la dette totale des véhicules de financement des gouvernements locaux a atteint environ cinquante trois mille milliards de yuans (huit mille deux cents milliards de dollars US) à la fin de l’année dernière, contre seize mille milliards de yuans en 2013. Cela équivaut à 52 pour cent du PIB et est supérieur à l’encours de la dette publique.

La fièvre du développement immobilier et l’accumulation de la dette ont créé les conditions d’une crise financière majeure. Leur dénouement suscitera également des luttes sociales explosives de la classe ouvrière contre le régime du Parti communiste chinois.

(Article paru d’abord en anglais le 1er octobre 2021)

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