Wall Street fait claquer le fouet et le Sénat adopte une extension à court terme du plafond de la dette

Tard dans la soirée de jeudi, le Sénat américain a adopté, par un vote de 50 à 48, un projet de loi qui prolongeait le plafond de la dette publique jusqu’à début décembre. Bien que tous les républicains votants se soient opposés à l’extension de la dette, l’adoption de la législation fut pratiquement assurée lorsque 11 sénateurs républicains se sont joints aux 50 démocrates pour fournir la super-majorité nécessaire pour mettre fin à une obstruction.

Le chef de la minorité sénatoriale, Mitch McConnell, a préparé le terrain pour le projet de compromis mercredi lorsqu’il a cédé à l’immense pression de Wall Street et a proposé d’éviter un défaut de paiement imminent du gouvernement en permettant l’adoption d’une extension de 480 milliards de dollars de la limite de la dette. C’était un recul par rapport à sa précédente insistance que toute extension devait être adoptée par les seuls votes des démocrates, dans le cadre de la procédure de réconciliation budgétaire, compliquée et potentiellement longue, qui évite l’obstruction parlementaire et permet l’adoption de certaines mesures au Sénat à la majorité simple.

La secrétaire au Trésor et ancienne présidente de la Réserve fédérale, Janet Yellen, avait mis en garde contre un effondrement des marchés financiers et des dommages au dollar. Elle a estimé que le relèvement de 480 milliards de dollars du plafond de la dette permettrait au gouvernement de faire face à ses obligations jusqu’au 3 décembre. C’est le jour même où une prolongation temporaire du financement des opérations du gouvernement fédéral doit expirer, ce qui pose la possibilité d’un défaut de paiement de la dette et d’une fermeture partielle du gouvernement.

Le chef de la majorité au Sénat, Chuck Schumer (New York), surnommé le «sénateur de Wall Street», a annoncé qu’il acceptait l’offre de McConnell jeudi matin. Le plan de McConnell et de son équipe dirigeante au Sénat consistait à renoncer à l’obstruction parlementaire et à permettre aux démocrates d’adopter la mesure, en utilisant leurs 50 voix sur les 100 membres de la chambre, plus le vote décisif de la vice-présidente Kamala Harris.

Le chef de la majorité au Sénat, Chuck Schumer (N.Y.) [Crédit: AP Photo/Jacquelyn Martin].

Cependant, lors d’une réunion à huis clos du caucus républicain avant le vote en salle jeudi soir, les acolytes d’extrême droite de Trump, Rand Paul et Ted Cruz, ont rejeté cette approche et ont insisté pour monter une obstruction. Cela a obligé McConnell et ses alliés à trouver au moins 10 voix républicaines pour mettre fin à l’obstruction.

Certains républicains ont voté pour mettre fin à l’obstruction et permettre aux démocrates d’adopter la prolongation à court terme de la dette. Il s’agissait de McConnell (Kentucky): John Thune (Dakota du Sud); John Cornyn (Texas); Roy Blunt (Missouri); Mike Rounds (Dakota du Sud); Lisa Murkowski (Alaska); John Barrasso (Wyoming); Susan Collins (Maine); Richard Shelby (Alabama); John Portman (Ohio); et Shelley Moore Capito (Virginie occidentale).

Après le vote du Sénat, le chef de la majorité démocrate de la Chambre des représentants, Steny Hoyer, a annoncé que la Chambre serait rappelée de ses vacances mardi pour voter le projet de loi. Ensuite, la loi sera envoyée au président Biden pour qu’il la signe mardi, quelques jours avant la date du 18 octobre où, selon Yellen, les États-Unis ne seraient plus en mesure de payer leurs dettes.

Si l’extension de la limite de la dette n’offre qu’un court sursis, le processus par lequel elle est adoptée est un cas d’école sur qui dirige l’Amérique. Lorsqu’il s’agit des intérêts financiers fondamentaux de l’oligarchie financière et des entreprises, et que Wall Street fait claquer le fouet, l’impasse partisane au Congrès se dissipe soudainement.

Le revirement de McConnell a coïncidé avec un événement à la Maison-Blanche mercredi matin. Au cours de la journée, Biden a rencontré les PDG de Citigroup, JPMorgan Chase et le Nasdaq. Ils étaient là pour dénoncer le blocage des républicains du Sénat en faveur d’une extension de la dette. Biden a averti que l’approche de l’échéance de la limite de la dette risquait d’entraîner un défaut de paiement. Selon Biden cela agirait comme un «météore» en écrasant l’économie américaine et en sapant la position des États-Unis sur le plan international.

Il a critiqué ses «amis» républicains du Sénat pour leurs actions qui «risquent de faire plonger le marché».

La Maison-Blanche n’a pas démenti les informations selon lesquelles les démocrates envisageaient de faire une exception à la règle de l’obstruction parlementaire pour les projets de loi qui visent à relever le plafond de la dette, ce qui permettrait à toutes ces mesures d’être adoptées à la majorité simple.

Lorsqu’il s’agit de modifier ou de supprimer la règle antidémocratique du ‘filibuster’ [obstruction parlementaire] pour adopter des lois qui défendent le droit de vote et le droit à l’avortement, ou pour adopter des mesures qui visent à remédier à la crise sociale catastrophique et à augmenter les impôts des riches, Biden et le Parti démocrate résistent à tout changement. Mais c’est une autre histoire lorsqu’il s’agit de protéger les marchés et la richesse de l’élite dirigeante.

McConnell aurait déclaré à son groupe parlementaire républicain, mercredi, que la pression croissante chez les démocrates pour affaiblir le ‘filibuster’ était un facteur important dans sa décision de proposer une extension provisoire du plafond de la dette. Avant son annonce de mercredi, il a rencontré les deux sénateurs démocrates de droite les plus en vue, Joe Manchin (Virginie-Occidentale) et Kyrsten Sinema (Arizona), qui se sont farouchement opposés à toute modification de la règle du filibuster. Ils lui ont vraisemblablement fait savoir qu’ils pourraient être amenés à modifier leur position sur le filibuster en ce qui concerne la limite de la dette, à moins que l’obstruction ne soit levée.

L’accord du Sénat était d’autant plus significatif sur le plan politique que Donald Trump est intervenu férocement contre l’accord et son auteur, McConnell. Le chef de la minorité sénatoriale a fait tout son possible pour apaiser l’ex-président fasciste, et le Parti républicain dans son ensemble a promu son mensonge d’une élection volée et s’est efforcé de bloquer toute enquête sur la tentative de coup d’État du 6 janvier.

«On dirait que Mitch McConnell se plie aux démocrates, une fois de plus», a déclaré Trump dans un communiqué publié par l’intermédiaire de sa campagne Save America PAC. «McConnell a toutes les cartes avec le plafond de la dette, il est temps de jouer la main. Ne les laissez pas détruire notre pays!» Moins d’une heure avant le vote prévu au Sénat, Trump a de nouveau exhorté les républicains à ne pas voter pour «ce terrible accord».

Le co-conspirateur de Trump et ancien conseiller de la Maison-Blanche Stephen Bannon, a intitulé son podcast de mercredi «La trahison de l’Amérique par McConnell va créer des esclaves de la dette.» L’aile ouvertement fasciste du Parti républicain dirigée par Trump, suivant le modèle d’Hitler, considère un crash financier comme une aubaine potentielle pour son complot en cours visant à établir une dictature.

Bernie Sanders, en tant que président de la Commission du budget au Sénat joue un rôle clé dans la réduction drastique du projet de loi de Biden sur les dépenses sociales et le climat afin de satisfaire les démocrates les plus à droite, a salué l’accord sur le plafond de la dette et a qualifié l’offre de McConnell de «très bonne nouvelle». Sanders, le fléau autoproclamé de la «classe des milliardaires», a parlé sans vergogne en partisan de la «nation la plus riche de la planète» et de la nécessité qu’elle avait de «payer ses dettes.»

Le Washington Post de Jeff Bezos a résumé la position de l’élite dirigeante sur l’utilisation de tactiques d’obstruction à des fins politiques partisanes, en écrivant: «Cela peut être un jeu législatif équitable dans de nombreux autres domaines des affaires du Congrès, mais cela devrait être interdit lorsqu’il s’agit de relever la limite de la dette». Les démocrates, exige le Post, devaient choisir soit le processus de réconciliation budgétaire, soit un changement de la règle du filibuster pour faire passer un relèvement de la limite de la dette, et «continuer le travail».

(Article paru d’abord en anglais le 9 octobre 2021)

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