Reflets de la nervosité croissante des cercles dirigeants dans la presse financière

Un survol des pages de la presse financière révèle un sentiment croissant de pressentiment, de confusion et de peur pure et simple alors qu’une série de problèmes insolubles déclenchés par la pandémie de la COVID-19 continuent de s’accumuler.

Vue devant l’immeuble du Wall Street Journal à New York (Photo: Flickr/Jennifer Feuchter)

Les questions les plus préoccupantes sont la flambée de l’inflation, la fragilité et la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales vitales, les signes de ralentissement de l’économie mondiale, l’impact continu de la pandémie dans des secteurs clés de l’économie et, surtout, la crainte des implications de la montée de la lutte des classes aux États-Unis, centre du capitalisme mondial, et au niveau international.

Ces derniers jours, on peut trouver dans le Wall Street Journal des titres tels que «4,3 millions de travailleurs ont disparu. Où sont-ils allés?», «L’économie mondiale post-Covid vacille en raison de l’inflation et des problèmes de chaîne d’approvisionnement» et «L’accélération de l’inflation se propage dans l’économie».

Le Financial Times (FT) publie des articles similaires: «L’inflation américaine se réchauffe en septembre alors que la pression persiste», «La pénurie de camionneurs en Europe devient 'extrêmement dangereuse'», «Les économistes réduisent les prévisions de croissance de l’Allemagne en raison des problèmes d’approvisionnement», «La crise de la chaîne d’approvisionnement et les ports américains: 'Perturbation par-dessus perturbation'» et «Les prix à la sortie d’usine en Chine augmentent au rythme le plus rapide depuis 1995».

Le contenu des articles correspond aux titres. Dans un article consacré à l’Europe et à l’Asie, par exemple, le Wall Street Journal déclare que les perspectives de l’économie mondiale s’étaient «assombries» alors qu’un flot de données laissait entrevoir un ralentissement de la croissance au troisième trimestre en raison de l’engorgement des chaînes d’approvisionnement, de la forte accélération de l’inflation et de l’impact du variant hautement infectieux Delta.

«De la Suède et du Royaume-Uni à l’Allemagne et au Japon, les ports bloqués et les goulets d’étranglement dans le flux mondial des matières premières et des composants ébranlent les fabricants, amenant les usines à arrêter leur production et les dirigeants à avertir les clients qu’ils devront attendre pour obtenir les marchandises dont ils ont besoin de toute urgence.»

Selon le Wall Street Journal, quelque 3,8 millions de petites et moyennes entreprises allemandes sont aux prises avec des problèmes de chaîne d’approvisionnement, les pénuries touchant non seulement les puces informatiques mais aussi l’acier, l’aluminium, le cuivre et d’autres métaux ainsi que les plastiques, les matériaux d’emballage et le bois.

La croissance américaine devrait ralentir à 1,4 % au troisième trimestre, contre une moyenne de 6,5 % au premier semestre de l’année, selon la société de suivi des entreprises IHS Markit.

Les commentaires sur la détérioration de la situation économique laissent entendre que les problèmes croissants ne sont pas transitoires, mais l’expression de changements plus profonds et que les autorités gouvernementales et financières sont dépassées lorsqu’il s’agit d’y faire face.

Dans un commentaire récent dans les pages du FT, Stephen Roach, ancien président de Morgan Stanley Asia, maintenant rendu à l’université Yale, écrit: «Les échos d’une période antérieure plus sombre de l’histoire économique se font de plus en plus entendre.»

Il fait ainsi référence à la stagflation des années 1970 – une période de faible croissance et de récessions combinée à une forte inflation après la fin du boom de l’après-guerre.

Roach s’est inscrit en faux contre l’affirmation de la Fed (la banque centrale des États-Unis) et d’autres banques centrales selon laquelle l’inflation actuelle est transitoire, notant que des propos similaires avaient été tenus au début des années 1970 en réponse à l’embargo pétrolier de l’OPEP et aux événements climatiques liés à El Niño.

Il affirme que les banquiers centraux sont certes plus sages aujourd’hui, mais qu’ils sont confrontés à de nouveaux problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés en raison d’un «assouplissement quantitatif à couper le souffle» – à savoir l’injection de milliers de milliards de dollars dans le système financier depuis 2008, qui s’est accélérée après mars 2020, afin d’éviter un effondrement.

«C’est là que réside un risque sérieux qui n’était pas présent dans les années 1970, écrit-il. Les banquiers centraux n’ont pas la moindre idée des liens entre leurs avoirs en actifs et les forces de l’offre et de la demande qui font actuellement des ravages sur l’inflation.»

Il note que les chaînes de valeur mondiales sont devenues un moteur de croissance et une source de désinflation dans la recherche de gains d’efficacité. Mais en conséquence, «ces chaînes sont tendues et deviennent de plus en plus fragiles.»

Le commentaire de Roach, selon lequel les banquiers centraux «n’ont pas la moindre idée» de l’effet de leurs propres avoirs massifs, est tout à fait pertinent alors que la Fed et les autres banques centrales marchent sur la corde raide pour décider de l’orientation future de la politique monétaire face à l’inflation.

D’une part, la sagesse conventionnelle du passé leur dit qu’ils doivent augmenter les taux d’intérêt et réduire les achats d’actifs pour tenter de contrer l’inflation. D’autre part, ils craignent que la dépendance du système financier à l’égard de l’afflux d’argent bon marché ne provoque une crise.

La confusion et la désorientation de la Fed – qui se reflètent sans doute dans d’autres banques centrales – ont été mises en évidence dans un document de recherche publié par l’économiste Jeremy Rudd, rapporté par le Wall Street Journal.

Son rapport commence ainsi: «Le courant économique dominant regorge d’idées que 'tout le monde sait' être vraies, mais qui sont en fait des absurdités flagrantes.»

Selon l’article du Wall Street Journal, Rudd s’insurge contre les perspectives optimistes de la Fed en matière d’inflation – le président Powell insiste sur le fait qu’elle est «transitoire», mais qu’elle s’étend à l’ensemble du domaine «accusant les économistes de faire régulièrement des hypothèses parce qu’elles conviennent à leurs modèles et à leurs théories, et non parce qu’elles correspondent aux faits.»

Et dans un rare moment d’honnêteté, Rudd fait cette déclaration extraordinaire dans une note de bas de page: «Nous ne parlerons pas de la préoccupation plus profonde que le rôle principal de l’économie dominante dans notre société est de fournir des excuses à un ordre social criminellement oppressif, insoutenable et injuste.»

Ces sentiments trouvent aujourd’hui une expression vivante dans la vague de grèves qui se développe, en particulier aux États-Unis. Les travailleurs vont au-delà de l’idée qu’ils devraient simplement recevoir leur «juste part». Il y a un sentiment croissant que l’exploitation accrue, qui remonte à des décennies et qui s’est intensifiée pendant la pandémie et qui amène d’énormes richesses pour les élites patronales et financières, doit prendre fin.

Rien ne fait plus peur aux classes dirigeantes que la résistance de la classe ouvrière et le développement de la lutte des classes. La politique des trois dernières décennies reposait sur la répression de la classe ouvrière. La vague montante de grèves a donc des implications politiques de grande portée.

Il est significatif que le Financial Times, qui ne présente généralement pas de reportages détaillés sur les mouvements de grève dans l’industrie, ait publié ces derniers jours un article sur la grève de Kellogg’s aux États-Unis. L’article rapporte les commentaires de l’historien du travail Bryant Simon, selon lequel ce que l’on qualifie de «frustration» des travailleurs est la plus forte parmi ceux qui étaient considérés comme essentiels au début de la pandémie, mais qui ont vu leurs conditions stagner ou se détériorer à mesure que les entreprises ont rouvert.

Sur un ton académique quelque peu mesuré, Simon a au moins mis en évidence les problèmes plus profonds de cette recrudescence. «Il y a une sorte d’agitation en ce moment sur ce qu’un emploi devrait être, ce qu’il devrait impliquer, et quelle est la construction sociale de base.»

Ce mouvement n’en est qu’à ses débuts, mais déjà des questions politiques apparaissent. Elles concernent non seulement les salaires et les conditions de travail en tant que tels, mais aussi la nature même de la société.

La situation dans laquelle les richesses ont été amassées par les échelons supérieurs à hauteur de milliers de milliards de dollars, alors que les conditions de vie des millions de créateurs de richesse – les travailleurs – se sont dégradées, n’est pas passée inaperçue. La croissance extraordinaire des inégalités sociales à des niveaux jamais vus dans l’histoire est un puissant facteur de motivation.

Et la perplexité croissante des classes dirigeantes sur ce qu’il faut faire face à l’aggravation de la crise économique, et la myriade de problèmes qui y sont liés, crée les conditions pour que la classe ouvrière s’impose comme le nouveau dirigeant de la société à l’échelle mondiale dans la lutte pour un programme socialiste international.

(Article paru en anglais le 19 octobre 2021)

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