Plus de 10.000 travailleurs de Deere lancent leur première grève en 35 ans

Environ 10.100 travailleurs du géant de l’équipement agricole Deere and Company ont commencé à faire grève à minuit, heure centrale, tôt jeudi matin. Les travailleurs sont répartis dans des usines de l’Iowa, de l’Illinois et du Kansas, ainsi que dans deux centres de pièces en Géorgie et au Colorado. Ce débrayage est le premier dans l’entreprise depuis 35 ans et constitue la plus grande grève des travailleurs du secteur manufacturier aux États-Unis depuis la grève de 40 jours chez General Motors en 2019.

«Notre heure est venue!» a déclaré un travailleur de Deere de l’Illinois au WSWS. Un deuxième travailleur a ajouté: «Nous sommes heureux de faire grève, cela montre que nous ne nous contentons pas d’un accord. C’est ce que tout le monde voulait la première fois», c’est-à-dire lorsque le dernier contrat a expiré le 1er octobre.

«Les gens savaient qu’il était temps en se basant sur l’horrible accord de principe que Deere a offert, donc ils en ont assez et sont prêts à faire ce qui est nécessaire», a déclaré un troisième travailleur de Deere. Sur Facebook, les travailleurs de plusieurs usines ont appelé à un piquetage massif dans la matinée.

La grève fait suite au rejet massif par les travailleurs, par un vote négatif de 90% dimanche dernier, d’un contrat de concession soutenu par le syndicat United Auto Workers (UAW). L’accord prévoyait des augmentations de salaire de seulement 11 à 12% sur six ans, soit bien en deçà du taux d’inflation actuel. Il aurait également mis fin aux pensions des travailleurs embauchés après novembre de cette année, en développant le système à plusieurs échelons établis pour la première fois par Deere et l’UAW en 1997.

L’UAW a désespérément essayé d’éviter une grève jusqu’à la dernière minute. Le syndicat a fixé la date limite de la grève à 23h59 mercredi, trois jours après la défaite décisive de son accord. Dans l’intervalle, il n’a rien dit aux travailleurs sur le contenu des négociations avec Deere, conformément à sa stratégie consistant à maintenir ses membres dans l’ignorance tout au long de l’année.

Plus tôt dans la soirée, après que la section 865 de l’UAW a envoyé un message de masse aux travailleurs de l’usine Harvester à East Moline annonçant que le piquetage commencerait à minuit, d’autres sections locales ont rapidement démenti la déclaration sur Facebook, affirmant qu’une grève n’avait pas encore été déclenchée.

L’annonce officielle de la grève par l’UAW sur son site Internet a présenté une image complètement inversée de son attitude vis-à-vis du débrayage et des revendications des travailleurs. «Nos membres chez John Deere font grève pour pouvoir gagner décemment leur vie, prendre leur retraite dans la dignité et établir des règles de travail équitables», a déclaré Chuck Browning, vice-président et directeur du département des machines agricoles de l’UAW. «Nous restons engagés à négocier jusqu’à ce que les objectifs de nos membres soient atteints.»

En réalité, les dirigeants de l’UAW comme Browning (dont la rémunération annuelle déclarée dépasse 200.000 dollars) ont passé la dernière semaine et demie à tenter de vendre un contrat qui ne répondait à absolument aucun des besoins mentionnés dans la déclaration. Comme dans toute l’industrie automobile, l’UAW a été un partenaire loyal pour aider Deere à attaquer continuellement les salaires, les prestations de santé, les pensions et les conditions de travail au cours des 40 dernières années.

Alors que l’UAW s’efforçait frénétiquement de trouver un prétexte pour annuler la grève, il était clair que Deere multipliait ses exigences et se préparait à la lutte dans les jours précédant la date limite.

Des cadres ont distribué des tracts dans l’usine vantant l’accord déjà rejeté cette semaine. Il a été demandé aux travailleurs de vider leurs casiers et de retirer les verrous des boîtes à outils. Mercredi, Deere a commencé à annuler les équipes du lendemain et à demander aux travailleurs de la troisième équipe de ne pas venir. Depuis des semaines, des rumeurs circulent selon lesquelles l’entreprise formait des cols blancs et des employés salariés aux tâches de production, dans le but de les déployer comme briseurs de grève.

Les discussions entre Deere et l’UAW tout au long de l’année n’ont pas été des «négociations» entre des parties opposées, mais plutôt des séances de stratégie entre l’entreprise et ses «partenaires» parmi les cadres du syndicat sur la manière de faire passer les exigences de Deere.

Cependant, tous deux n’étaient manifestement pas préparés à l’ampleur de l’opposition des travailleurs, qui sont déterminés à obtenir des avancées sérieuses, alors que Deere réalise des bénéfices records et a déjà du mal à honorer ses commandes.

Le débrayage chez Deere s’inscrit dans le cadre d’une vague montante de grèves aux États-Unis et dans le monde. Les travailleurs de Deere rejoignent les milliers de travailleurs de l’industrie alimentaire, des télécommunications, des mines de charbon, des infirmières et des travailleurs de la santé déjà en grève.

La grève chez Deere aura un effet galvanisant sur d’autres sections de travailleurs, y compris les travailleurs des pièces automobiles chez Dana, qui ont été maintenus dans une prolongation de contrat au jour le jour depuis qu’ils ont voté pour rejeter un contrat approuvé par l’UAW et les Métallos fin août et début septembre.

Si l’UAW n’a pas pu empêcher une grève chez Deere, compte tenu de l’ampleur de la colère des travailleurs et de sa crédibilité en lambeaux, elle s’emploiera d’autant plus fébrilement à l’étrangler et à la saboter.

Comme chez Volvo Trucks au début de l’année, l’UAW cherche à affamer les travailleurs avec seulement 275 dollars par semaine d’indemnités de grève prélevées sur son fonds de grève de près d’un milliard de dollars, qu’il ne commencera à distribuer qu’après plusieurs semaines. L’UAW tentera également de poursuivre la censure de l’information et le musellement des travailleurs, dans le but de les isoler et d’empêcher les autres travailleurs d’apprendre et de rejoindre leur lutte.

Les travailleurs de Deere ont déjà pris plusieurs mesures essentielles pour rejeter l’accord et lancer le débrayage. Et plus est, les travailleurs ont formé la semaine dernière le Comité des travailleurs de la base de John Deere. Le comité a publié une déclaration appelant au rejet du contrat, qui a été largement lue par les travailleurs à l’approche du vote.

Pour que la lutte des travailleurs de Deere soit menée sur la base la plus solide possible, des comités de grève de la base doivent être mis en place dans chaque usine et entrepôt, permettant aux travailleurs de s’unir, de contourner la censure que maintient l’UAW et de coordonner leur lutte.

Face à une multinationale telle que Deere, les travailleurs doivent mobiliser le soutien le plus large possible, y compris parmi les travailleurs de Caterpillar, de Case IH et de l’automobile aux États-Unis, et les travailleurs de Deere au Mexique, au Brésil, en Allemagne, en Inde et ailleurs, qui cherchent tous un moyen de lutter contre les bas salaires et les conditions de travail intolérables.

(Article paru en anglais le 14 août 2021)

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